L’avarice fiscale

La peste soit de l’avarice, et des avaricieux.
(Molière, L’Avare, Acte I, Scène 3)

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Touche pas au grisbi !

Ceux qui refusent de payer l’impôt ou réclament d’en payer toujours moins ne sont que des traîtres qui cherchent à s’abstraire de la solidarité nationale. L’impôt n’est pas une punition : que ces gamins mal élevés et capricieux cessent donc de se plaindre !
Certes, je reconnais volontiers que le système fiscal français mérite une réforme en profondeur. Non pas pour « l’alléger » comme on l’entend trop souvent, mais pour le rendre plus juste et plus lisible.
Plus juste, c’est-à-dire réellement progressif : plus on gagne, plus on paie, avec le moins d’effets de seuil possible ; et tout le monde en paie : un montant symbolique pour les plus pauvres, beaucoup pour les plus riches.
Plus lisible, c’est-à-dire compréhensible par tous : comment obtenir l’indispensable « consentement à l’impôt » si la complexité et la multiplication de ses modalités le rendent aussi opaque ?

Même si c’est l’une des toutes premières réformes à mener, encore faut-il également combattre avec force et vigueur ce vice qui métastase le corps politique : le dénigrement compulsif de la participation financière à la chose publique.

« On paie trop d’impôts », entend-on geindre et se lamenter les petits esprits crispés sur leurs petits porte-monnaie. « Donner la moitié de mes revenus à l’État, c’est beaucoup trop ». AH ! Mais s’ils en donnaient les trois-quarts, ils trouveraient que la moitié, c’est très bien ! Et s’ils en donnaient le quart, ils préfèreraient n’en donner que le dixième !
Un tel raisonnement est voué à l’échec : il ne repose que sur le ressentiment et la pingrerie. Du point de vue de la psychologie de ceux qui le paient, il n’existera jamais aucun « niveau acceptable » d’impôt… même l’exemption totale ne trouvera pas grâce aux yeux des grincheux.

Incitation à l'incivisme
Publicité éloquente sur un fameux réseau social

Dans ce grand renversement des valeurs, on assiste même à la promotion de la fraude. Les encouragements sont proférés sur tous les tons. Tous ces petits malins qui s’affranchissent des règles communes, les médiocres les admirent, les envient. Leurs ruses sont louées alors qu’elles ne devraient susciter que l’opprobre et l’ostracisme les plus sévères. Ces experts en optimisation et autres exilés fiscaux sont des traîtres à la Nation. En tant qu’individus, ils ont renoncé à tout honneur ; en tant que citoyens, ils ont abdiqué toute vertu. Leur faute morale se double d’une forfaiture civique.
Et le saccage de l’esprit public vient de haut. Les élus – mais aussi tous les personnages dans la lumière du public : sportifs, artistes, dirigeants divers et variés… – négligent bien trop souvent leur devoir d’exemplarité. Comme si leurs charges s’accompagnaient de passe-droits, autorisaient des exceptions, leur permettaient de s’exonérer du lot commun. Personne ne doit pouvoir s’exempter de la loi commune, quelle que soit sa richesse, quelle que soit sa notoriété, quel que soit son pouvoir.

« Phobie administrative », a allégué un éphémère ministre, lamentable ruffian, pour défendre ses pratiques en cachette de Poincaré. Quelle sinistre pantalonnade ! L’indécence n’a-t-elle donc point de limite ? L’exigence de probité ne peut être un luxe : elle doit commander les actes et les discours de tous, célèbres comme anonymes, puissants comme humbles.

Ainsi devons-nous collectivement nous élever au-dessus de ces discours rampants, englués dans la crasse démagogie : « l’impôt, c’est du vol », « on paie trop d’impôts », « l’État nous rackette », « l’impôt est confiscatoire », « ouin ouin ouin »… pleurnicheries d’exécrables marmots morveux.
Parbleu ! Soyons un peu adultes !

Contre la petitesse de sentiments, regardons l’impôt pour ce qu’il est : s’en acquitter, c’est participer à la collectivité, financer les services publics qui lient les individus entre eux au sein de la nation, abonder le système de redistribution des richesses qui réduit les inégalités, etc. etc.

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Projet de l’impôt patriotique (source : BnF, gallica.bnf.fr)
Doit-on être fier de payer l’impôt ? Sans doute y a-t-il quelque ridicule à s’en rengorger… mais que l’on ne s’y trompe pas : seuls les fats et les sots y moquent le cocu plastronnant d’être pigeonné. En réalité, le ridicule ne tient qu’à ce que le paiement régulier de l’impôt, degré zéro de la citoyenneté, ne devrait être vécu que comme un préalable évident. Si le civisme et la participation à la chose publique étaient un escalier, l’impôt n’en serait pas même la première marche mais à peine le seuil.

Des citoyens actifs et matures ne perdraient pas leur temps et leur dignité en complaintes mesquines et égoïstes. Ils paieraient sans barguigner les montants qui leur échoient, comme une évidence, et préfèreraient occuper leur temps et leur esprit à délibérer, avec raison et passion mêlées, pour en améliorer encore la justice du prélèvement et la justesse de l’emploi. En somme, bâtir du politique plutôt que du ressentiment.

