Mélenchon et Le Pen, ce n’est pas pareil !

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Caricature de Plantu parue dans L’Express du 19 janvier 2011

Comparer Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen est devenu un lieu commun médiatique pour les jeter dans un même panier étiqueté « populistes ». Du dessin dégueulasse de Plantu à la veulerie des présentateurs de « L’Émission politique » de France 2 ou aux fats chroniqueurs de Ruquier, cet arrogant bouffon antidémocrate, nous subissons un matraquage volontaire selon lequel le candidat de la France insoumise et la candidate du Front national, ce serait bonnet blanc et blanc bonnet. Les Dupont et Dupond du populisme en quelque sorte.

En amalgamant leurs discours respectifs face au néolibéralisme et au terrorisme intellectuel des gardiens de TINA, on prétend que leurs programmes seraient les mêmes et on renvoie les deux candidats à l’irrationnel et à l’irresponsabilité. Circulez, y a rien à voir !

C’est plutôt malin… d’une pierre deux coups : rapprocher Mélenchon de Le Pen conduit à diaboliser le premier et à dédiaboliser la seconde. On calomnie un authentique républicain et on banalise une ennemie de la République. Or tout les sépare : programmes comme idéologies.

Les programmes

Dans tous les domaines, les programmes des deux candidats sont aux antipodes. Il ne s’agit pas de proposer ici une comparaison exhaustive des 144 propositions de Marine Le Pen avec les 83 de Jean-Luc Mélenchon (détaillées dans une série de livrets thématiques auxquels il sera parfois fait référence ici). Je préfère ne retenir que quelques exemples pour montrer à quel point seule la mauvaise foi peut conduire à assimiler les deux programmes (les nombres entre parenthèses renvoient aux numéros des propositions dans les programmes officiels consultables en ligne : Les 144 engagements présidentiels de Marine Le Pen, L’Avenir en commun, le programme de la France Insoumise et de Jean-Luc Mélenchon)[1].

Constitution

Les réformes institutionnelles de Jean-Luc Mélenchon reposent sur la convocation d’une Constituante dont le rôle sera de rédiger la Constitution d’une VIe République (1).

Marine Le Pen préfère adapter la Ve à sa conception du gouvernement, notamment en inscrivant dans la Constitution la « priorité nationale » (92).

Éducation[2]

Le programme éducatif de Marine Le Pen ose pas mal de clins d’œil pour séduire les républicains attachés à une conception de l’école reposant d’abord sur l’instruction (101) et l’autorité du maître (103). Une lecture attentive dévoile toutefois assez vite la supercherie et les cadeaux au privé, qu’il s’agisse des établissements scolaires hors contrat (11)… ou des entreprises, avec l’apprentissage à 14 ans (81) ou le développement « massif de l’alternance » (107)[3].

Peu de choses sont dites à ce sujet dans le programme de Jean-Luc Mélenchon mais un livret complémentaire lui est spécifiquement consacré. Il promet notamment de revenir sur les « contre-réformes » des gouvernements qui se sont succédé – revendication de nombreux professeurs –, de « replacer les disciplines au cœur des apprentissages », d’allonger l’instruction obligatoire de 3 à 18 ans, de recruter 60 000 enseignants et de revaloriser leur traitement de 7%.

Laïcité

Le programme de Jean-Luc Mélenchon consacre son point n°7 à « Une République laïque », dont les propositions sont explicitées dans un livret spécifique. L’esprit de Séparation imprègne ces propositions, parmi lesquelles la suppression du concordat ou le refus réel des « subventions pour la construction des édifices religieux, des activités cultuelles et des établissements confessionnels ». Peu de choses sont dites, en revanche, sur les intégrismes qui menacent la République, et tout particulièrement sur leur dimension idéologico-religieuse.

Depuis quelque temps, Marine Le Pen s’est emparée de cette question et auto-proclamée chantre de la laïcité. Ainsi propose-t-elle de « promouvoir  la  laïcité  et  lutter  contre  le  communautarisme » (95), notamment en l’intégrant au Code du travail et en inscrivant dans la Constitution le principe « La République ne reconnaît aucune communauté ». En revanche, elle a à de nombreuses reprises exprimé sa volonté de développer l’enseignement privé hors contrat et de ne pas toucher au concordat. La conversion du FN à la laïcité ne dupe pas grand monde.

