Moi, parent d’élève

Ça y est. Depuis cette rentrée, je suis devenu un… parent d’élève. En tant que tel, je découvre un nouveau monde sociabilités, avec ses personnages attachants ou détestables, flamboyants ou effacés. Un nouveau petit théâtre social, semblable à tous les autres, peuplé, peut-être, d’une plus grande proportion de caricatures. Je me vois ainsi naviguer entre les bobos déconnectés du monde réel qui instrumentalisent l’école de leurs enfants à leurs rêves démagogiques et la FCPE, rendue odieuse à mes yeux par son écrasante responsabilité dans les réformes délétères des dernières décennies. Difficile, donc, de me sentir une quelconque solidarité avec ces gens qui veulent s’impliquer dans l’école pour mieux la détruire. Ils s’amusent avec un détestable esprit de sérieux, se sentent « investis » et en oublient complétement le rôle et la vocation de l’institution scolaire.

Soyons juste : à l’échelle de l’établissement de ma fille, la plupart de leurs idées et initiatives sont très sympathiques et inoffensives. Je suis même prêt à participer sincèrement à celles qui agrémentent le quotidien de mon enfant, resserrent les liens avec ses camarades et souvent, hélas !, suppléent aux dysfonctionnements de l’administration scolaire.

Mais pour beaucoup, ce ne sont que des divertissements qui en disent long sur l’école qu’ils désirent et qui n’a rien à voir avec la transmission des savoirs nécessaire à la construction d’individus libres et de citoyens éclairés. Dans l’école de leurs fantasmes, l’enfant n’est pas instruit, il « s’épanouit » – comme si l’on pouvait s’épanouir en se contentant de nager dans un bain de bienveillance mièvre, à coup d’initiations au yoga et à la méditation. Il n’est pas vrai, contrairement à ce qu’ils prétendent dans cet insupportable jargon managérial du « développement personnel » qui empoisonne les esprits et permet de faire l’économie de la pensée, qu’il est aussi (voire plus) important d’acquérir des « savoir-être » (qu’est-ce que cela veut dire ?) ou des « compétences », pire : des « compétences relationnelles » ; plutôt que d’apprendre à lire, écrire et compter, plutôt que de côtoyer les classiques de la culture et de découvrir le libre exercice de sa raison par un travail intellectuel rigoureux et exigeant. Il faut cesser de confondre pédagogie et démagogie. Le règne des enfants-rois, ces sauvageons sans repères qui se prennent pour les seigneurs et maîtres du monde, ne tient qu’à l’irresponsabilité de parents incapables, par faiblesse ou par idéologie, d’assumer leur rôle de parents, c’est-à-dire de dire « non » à leurs enfants. Même si c’est très difficile, même si cela peut sembler impossible, si nous nous refusons à leur donner des limites, nous ne les méritons pas.

Les parents eux-mêmes se comportent comme des sales gosses et ne supportent plus aucune limite à leur hybris. Je ne sombrerai pas dans la psychologie de bazar en imaginant trouver les raisons de cet interventionnisme dans les propres souvenirs et expériences scolaires des parents – ce serait futile et fallacieux. En revanche, je reconnais volontiers que nous ne maîtrisons pas ce qui se passe dans la vie de nos enfants pendant ces heures de la journée passées à l’école ; je trouve normal de mal supporter cette dépossession, il n’y a rien de honteux là-dedans ; je comprends l’envie, le besoin pour certains, de retrouver un ersatz de maîtrise. Pour ce faire, beaucoup cherchent à entrer par tous les moyens dans l’école. Sa porte doit nous rester fermée. Malgré le sentiment de dépossession qui signe l’inéluctable émancipation de ma fille et un nouvel éloignement de moi, je ne veux pas pénétrer en ce qui doit demeurer un sanctuaire du savoir et de la transmission. Ce qui se passe en classe ne regarde que l’enseignant et les élèves, nous n’avons rien à y faire. Les réformes successives ont fait des parents d’élèves des « partenaires » de l’école, leur donnant une « coresponsabilité » irresponsable, ce qui est bien trop d’honneur et surtout une forme de trahison démagogique. Trop heureux de s’en saisir et encouragés à la fois par l’institution elle-même et par l’extension du domaine de la marchandise à la culture, les parents se comportent désormais comme de vulgaires clients.

Des clients aux exigences extravagantes. L’école doit tout faire, tout donner, tout apporter à leurs angelots, sans jamais rien demander en retour. Elle doit pallier toutes les démissions des familles, toutes les capitulations de la société, toutes les veuleries du monde. Tout en garantissant le « bonheur » de ces petites merveilles. Ces demandes exorbitantes se doublent trop souvent d’une suspicion qui peut confiner à une forme aiguë de paranoïa : la moindre histoire rapportée obscurément par un enfant de trois ans fait le tour de tous les parents (merci les groupes whatsapp !) et prend des proportions cataclysmiques. La préoccupation du « bonheur » de leur progéniture transforme la moindre querelle de cour de récré en scénario d’un mauvais épisode de Desperate housewives, pères et mère scotchés à leurs téléphones des soirées entières pour débattre très sérieusement des moyens à mettre en œuvre pour sauver ces pauvres chérubins des griffes d’une institution peuplée de méchants enseignants qui ne leur veulent que du mal. De même, les campagnes pour l’élection des délégués des parents prennent des proportions ahurissantes, quelque part entre House of cards et Kaamelott ; l’imagination n’a alors plus aucune limite et les idées les plus baroques sont discutées avec un aplomb confondant. Cette compétition pour sacrer le parent qui sera le plus impliqué dans la vie de son enfant a quelque chose de profondément malsain. Parce qu’au fond, ce n’est pas des gosses qu’il est question, mais bien seulement de l’ego des parents.

