
D’après le gouvernement, il manquera 12 milliards d’euros au système de retraites en 2027, soit un déficit cumulé d’environ 150 milliards d’euros à dix ans. Il n’y a aucun consensus à propos de ces chiffres (comme l’économie, les projections démographiques relèvent bien plus de l’astrologie que de la science), le gouvernement choisissant soigneusement les scénarios qui lui conviennent alors que différents modèles montrent pour leur part un retour rapide à l’équilibre. Admettons cependant un moment les hypothèses macronistes, largement catastrophistes.
Inutile
Trois leviers sont à disposition pour résorber ce déficit : diminuer le montant des pensions, c’est-à-dire demander un effort aux retraités actuels, « solution » parfois évoquée mais qui paraît, à juste titre, inenvisageable ; reculer l’âge de départ, perspective unique du gouvernement ; et augmenter les financements.
Il est regrettable que l’exécutif refuse d’examiner ce dernier point.
Le temps du retour à l’équilibre, estimé à quelques années, l’État pourrait retrouver le niveau de financement qu’il avait auparavant. Bien qu’un tel réengagement soit en rupture complète avec la volonté actuelle, il en a largement les moyens. En effet, même si le déficit de 150 milliards d’euros à dix ans était avéré, les réserves budgétaires mobilisables sont largement à la hauteur puisque, selon le Conseil d’orientation des retraites (COR), celles-ci s’élevaient fin 2021 à 163,2 milliards d’euros.
Outre ces réserves, d’autres sources étatiques pourraient être mobilisées. Quoiqu’il n’y ait pas « d’argent magique », d’après le Président de la République, le pouvoir macronien ne s’est guère montré avare ces dernières années, que ce soit par le « quoi qu’il en coûte » pendant la crise du Covid (légitime… au moins en partie) ou par les nombreux cadeaux fiscaux aux plus riches depuis le début de son premier mandat (nettement moins légitimes). Si l’on ajoute que, selon les sources, fraude et évasion fiscales représentent, par exemple, un manque à gagner pour l’État estimé entre 30 et plus de 100 milliards d’euros par an, les 12 milliards des retraites semblent bien peu de chose.
Autre source de financement possible, l’accroissement des cotisations. En augmentant légèrement les cotisations sociales (au maximum, 0,7 à 0,8 point d’ici 2027), le déficit serait comblé. Quant aux cotisations patronales, elles n’ont cessé de baisser depuis les années Sarkozy dans des cadeaux toujours plus important aux entreprises, dont la contrepartie était censée être des recrutements massifs… on voit ce qu’il en a été : la baisse actuelle du chômage n’est qu’un leurre maintenu par les radiations massives. 70 milliards d’euros d’exonérations annuelles de cotisations patronales, 200 milliards d’euros d’aides aux entreprises : un retour à un niveau plus juste de prélèvements sur les entreprises et la fin des cadeaux fiscaux seraient amplement suffisants.
En puisant intelligemment dans toutes ces ressources, le financement du système des retraites ne poserait aucun problème et serait indolore.
Injuste
Le gouvernement a pourtant sciemment décidé de faire de l’âge du départ à la retraite l’alpha et l’oméga de sa réforme. Au passage, il fait l’impasse sur une réflexion fine des disparités et inégalités devant le travail. Entre l’employé de bureau et le travailleur physique, entre une heure de travail devant un ordinateur ou une salle de classe, entre l’usure physique et le stress psychologique, la question très large de la pénibilité mérite mieux que ce déni méprisant. Un système de retraites universel (c’est-à-dire qui serait, entre autres, débarrassé du principal « régime spécial » : celui des cotisations complémentaires mises en place dès 1947 par le patronat pour concurrencer le régime général) n’entre aucunement en contradiction avec la reconnaissance de conditions d’exercice diverses et de métiers différents.