Justice et politique pénale

Sujets particulièrement développés dans le programme de Marine Le Pen, les propositions en matière de sécurité et de justice sont marquées par une cohérence certaine : aucun équilibre entre prévention et répression n’est recherché… avec quelques signaux très clairs en direction des juges. En vrac : rétablissement des peines planchers (17), instauration d’une peine de prison de perpétuité réelle incompressible (19), rattachement de l’administration pénitentiaire au ministère de l’Intérieur (22), suppression de l’École nationale de la magistrature (!) (23)… Et puis, bien sûr, les marqueurs classiques de l’extrême-droite : l’impossibilité de régularisation des étrangers en situation illégale (25) et la fin de l’automaticité du regroupement familial (26). Ajoutons à tout cela la suppression de la loi Taubira sur le mariage pour tous (mais sans effet rétroactif), remplacé par un « PACS amélioré » (87).

À l’opposé, Jean-Luc Mélenchon mise beaucoup sur la prévention et souhaite donner à la Justice les moyens de fonctionner (11) : recrutement de personnels, rénovation et construction de nouveaux locaux pour les tribunaux, rénovation des prisons, développement des peines alternatives, renforcement des pouvoirs du Parlement en matière de Justice en « remplaç[ant] les instructions ministérielles au Parquet par des lois d’orientation de politique pénale, débattues et votées par le Parlement » et en « remplaç[ant] le Conseil supérieur de la magistrature par un Conseil supérieur de la justice désigné pour partie par les magistrats et le Parlement, devant qui il sera responsable ».

Environnement

L’écologie est au cœur du discours de Jean-Luc Mélenchon. 11 propositions concernent directement « l’urgence écologique » et traitent la plupart des enjeux : transition écologique (38), énergies renouvelables (39), rénovation écologique du bâti (40), transports et mobilité (41 et 42), consommations (43), déchets (44), écosystème et biodiversité (45), agriculture écologique et paysanne (46), aménagement du territoire (47), exploitation des forêts (48). La cohérence d’ensemble du projet implique que ces questions traversent l’ensemble des autres thématiques, ainsi, par exemple, de l’engagement d’un « Plan Mer » (81).

Marine Le Pen, elle aussi, s’intéresse à la mer mais, là où son adversaire l’aborde par l’angle de l’écologie, la candidate du Front national préfère y voir des perspectives d’exploitation économique (41), allant dans le même sens que sa volonté de maintenir en fonctionnement la centrale nucléaire de Fesseinheim (134). Son programme n’est toutefois pas exempt de mesures en faveur de l’environnement, telles que l’interdiction des OGM et de l’exploitation des gaz de schiste (136), ou que la prise en compte du bien-être animal (137).

Social et santé

Marine Le Pen aime les familles et, conséquente, leur fait des cadeaux. Notamment aux plus aisées en ramenant de quinze à cinq ans la durée entre deux donations de moins de 100 000 euros sans taxation entre parents et enfants, ou en augmentant le plafond des donations aux petits-enfants (56). En revanche, pour « réaliser des économies » (sic), l’Aide médicale d’État doit être supprimée (71). Moralité : il vaut mieux être riche et bien portant que pauvre, étranger et malade.

Jean-Luc Mélenchon, quant à lui, préfère miser sur l’organisation de la solidarité, notamment en matière de santé (67), avec : le remboursement à 100% des soins ; la mise en place d’une « politique de santé publique et de prévention » qui intègre les dimensions environnement, travail, alimentation, logement, éducation ; la création d’un corps de médecins généralistes pour lutter contre les déserts médicaux ; le renforcement du service public hospitalier…

Et le reste…

On pourrait encore développer l’analyse des propositions de l’une et de l’autre dans les domaines de l’économie et de la fiscalité (refonte complète pour Mélenchon dans une volonté de simplification et de justice, cadeaux catégoriels pour Marine Le Pen), de la défense et des relations internationales, de l’enseignement supérieur et de la recherche, de la culture, des relations avec l’Union européenne, etc. etc. Sur tous ces sujets, si des convergences ponctuelles peuvent exister[4], les oppositions de fond s’avèrent toujours écrasantes[5].

