Des victimes et des bourreaux

Le Massacre des Innocents, Nicolas Poussin (v. 1625-1629)

Puisque toutes les vies se valent, alors celle d’un enfant israélien vaut celle d’un enfant palestinien.
Donc, quand des enfants palestiniens meurent sous les bombardements à Gaza, Israël ne vaut pas mieux que le Hamas qui a tué des enfants israéliens.
Il est même encore plus coupable parce qu’il est un État raciste alors que le Hamas est une armée de résistance. »

Ainsi raisonne-t-on dans les manifestations « pro-palestiniennes » et sur les réseaux dits sociaux, ce cloaque que le microcosme médiatico-politique s’obstine à prendre pour le monde réel et où le débat public se cristallise depuis quelque temps autour de ce genre de sophismes ahurissants.

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La première phrase, « toutes les vies se valent », énonce un postulat général qui semble partagé par toutes les parties : l’égale dignité humaine. Or cette hypothèse très forte ne va pas nécessairement de soi. Pendant longtemps, ici-même (c’est-à-dire, au choix et selon votre optimisme ou votre naïveté : en France, en Europe, en Occident…), elle aurait même été vue comme une absurdité ou une provocation ; et aujourd’hui encore, dans bien des pays, elle demeure minoritaire, hérétique voire incompréhensible. Et puis, soyons honnête : sans même parler de ce qui se passe au Proche-Orient, dans le cœur de la plupart d’entre nous, la vie d’un pauvre petit enfant innocent paraît bien plus précieuse que celle d’un horrible méchant assassin pédophile violeur. Une égalité… à géométrie variable, donc. Et d’autant plus lorsqu’on parle des juifs, comme le montre l’actuelle vague d’antisémitisme à laquelle nous assistons.

Cette affirmation d’égale valeur de la vie humaine sert de base à une rhétorique qui enchaîne les sophismes comme d’autres les perles. En effet, la deuxième phrase déduit de l’égale dignité des victimes une égale culpabilité des bourreaux. Tous les soutiens du Hamas, tous les antisémites, tous les partis se prétendant preux défenseurs du peuple palestinien par clientélisme, stratégie ou habitude, tous les adversaires d’Israël par principe, idéologie ou opportunisme, tous les brillants et insoupçonnés géopolitologues qui se révèlent depuis un mois sur les réseaux dits sociaux [1] – tous s’accrochent à cet argument pour renvoyer dos à dos Israël et Hamas : dès lors que meurent des enfants, leurs assassins sont nécessairement de la même engeance et surtout méritent le même châtiment.

Ces arguties s’avèrent très efficaces pour se donner bonne conscience et se faire passer pour raisonnable et équilibré. Ainsi peut-on appeler solennellement au cessez-le-feu, à la paix, à la désescalade, et autres vœux pieux énoncés doctement depuis son salon du centre-ville d’une grande métropole occidentale. Et ensuite se resservir un verre en matant une série netflix, avec la bonne grosse certitude d’appartenir au Camp du Bien©. Bel exercice d’exhibitionnisme vertueux.

Or… ça ne marche pas. Le passage de l’égale dignité de la vie humaine à l’égale culpabilité des meurtriers n’est pas un argument mais une faute logique. En effet, en suivant le même raisonnement, on aurait, à l’époque, interdit à la Résistance française et aux Alliés de combattre le régime nazi, renvoyé dos à dos les victimes civiles des bombardements sur les villes allemandes et les suppliciés des camps d’extermination, inscrit un ignoble signe égal entre FFI et SS, entre résistants et miliciens… Bref. On voit bien ici la mentalité de collabos des alliés objectifs de l’islamisme qui, rappelons-le pour les mémoires courtes, a fait en France plusieurs centaines de morts en moins de dix ans, jusqu’à la quarantaine de victimes françaises du 7 octobre, jusqu’à Dominique Bernard.

À vouloir mettre à tout prix un signe égal entre Israël et le Hamas, on en finit par se prendre les pieds dans ses propres inepties : la réponse d’Israël ne serait pas proportionnée et rendrait l’État hébreu aussi coupable que le Hamas ? Mais quelle folie ! Imagine-t-on l’armée israélienne répondre proportionnellement aux crimes commis le 7 octobre ? Ce serait lui donner un blanc-seing pour un massacre aveugle de civils et d’actes d’une violence et d’une cruauté inouïes. La riposte israélienne n’est pas proportionnelle… et tant mieux pour les Palestiniens qui ne subissent ni les viols, ni les tortures, ni les enlèvements de bébés, d’enfants et de vieillards, ni les profanations des corps massacrés, ni les atrocités perpétrées au nom d’Allah en Israël il y a un mois. Au contraire, ils sont prévenus des offensives, Tsahal leur laisse le temps de quitter les zones concernées et leur ouvre même des couloirs humanitaires pour se réfugier au sud… alors que le Hamas ferme ces couloirs, retient en otage la population et va jusqu’à abattre ceux qui fuient pour se protéger ! S’il faut vraiment le préciser pour les bas-du-front prompts à me classer dans la catégorie des méchants, la mort de civils palestiniens ne me réjouit nullement et je suis loin de la justifier. Mais le véritable ennemi des Palestiniens à Gaza, c’est le Hamas qui se sert d’eux comme boucliers humains, quoi qu’en disent ses petits télégraphistes occidentaux qui en relaient servilement la propagande.