Cincinnatus, 29 mai 2017

Publié par

Cincinnatus

Moraliste (presque) pas moralisateur, misanthrope humaniste, républicain râleur, universaliste lucide, défenseur de causes perdues et de la laïcité, je laisse dans ces carnets les traces de mes réflexions : philosophie, politique, actualité, culture…

4 réflexions au sujet de “L’avarice fiscale”

  1. Bigre… on croirait entendre Cicéron à la tribune.
    Je suis sympathique à tant de vertu prêchée. Sincèrement.
    Je crois moi-même qu’il est bon d’acquitter ses impôts.
    Mais… je ne crois nullement que l’Etat soit vertueux.
    Je ne suis pas sûre du tout de savoir ce qu’est l’Etat en ce moment.
    D’ailleurs, l’Etat (français) est-il toujours… républicain ?
    En êtes-vous sûr ?
    L’Etat… se comporte-t-il comme le lieu où se fédère la loyauté des individus/citoyens, le lieu où ses citoyens abandonnent une partie de leur… pouvoir d’exiger vengeance, rétribution, etc, au profit de la collectivité, qui se doit de les protéger ?
    Ou… l’Etat se comporte-t-il comme une entreprise à engranger des bénéfices, et à promouvoir des deals ?
    L’Etat, se comporte-t-il comme… un despote ?, quand bien même il serait un despote « démocratiquement élu » (je pense au gouvernement par ordonnances, par exemple) ?
    Et puis… EN THEORIE, il n’y a rien à dire sur l’obligation citoyenne de payer ses impôts. Mais, à ce que je vois, l’Etat… (mondial, d’ailleurs) veut toujours plus de.. contrôle, de mainmise, sur nos vies individuelles que ça finit par susciter une sourde révolte (et pas toujours si sourde que ça).
    Quand on incrimine le pouvoir.. politique des entreprises MULTINATIONALES, il faut savoir que ces entreprises sont des alliées… politiques ? des états. Ça change considérablement la donne, et le pouvoir dans notre bas monde.

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  2. Je suis tombé par hasard sur cette homélie du vol légalisé et il est évident que cette honteuse injonction fiscale est forcément l’émanation d’un apparatchik socialiste de haut niveau ! N’écoutez pas cet évangéliste de la spoliation, cet apôtre de la jalousie du bien d’autrui et demandez vous plutôt à quoi sert cette captation honteuse de la majeure partie du fruit de votre travail. Regardez l’état catastrophique de votre pays où tout, je dis bien tout, part à vau- (d’or…)l’eau. Faites comme moi, fraudez, étouffez, dissimulez autant que vous le pouvez ! Gardez vos billes et tâchez de participer le moins possible à cette hétérotélie démoniaque et ubuesque qu’est devenue la France !! Cela fait aujourd’hui environ 35 ans que je parviens à préserver mon intégrité, mon plaisir de vivre, l’avenir de mes enfants et j’en tire une incommensurable fierté ! Et pour finir, surtout, surtout, barrez vous, quittez ce pays délirant qui ne respecte plus ses citoyens et qui est à mon humble avis inexorablement perdu!! Le fruit de ma fraude m’ayant permis de me constituer un joli patrimoine, j’ai tout liquidé pour finir mes jours dans une belle propriété en bord de mer, dans un pays qui se respecte et respecte aussi les aspirations de son peuple !! Quant à vous, cher parasite qui osez vous affubler du patronyme illustre de Cincinnatus, retournez donc cultiver votre champs!!

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      1. Je vous ai fait rire ? Comment aurait il pu en être autrement ? J’en suis fort aise car en ce qui me concerne votre terrifiant panégyrique fiscal m’a d’abord fait tressaillir, puis frémir et enfin vomir. Moi ce qui me fait rire c’est, je vous cite : «Non, payer des impôts ne me rebute pas : je participe à la collectivité, je finance les services publics qui lient les individus entre eux au sein de la nation, j’abonde le système de redistribution des richesses qui réduit les inégalités. Je serais même prêt à en payer plus encore ! » Franchement, mais de quels services publics parlez vous ?! De l’éducation ? De la santé ? Des subventions à toutes ces associations subversives ? De la voirie ? De la Sncf ? Des syndicats officiels ? Etc etc…Je trouve qu’il Il y a curieusement chez vous une forme de schizophrénie. Je m’explique : lorsque vous éreintez sans demi mesure les impétrants, dont je suis, qui refusent fondamentalement et fièrement de participer à ce que je qualifierais de folle gabegie délétère et que vous abominez de la même manière nombre d’institutions, comme l’éducation nationale(n’est ce pas…) ; est-ce bien raisonnable de payer pour ça ?!! Est-ce bien raisonnable de contribuer aux indemnités parlementaires de tous ces foutraques qui siègent actuellement à l’assemblée nationale ? Est-ce bien raisonnable de verser des allocations à la famille Mehra ?! Raisonnement simpliste me rétorquerez vous, mais avouez tout de même que ce pays est révoltant et très mal barré ; et ce délire va continuer encore longtemps car « La fabrique des crétins » que vous dénoncez va essaimer durablement une armée de débiles avec qui il sera de plus en plus compliqué de communiquer !! Car figurez vous que, paradoxalement, je cautionne sans ambigüités nombre de vos billets. Je pense exactement comme vous sur nombre de sujet, et pas des moindres ! « Dieu est mort » par exemple, quelle jouissance de lire ce merveilleux billet pour l’athée intégriste que je suis, on se sent moins seul ! !
        Allez donc, pour finir sans rancune, le devoir m’appelle, étant à mon compte j’ai quelques cerfas en retard. Ah, j’allais oublier, j’ai bien aimé « Bullet train »…
        Cordialement
        Le troll

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