Les idéologies

Peu étonnant que, par-delà l’écume sur laquelle surfent les médias de masse, les programmes diffèrent à ce point : quoique complexes, au sens chimique du terme, et non dénuées de contradictions internes[6], les idéologies sous-jacentes sont diamétralement opposées[7]. Pour reprendre une typologie développée ailleurs, les visions du monde de Marine Le Pen et de Jean-Luc Mélenchon sont travaillées de manières exactement contraires par les trois principaux courants de pensée politique actuellement à l’œuvre : républicain, libéral et identitaire.

Marine le Pen continue d’appliquer la stratégie Philippot. L’usurpation des références et du vocabulaire du républicanisme, abandonnés par toute une partie de la gauche, lui permet d’élargir son électorat, bien au-delà des cercles habituels du FN canal historique. La séduction opérée par l’emploi de marqueurs traditionnels de la gauche fonctionne comme une application efficace de la stratégie de « triangulation » et attire vers le FN les cocus de la gauche et du gaullisme. Ce républicanisme de façade masque la réalité de la convergence entre les familles de pensée libérale et identitaire de droite. Car le fonds traditionnel hérité du père demeure bien présent. Si Marine Le Pen arrivait au pouvoir, nul doute que la politique appliquée ferait la part belle aux diverses officines qui l’entourent et aux amis cléricaux de sa nièce. Tant que les succès électoraux seront au rendez-vous, les dissensions internes seront tues, étouffées sous les poids des ambitions. Un échec trop cuisant à la présidentielle (élimination au premier tour) ou aux législatives (moins de trente députés) pourrait faire voler en éclat ce fragile équilibre.

De son côté, Jean-Luc Mélenchon appartient pleinement à la tradition républicaine. Personnellement, il s’oppose sincèrement, me semble-t-il, au libéralisme et n’a guère de sympathie pour les identitaires de toutes espèces. Le problème vient plutôt d’une frange de l’entourage qui l’accompagne depuis la période « Front de Gauche »[8]. La présence à ses côtés de certains groupuscules ne lasse pas d’inquiéter les républicains sincères qui, autrement, pourraient se tourner vers lui. Quand on voit une Clémentine Autain au premier rang de ses soutiens, ou plusieurs de ses proches défiler avec le PIR, on est en droit de tiquer. Quand on entend se réclamer de lui un certain nombre d’« idiots utiles » de l’islamisme, comme il est convenu d’appeler ces crétins inutiles, on repense au fameux dessin de Cabu : « c’est dur d’être aimé par des cons » ! Dommage, parce que la volonté de rassemblement du peuple français, objectif à défendre à tout prix, ne peut se réaliser dans l’ambiguïté des valeurs ni dans les accommodements avec les identitaires de gauche pas plus que de droite.

Conclusion : et le peuple dans tout ça ?

Ils se réclament tous les deux du peuple. Ils sont tous les deux accusés de populisme. Comme si parler du peuple, c’était sale ; comme si s’adresser à lui, c’était interdit ; comme si s’intéresser à ce qu’il vit, c’était ignoble. Quel mépris pour le peuple ! La répétition réflexe de l’étiquette infâmante « populiste » appauvrit le débat public. Les mots n’ont plus de sens. Confondre abusivement populisme et démagogie conduit à tout mélanger. À penser aussi bas, on ne pense plus.

À la confiscation de sa souveraineté, le peuple répond par une demande de politique. Le populisme est, à son tour, la réponse à cette demande. L’appel au peuple est une figure de rhétorique puissante et dont la solennité a, hélas !, été perdue. Il peut revêtir des atours différents, certains hideux, d’autres d’une grande justesse. Mais ils doivent être analysés rigoureusement, sans céder à l’insulte qui paralyse la raison.

