Les lectures de Cinci : sur la propagande djihadiste

Paroles armées, Philippe-Joseph Salazar, Lemieux, 2015.

9782373440294Le livre en deux mots

Philippe-Joseph Salazar est philosophe et rhétoricien. En spécialiste du discours, il analyse la propagande du Califat, terme qui insiste sur sa dimension territoriale et qu’il préfère à l’acronyme DAECH[1], en décortique la mécanique et en démontre l’efficace. De ce travail résulte un ouvrage clair et précis. Chacun devrait lire et faire lire ce livre. Il ose nommer l’ennemi et met au jour ses méthodes de manipulation mais dévoile également l’inanité des réponses engagées. On demeure stupéfait devant la faiblesse, l’improvisation et l’aveuglement de nos gouvernants et de nos services de renseignement ; ébahi devant le manque de sérieux qui guide nos contre-offensives ; atterré par la puérilité des dispositifs de défense (de la « déradicalisation » aux campagnes médiatiques « préventives ») et par l’inculture de nos responsables qui alimente une incompréhension profonde de l’idéologie adverse. En somme, Philippe-Joseph Salazar nous alerte en nous montrant combien nous sommes à côté de la plaque et nous indique un chemin pour retrouver la raison : réarmer notre langue et notre pensée pour agir.

Où j’ai laissé un marque-page

Les explications lumineuses sur la place et la puissance de l’analogie et sur le caractère performatif des mots dans la lecture du Coran montrent notre incapacité dramatique à appréhender le fonctionnement de la rhétorique djihadiste.

Un extrait pour méditer

L’égorgement militaire adopte alors tous les codes d’une liturgie.
Tout y est codifié, comme dans un rituel : le cadre temps, le cadre espace, le cadre séquentiel. Le principe du rituel est qu’il est reconnaissable et répétitif. Un rituel qui change ses images et gestes n’est plus un rituel, c’est un événement. Notre erreur est de ramener chaque égorgement à un événement au lieu d’observer le cadrage du rituel. Ici encore nous sommes piégés par notre attachement médiatique à l’événementiel, aux breaking news.

Le sacrifice religieux-militaire possède donc un calendrier, comme toute liturgie : le Califat annonce qu’il va y avoir sacrifice, s’ensuit l’attente angoissée, fait irruption le film du sacrifice ; enfin les commentaires par le Califat dans ses périodiques et messages ; et la reprise : annonce, attente, sacrifice, commentaire ; et de nouveau. Une liturgie pour s’imposer doit être rituelle et ce rituel doit être répétitif.

Le rituel, outre ce cadrage temporel, s’inscrit dans un cadrage spatial hautement symbolique : un sol rouge ou jaune, ou du sable (qu’il soit du désert ou du rivage, ou d’ailleurs de studio), un ciel ou une mer d’un bleu d’enluminure, et les statues humaines, celle orange à genoux du supplicié, celle noire et debout du sacrificateur, ou les deux frises hiératiques des sacrificateurs derrière les sacrifiés. Tout acte rituel exige norme (les plans) et répétition (les gestes).

Les internautes qui se moquent du peu de matériel utilisé par le Califat pour ces scènes de sacrifice n’ont rien compris : ce n’est pas du cinéma, c’est du réel, et du réel religieux qui exige la permanence de tels codes, car seule la permanence des codes fait sentir le poids impressionnant du sacré.
(p. 168-169)

Cincinnatus,


[1] Il s’en explique de manière très convaincante p. 74.

Publié par

Cincinnatus

Moraliste (presque) pas moralisateur, misanthrope humaniste, républicain râleur, universaliste lucide, défenseur de causes perdues et de la laïcité, je laisse dans ces carnets les traces de mes réflexions : philosophie, politique, actualité, culture…

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