En outre, la réforme macronienne repose sur un véritable mensonge. En réalité, beaucoup de travailleurs ne pourront pas partir à 64 ans mais à 67 avec, qui plus est, une décote importante du fait de carrières de plus en plus souvent incomplètes. Avec ses deux critères, âge de départ et durée de cotisation, nous possédons un des systèmes finalement les plus contraignants (bien loin de la propagande néolibérale voulant faire passer la France pour un pays soviétique) ! Quant à ceux qui auraient pu partir à 62 ans et espéraient bénéficier d’une surcote, malgré les mensonges à répétition du gouvernement, ils vont payer les frais de l’obsession néolibérale. Tout le poids de la réforme va peser sur les travailleurs qui partiront bientôt à la retraite et sur les générations suivantes.
Idéologique
L’idéologie fonctionne ainsi à plein régime. La casse de notre modèle social prépare l’ouverture progressive au privé de juteux business avec le placement de l’épargne des travailleurs sur les marchés financiers. Les entreprises du domaine de la prévoyance et de l’assurance se frottent les mains d’avance. Car, en réalité, cette réforme inutile et injuste n’a absolument pas pour but de combler le déficit factice des retraites mais de faire passer Emmanuel Macron pour un bon élève auprès des marchés et des petits gris de Berlin, Bruxelles et Bercy.
Le choix de ne s’attaquer qu’à l’âge de départ et d’imposer la méthode et le calendrier n’a rien d’illogique : c’est une provocation volontaire pour redorer son image. Après avoir largement ouvert les vannes financières pendant la crise du Covid, le voilà qui se rachète une virginité doctrinale, lui qui fait mine d’oublier qu’il n’a pas été élu pour un programme mais par un chantage. En zélé petit télégraphiste du néolibéralisme, il force un bras de fer qui lui permet de cliver la société en se faisant passer pour le chantre du « progressisme » contre les « forces réactionnaires » (syndicats, fonctionnaires, régimes spéciaux, etc.).
De leur côté, ses opposants stupides ou cyniques, on ne sait que choisir, prennent plaisir à entrer dans son jeu. Le désolant spectacle donné à l’Assemblée nationale montre à quel point l’opposition prétendument « de gauche » n’a absolument rien à faire des retraites et des travailleurs mais préfère surjouer à fond le divertissement et le spectacle. Objectivement complices du gouvernement, plutôt que de travailler les dossiers de fond, comme certains représentants ont essayé de le faire, les sinistres pantins à la tête de la NUPES multiplient les provocations et foncent tête baissée dans l’impasse créée par Macron.
*
Encore une fois, le terme de « réforme » est employé à contre-emploi, exemple classique de novlangue. Cette contre-réforme s’attaque à l’un des acquis sociaux les plus importants, dans une volonté explicite de détruire un système robuste et qui fonctionne parfaitement – quoi qu’en disent ceux qui accusent leur chien d’avoir la rage –, hérité du Conseil national de la Résistance, et grâce auquel nous bénéficions de l’un des taux de pauvreté les plus bas chez nos aînés, ce dont nous devrions être fiers [1] !
Quitte à vouloir « réformer » les retraites, le débat public mériterait d’être quelque peu élevé par une réflexion d’ampleur. Or la discussion parlementaire est doublement faussée : d’abord du fait de l’utilisation du projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale comme véhicule législatif pour faire passer la réforme et de tous les moyens pour brider le parlement, ensuite par le crétinisme d’une partie de la gauche qui préfère répondre aux injustices idéologiques du gouvernement par des propositions démagogiques et l’anéantissement du politique dans le divertissement.
Plutôt que ces fumisteries démagogiques, inventées par la pseudo-opposition qui prétend saigner « les riches » et réclame un « droit à la paresse » dévoyé, il eût été utile de réfléchir collectivement non seulement à la pénibilité, comme je l’ai rapidement évoqué, mais également, entre autres :
à la prise en compte des années d’études, de plus en plus longues, dans le calcul des droits à la retraite et aux carrières incomplètes ou morcelées ;
aux modalités de répartition de la richesse créée par le travail ;
aux sens que l’on donne à la retraite dans notre société ;
à la solidarité entre les générations et à la place de nos vieux ;
à la valeur de la richesse créée par les retraités ;
à la natalité et à la politique familiale ;
au rôle de la productivité et de la technique dans l’évolution du travail ;
à une véritable réforme fiscale rendant plus justes l’impôt et les diverses cotisations ;
à l’augmentation des salaires (qui entraînerait mécaniquement une augmentation des recettes) ;
à la réindustrialisation du pays et à la souveraineté économique, sujets centraux et stratégiquement incontournables…
Toutes ces questions sont soigneusement ignorées par nos dirigeants politiques, incapables de proposer des visions du monde cohérentes, susceptibles de rassembler la nation.