Un dessin terrible a fait le tour du monde, qui représente, face à face et se tenant en joue, un terroriste islamiste du Hamas et un soldat israélien ; le premier se cache derrière un berceau pendant que le second en protège un autre derrière lui. Le journaliste et écrivain Guy Konopnicki a résumé cette même idée en un tweet lapidaire :

Le Hamas utilise les enfants pour protéger ses armes. Israël utilise ses armes pour protéger ses enfants.

Outre les Israéliens arrachés à leurs familles et qui vivent un enfer aux mains des Frères musulmans du Hamas, tous les Gazaouis vivent sous la coupe des terroristes qui détournent l’aide internationale pour acheter des armes, creusent des tunnels pour eux-mêmes mais pas d’abris pour le peuple, installent les rampes de missiles dans les écoles et les hôpitaux, etc. Faut-il pour autant séparer aussi radicalement les gentils civils palestiniens des méchants islamistes ? Hélas, comme toujours, le réel est plus compliqué et s’accorde mal aux visions binaires tant appréciées des idéologues de toutes obédiences. Une bonne partie des Palestiniens de Gaza, malgré la dictature que le Hamas leur inflige, soutient ardemment ce dernier. Les images terribles de foules s’en prenant aux corps d’Israéliens en témoignent atrocement.

Et les nuances valent aussi pour Israël. Je n’ai aucune sympathie pour Benyamin Netanyahou ni pour son gouvernement. Si j’étais israélien, sans doute en serais-je un farouche opposant et le combattrais-je politiquement de toutes mes forces. Le peuple israélien lui-même n’est pas dupe qui, après avoir manifesté en masse pendant des mois contre sa réforme de la justice, lui demande aujourd’hui des comptes. Mais, pas plus que les Israéliens, je ne confonds un adversaire politique et un ennemi existentiel. Ce que font la plupart des « pro-palestiniens » et autres « antisionistes » qui, souvent, utilisent ce dernier vocable comme un confortable cache-sexe à leur antisémitisme. Aveuglés par leur haine envers les juifs et Israël, démocratie très imparfaite dirigée par un gouvernement ô combien antipathique, ils préfèrent se jeter dans les bras d’un mouvement religieux orthodoxe, orthopraxe et terroriste qui a pour objectifs explicites la disparition de tous les juifs, des homosexuels, des athées, des chrétiens, des apostats, des mécréants, l’esclavage des femmes et l’instauration d’un califat mondial régi par la charia. « Progressiste », disent-ils !

Ceux qui aujourd’hui affirment vouloir la paix n’ont toujours pas compris qu’on ne fait pas la paix avec quelqu’un qui croit qu’il obtiendra le paradis en vous tuant. Israël n’a, de toute façon, rien à faire des manifestations de ces soi-disant pacifistes qui réclament depuis la France ou tout autre pays étranger la fin des bombardements : un cessez-le-feu serait une victoire pour le Hamas et Israël joue là sa survie. Pourquoi Israël serait-il le seul pays au monde dont on n’accepterait pas qu’il se défende (se défendre, non se venger comme l’en accusent ses ennemis) quand son existence est menacée ?

Le retournement des victimes en assassins et des bourreaux en martyrs n’a rien de neuf mais, concernant Israël et les juifs, il atteint des sommets d’ignominie. Parler d’« apartheid » à propos d’Israël, c’est ne rien comprendre au sens des mots : les arabes israéliens vivent, travaillent, et y sont même élus en toute liberté, et Israël offrait du travail à de nombreux civils gazaouis – on a vu d’ailleurs comment certains d’entre eux ont renseigné le Hamas pour permettre les horreurs du 7 octobre. Affirmer qu’Israël serait coupable de « nettoyage ethnique » ou de « génocide » à Gaza serait risible si ce n’était là le tragique symptôme de la confusion mentale dans laquelle se vautrent les soutiens français du Hamas. La faute logique des sophismes permet de masquer la faute morale des collabos qui font passer des terroristes pour des résistants. Ils enchaînent les comparaisons abjectes entre Israël et l’Allemagne hitlérienne, entre les juifs et les nazis dans une inversion dégueulasse de la culpabilité. Et même une inversion au carré puisqu’ils inversent en plus la Shoah.