 

déclaration dh 1789Le Pen et Mélenchon, eux, ne méprisent pas le peuple ; ils le prennent à témoin ; ils répondent, chacun à sa façon, à ses questions, à ses craintes, à ses besoins ; ils veulent s’appuyer sur lui pour être élus. Est-ce indigne en soi ? Non : ce sont les réponses qu’ils prétendent apporter qui doivent être discutées et, éventuellement, défendues ou combattues. Ils veulent tous les deux, mais différemment, rendre au peuple sa souveraineté qui, bien que très mise à mal, demeure la seule qui vaille, comme le dit définitivement la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen :

Article 3 – Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément.

Cincinnatus, 3 avril 2017


[1] Mon propos n’est pas ici de « vendre » un programme en débinant l’autre. Même s’il sera évident au lecteur qu’entre Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon, mon cœur ne balance pas tellement, ce n’est pas pour autant que j’embrasse béatement un des projets. J’ai déjà exprimé longuement mes réticences et, s’il faut vraiment répondre à l’impératif autoritaire et inquisitorial « d’où parles-tu, camarade ? », je répète encore que je ne roule pour personne, pas plus pour Mélenchon que pour un autre. Je combats ouvertement certains candidats mais n’en défends aucun : je soutien la République. Tout ce qui m’intéresse dans ce billet, c’est de tordre le coup à l’idée stupide selon laquelle les deux candidats porteraient des programmes et des idéologies semblables. Quant à savoir pour qui je voterai dans quelques semaines, il est possible que je me prononce publiquement d’ici là… ou pas.

[2] Je ne relève ici que quelques éléments saillants et recommande la lecture du très bon travail de synthèse de @K_ro_Leene35, militante de la France insoumise, qui a repris dans un tableau l’ensemble des propositions de cinq candidats.

[3] Meilleur moyen de fournir de la main d’œuvre bon marché et très malléable. L’alternance, comme l’apprentissage, s’adapte très bien à certaines situations mais en faire la panacée contre l’échec scolaire, comme on l’entend trop souvent dans les discours des politiques, c’est témoigner d’une ignorance complète du sujet et, surtout, sacrifier le projet émancipateur de l’école au profit d’un utilitarisme de court-terme. La force des lycées professionnels, par exemple, réside dans l’équilibre entre enseignements professionnels qui apprennent des métiers et offrent une qualification, et enseignements généraux qui développent la culture, l’esprit critique et la réflexion des gamins, qualités indispensables pour pouvoir évoluer professionnellement et devenir des citoyens éclairés.

[4] Et alors ? Si Marine Le Pen disait que le ciel est bleu, faudrait-il immédiatement refuser de le voir bleu et décréter qu’il est vert à pois violets ? La bêtise d’une bonne partie des opposants au FN consiste à se contenter d’anathèmes l’encontre de chaque phrase qu’elle prononce, sans même débuter le commencement d’une réflexion sur le contenu de ses dires. Or toute l’efficace des discours frontistes réside dans la subtilité des non-dits, dans les allusions, dans l’implicite… et dans le manque criant d’intelligence chez ses adversaires !

[5] Et surtout, j’invite chacun à ne pas se contenter de prendre pour argent comptant ce qui est écrit ici mais à aller lire sérieusement ces programmes et ceux des autres candidats !

[6] Le principe de non-contradiction ne vaut que pour les propositions de logique formelle et certainement pas pour les individus (tout particulièrement dans les domaines des visions du monde, des propos de comptoir ou des disputes de couple… ce qui peut parfois revenir au même).

[7] J’ai analysé de manière plus détaillée les ressorts idéologiques de chacun des deux candidats dans les billets que je leur ai consacrés il y a quelques mois. Voir : Le cas Mélenchon et Le cas Le Pen.

[8] Bien au-delà des individus et courants que je vise ici, Mélenchon a su aussi attirer à lui des personnalités de grande qualité. Par exemple, si je ne suis pas toujours d’accord avec lui (ce qui rend les choses plus intéressantes et piquantes), j’apprécie sincèrement la prose engagée et érudite que déploie François Cocq dans son blog : https://cocq.wordpress.com.

Publié par

Cincinnatus

Moraliste (presque) pas moralisateur, misanthrope humaniste, républicain râleur, universaliste lucide, défenseur de causes perdues et de la laïcité, je laisse dans ces carnets les traces de mes réflexions : philosophie, politique, actualité, culture…

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