Cincinnatus, 13 mars 2023
[1] Sur ces questions en particulier et sur le sujet général de la réforme des retraites, je recommande l’épisode du 3 mars 2023 du très bon podcast de l’UFAL, « Laïcidade », entretien avec Olivier Nobile, délégué national aux questions sociales et familiales de l’UFAL, cadre dirigeant du régime général de sécurité sociale et enseignant à Sciences Po Strasbourg.
J’ai lu votre plaidoyer avec attention. Mais même si j’admets qu’on puisse réussir pendant quelques années à réduire le déficit du financement des retraites en râclant des fonds de tiroirs, il me semble que le probléme ne sera pas durablement résolu. On aura posé un cautère, indolore certes, sur une jambe de bois. À mon sens, la question est de savoir si la démographie nous autorise à maintenir le système actuel de financement des retraites reposant sur la redistribution des cotisations des actifs. Je ne suis pas un fan des fonds de pension, mais pourra-t-on échapper à ce type de financement, en évitant autant que possible ses dérives capitalistes? Je sais bien, on touche à un tabou de notre société: en touchant aux immortelles conquêtes sociales de la Libération… La solidarité consisterait, à mon sens, à répartir le fardeau du financement de façon aussi équitable que possible et non pas à chercher tous les moyens de faire payer la note par quelque d’autre. Je crains qu’aux yeux des plus jeunes que moi, cette opinion est marquée par une conception ancienne, dépassée, religieuse, résignée, de la solidarité.
Mais enfin, il me semble qu’une réforme effective, juste et non-idéologique (est-ce possible?) des retraites devrait amorcer une évolution structurelle de leur financement et pas seulement replâtrer un système qui n’est malheureusement plus viable. Simple opinion d’un citoyen sans compétences particulières et qui ne vaut probablement pas d’être relayée, remarquez.
Merci pour vos billets et votre réflexion, continuez!
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Bonjour.
Si cette réforme est inutile, injuste et idéologique mais que les seuls opposants politiques qui s’y opposent concrètement sont de « sinistres pantins », sur quelles forces politiques pensez-vous vous appuyer pour mettre en échec cette « réforme » ? Après tout la supercherie des 1200€ a été révélée à la fois par Michael Zemmour et par Jérôme Guedj député Nupes. La forme de la la contestation peut être discutée bien sûr,, mais au moins il y a une contestation et c’est vraiment sain pour une démocratie que le pouvoir soit mis devant ses mensonges et ses approximations. Du coup je repose ma question: où exister politiquement pour contester le néolibéralisme agressif qui est notre quotidien depuis des mois ?
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Bonjour,
Votre commentaire est très juste… et justifie mon pessimisme.
Cincinnatus
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C’est justement cela qu’il faut penser : à quelles conditions une contestation sociale et civique peut émerger de la décomposition politique et idéologique contemporaine ? Contestation civique et sociale qui se tienne à bonne distance des leurres et faux débats identitaires et culturels qui sont des impasses….
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Quelques pistes de réflexion ici : https://cincivox.fr/2022/09/12/reprendre-le-pouvoir/
Cincinnatus
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Oui j’avais lu. Mais il faut qu’on ait une discussion sur ce qu’il faut entendre par « républicanisme » et « humanisme civique » (vous pensez à qui ? Machiavel ? Tocqueville ?). Car le climat confusionniste ambiant nous oblige à aller au bout de la clarification des concepts. Je pense d’ailleurs que c’est par quoi il faut commencer.
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