Ces manipulations orwelliennes de la langue sont autant d’insultes à l’intelligence et aux victimes. Elles reposent en réalité sur une hiérarchisation des vies humaines en contradiction complète avec l’hypothèse de départ d’égales dignité et valeur. Les identitaires-décoloniaux-indigénistes-déconstructivistes-wokes (rayer les mentions inutiles) dont les méthodes et l’idéologie gangrènent la gauche – cette gauche Gobineau – classent les individus non en fonction de ce qu’ils peuvent faire, dire ou penser, mais selon ce qu’il sont. Ou plutôt, selon la catégorie dans laquelle ils les enferment. In fine, dans cette vision du monde eschatologique qui ne rêve que de guerre civile, le monde se divise toujours entre « nouveaux damnés de la Terre » d’un côté et « oppresseurs congénitaux » de l’autre, entre victimes par naissance et bourreaux par essence. Quels que soient les crimes commis par les premiers, ils seront toujours absous ; quoi que subissent les seconds, ce sera toujours leur faute. Faux antiracistes véritablement racialistes, englués dans leur idéologie mortifère, ils verront toujours dans le plus abominable assassin du Hamas une figure héroïque digne d’éloges et dans un bébé israélien supplicié le juste châtiment contre le « privilège juif ». Avec de tels alliés, le Hamas peut dormir tranquille.

Cincinnatus, 6 novembre 2023


[1] Après avoir inondé le monde de leurs expertises d’épidémiologistes puis d’analystes financiers et de stratèges footballistiques. Si seulement ils pouvaient s’en tenir à ce dernier domaine dans lequel ils font le moins de dégâts…

Publié par

Cincinnatus

Moraliste (presque) pas moralisateur, misanthrope humaniste, républicain râleur, universaliste lucide, défenseur de causes perdues et de la laïcité, je laisse dans ces carnets les traces de mes réflexions : philosophie, politique, actualité, culture…

4 réflexions au sujet de “Des victimes et des bourreaux”

  1. Bravo pour cet EX-CE-LLENT article qui remet bien les pendules à l’heure, je pense tout pareil !
    C’est une véritable bouffée d’oxygène devant tant de bêtise ambiante.

    Quelques compléments importants dans l’équation politico-médiatico-émotionnelle :
    A/ Le blocus de Gaza depuis 2007 est régulièrement cité comme une des causes de la rancœur arabo-musulmane. Il conviendrait de rappeler que ce blocus a été mis en place 1/ suite à sa prise de pouvoir par le Hamas en 2007, consécutive aux élections législatives du Hamas gagnées en 2006, donc dans un mouvement légitime de protection d’Israël face à une menace (qui s’est avérée grave et réelle, à de nombreuses reprises et jusqu’au tragique 07/10/2023), et 2/ AVEC le concours de l’Egypte. Si Israël est coupable de quoique ce soit, l’Egypte l’est tout autant. Mais qui en parle ?

    B/ Les colonies israéliennes en Cisjordanie sont également un motif de tension. Le sujet est complexe, mais une vision des choses peut-être de revenir à l’Histoire, et de se souvenir qu’il s’agit de territoires gagnés lors de la guerre des 6 jours, et pour la partie qui concerne la Cisjordanie, lors d’une guerre purement défensive face à l’agression provoquée par la Jordanie. Dès lors, et malgré les réticences de ce que l’on appelle la ‘communauté internationale’, ces territoires peuvent être considérés comme des conquêtes légitimes d’Israël, qui a le bon droit de les coloniser. Un bémol toutefois : les mauvais comportements réguliers de certains colons israéliens extrémistes envers les palestiniens, comportements non sanctionnés par l’armée israélienne.

    Tant pour A/ que pour B/, rappelons aussi au passage que Gaza avait initialement été annexée par l’Egypte, et la Cisjordanie par la Jordanie, en 1948, et que les habitants avaient reçue la nationalité des ces 2 pays. Et qu’avant, c’était mandat britannique, et encore avant, l’empire Ottoman. Cela soulève beaucoup de questions.

    En définitive, le problème de fond est surtout que les Arabo-musulmans n’ont jamais accepté la création d’Israël tout court.

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  2. Dans le marasme de la pensée je suis heureux de pouvoir lire un article excellemment écrit par quelqu’un de « normal ».
    J’entends par là une personne qui est capable de réfléchir selon des principes qui ont fondé ce pays et qui ne cède pas devant des modes ou des passions populaires.
    J’ai parfois l’impression dans ma campagne reculée ou, selon les saisons, au centre de Paris, d’être resté le seul héritier d’une école et d’un pays magnifiques et disparus et qui ne peut pas les partager.
    Vous conviendrez que ça angoisse !
    Donc merci encore pour vos articles intelligents et riches.
    Mais surtout, surtout, continuez !

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  3. Merci pour vos billets que je découvre.

    Juste une petite remarque: les historiens spécialistes de l’époque ne parlent plus de « camp d’extermination », mais de: centre de mise à mort.

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