Non qu’il ne faille montrer aucune ambition pour nos mômes ni, évidemment, nous désintéresser de ce qui se passe à l’école ! Mais je préfère éviter la pollution. Que des parents trompent leur ennui ou tentent de garder la main sur la vie de leurs gamins, à leur guise. Il me semble néanmoins que notre rôle devrait se borner à quelques principes fondamentaux. Suivre les apprentissages et les accompagner à la maison pour s’assurer que ce qui est enseigné est bien compris et appris. Encourager les élèves à aimer l’école, soutenir les enseignants et ne pas saper leur autorité ni critiquer sans cesse l’institution dès qu’ils en sortent. Surveiller les éventuels manquements, sans sombrer dans une défiance maligne mais afin d’aider, sincèrement et à notre place, une école en ruines à maintenir ce qui peut l’être. Ce serait déjà énorme ! Parce que l’école a besoin de nous, j’en suis convaincu. D’autant plus dans l’état d’abandon et de solitude qui est le sien après des décennies d’incurie et de destruction volontaire auxquelles les associations nationales de parents d’élèves ont sciemment participé avec cynisme et malveillance, dans une alliance détestable avec de sinistres idéologues pédagogistes.

L’école va mal. Je le savais entant qu’observateur, je le vis en tant que parent. Nous déplorons les dysfonctionnements graves, pour beaucoup conséquences de la mutation en garderie (ah ! les joies du « périscolaire »…). L’ouverture des portes de l’école à tous les vents de la société ne fait qu’importer en son sein le pire du monde extérieur.
Il n’y a rien de plus cruel qu’un enfant, c’est pourquoi la violence qui règne hors des murs de l’école ne doit en aucun cas pénétrer ce sanctuaire ; les élèves doivent en être préservés pour que puisse se jouer la lente transmutation par l’exercice de la raison et la fréquentation des œuvres de la culture.
Il n’y a rien de plus cruel qu’un enfant, c’est pourquoi les parents ont une responsabilité vitale dans l’apprentissage de la civilité à leurs enfants ; ils ne peuvent pas la déléguer à l’école avec une négligence criminelle.

Il n’y a rien de plus cruel qu’un enfant, c’est pourquoi, tout en assurant l’institution et les enseignants de ma confiance, ma priorité demeure ma fille. L’effroyable chute du niveau des enseignements couplée à l’importation de la brutalité extérieure m’obligent à la plus grande vigilance. Je défendrai toujours l’école publique et ses hussards fatigués ET, si je m’aperçois qu’il existe le moindre risque pour ma fille ou pour la qualité de son instruction, je n’hésiterai pas un instant à la sortir du système scolaire public. Ce ne sera pas un choix joyeux mais je l’assumerai volontiers. Le principe de non-contradiction ne vaut que pour les propositions de logique formelle (et encore) ; nous, humains, sommes définis aussi par nos contradictions. Que l’on me taxe donc de bobo hypocrite, je n’en ai cure ! Il n’y a aucune hypocrisie à défendre l’école publique et des principes républicains et, en même temps, à vouloir protéger son enfant. Je me bats tous les jours pour un monde dans lequel je n’aurais pas à prendre une telle décision – je ferai ce qu’il faut pour que ma fille, à son tour, reçoive les armes nécessaires pour mener ses combats.

Cincinnatus, 12 octobre 2020

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Cincinnatus

Moraliste (presque) pas moralisateur, misanthrope humaniste, républicain râleur, universaliste lucide, défenseur de causes perdues et de la laïcité, je laisse dans ces carnets les traces de mes réflexions : philosophie, politique, actualité, culture…

4 réflexions au sujet de “Moi, parent d’élève”

  1. …et combien de ces enfants, aux dire de leurs parents, sont précoces ou surdoués ou dyslexique ou hiper-actif ou je ne sais quoi d’autre qui font le bonheur des psy de quartiers et posent, implicitement mais nécessairement, un regard connoté sur les enseignants.
    « Suivre les apprentissages et les accompagner à la maison pour s’assurer que ce qui est enseigné est bien compris et appris. Encourager les élèves à aimer l’école, soutenir les enseignants et ne pas saper leur autorité ni critiquer sans cesse l’institution dès qu’ils en sortent » la bonne ligne. Vous me la copierai 100 fois 😉

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  2. Cincinnatus, vous avez 10/10
    J’ai moi-même fais l’école à mon petit fils de 7 ans, lequel avait réussi à quitter Paris pour trouver en Haute-Savoie une atmosphére plus…respirable. ceci en avril-mai. Pendant environ 6 semaines j’ai planché sur les passé composé, les dictés et autres joyeusetés.
    Pour vous la faire courte, figurez vous que j’ai eu l’outrecuidance de faire ouvrir le dictionnaire à ce chérubin, pour y chercher l’orthographe de mots, soit pour des raisons d’orthographe soit pour des raisons du sens des mots. Avec mon aide bien sur. Je suis ainsi devenu un bourreau d’enfant. J’ai aussi, quelle horreur, fait réciter les tables de multiplication par coeur. Là, clairement, je dépassais les bornes.
    Je pourrais ainsi continuer sur le mode plaisanterie. Cependant, au terme de ces 6 semaines, j’étais crevé. Et’ sur ce point, j’ai reçu les félicitations de l’élève qui m’a avoué que j’étais le seul dans la famille qui ne s’étais pas rendu. En revanche, nos liens (de papi à petit-fils) se sont bien améliorés au point que nous nous sommes découverts mutuellement. Et ça, ça a été mon cadeau. Merci covid-19

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