Cette gauche d’extrême droite

Les Amants I, René Magritte (1928)

Le clivage gauche-droite demeure important pour beaucoup de Français qui se positionnent spontanément d’un côté ou de l’autre de l’échiquier politique. Et même lorsqu’ils affirment se situer en-dehors, cette topographie politique reste la référence par rapport à laquelle ils se repèrent pour mieux la dénigrer. Paradoxe apparent, cette simplification binaire du paysage politique occupe ainsi une place prépondérante dans l’imaginaire collectif alors que sa pertinence pour décrire aussi bien le jeu des partis que les convictions du peuple est très largement décriée. Pour couronner le tout, cet encombrant clivage gauche-droite sert, enfin, de cache-sexe à des mouvements politiques qui prétendent appartenir à un camp ou à l’autre, nonobstant leurs idées, discours et actions réels.

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Égalité

Séance de la Nuit du 4 Août 1789, Charles Monnet

La première et la plus vive des passions que l’égalité des conditions fait naître, je n’ai pas besoin de le dire, c’est l’amour de cette même égalité.
Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique II

Le deuxième terme de notre devise républicaine en est la clef de voûte. Et pourtant, des trois concepts, l’égalité est sans doute celui qui subit le plus d’attaques de front car, si personne ne se déclare ouvertement contre la liberté, les opposants assumés à l’égalité ne sont pas rares. Mais faut-il encore savoir de quoi l’on parle puisque, au moins autant que la liberté, l’égalité fait l’objet de tant de détournements de sens qu’il devient difficile de s’y retrouver.

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Les lectures de Cinci : un combat républicain

Un chagrin français. « Populisme », « progressisme », « vivre-ensemble ». Ces mots qui enferment, Anne Rosencher, Éditions de l’Observatoire, 2022.

Un-chagrin-francaisLe livre en deux mots

La journaliste Anne Rosencher est une grande républicaine. Ses éditoriaux dans L’Express, pleins de justesse et de justice, le prouvent à chaque fois. Elle en a rassemblé quelques-uns, soigneusement triés, pour composer ce très beau livre, publié en début d’année. Un chagrin français s’attaque à trois expressions qui nous empoisonnent : « populisme », « progressisme » et « vivre-ensemble » appartiennent à cette novlangue qui vide les mots de leur sens et l’esprit de la pensée. Lire la suite…

Cinquante nuances de néolibéraux

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Après avoir débuté mon travail d’entomologiste par une première expérience de description très-scientifique des nombreuses espèces d’identitaires, voici le tome 2 : l’abécédaire des néolibéraux !
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Déconstruction : la destruction du commun

Vue imaginaire de la Grande Galerie du Louvre en ruines
Vue imaginaire de la Grande Galerie du Louvre en ruines, Hubert Robert (1796)

Ce billet a été publié la première fois le 24 février 2021 sur le blog On Vous Voit, dont je remercie toute l’équipe pour la confiance qu’elle m’a témoignée.

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Tels sont surtout les comédiens, les musiciens, les orateurs et les poètes.
Moins ils ont de talent, plus ils ont d’orgueil, de vanité, d’arrogance.
Tous ces fous trouvent cependant d’autres fous qui les applaudissent.
Érasme, L’Éloge de la folie (1508)

Si la « déconstruction », comme concept ou méthode, vient de Heidegger, elle a été récupérée et développée en France par Derrida, puis a déménagé aux États-Unis avec les adeptes de la brumeuse « French theory », avant de revenir en France comme un boomerang. Elle a perdu à chaque étape tant de sens et de rigueur qu’elle apparaît aujourd’hui comme un salmigondis idéologique que ne reconnaîtrait sûrement pas Heidegger (ni peut-être même Derrida, c’est pour dire !). On est très loin de l’ambition initiale d’émancipation : que, par l’usage de la critique, l’homme ne soit plus la dupe de son propre langage ni de ses catégories conceptuelles [1].
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Quel monde pour toi, ma fille ?

Tu viens d’avoir trois ans, ma fille. Dans quel monde en auras-tu trente, vers le mitan du siècle ? Ce siècle dans lequel je suis entré à déjà vingt. Enfant du vingtième et homme du vingt-et-unième, je me sens surtout millénaire. Frémiras-tu, toi aussi, au souvenir de cette mer Égée qui porte les vaisseaux des Achéens vers l’Est et l’immortalité ? Ou toutes ces histoires qui me constituent vous seront-elles étrangères, à toi et à tes compagnons temporels ? Je sens aujourd’hui survenir la rupture du fil ténu qui relie les vivants aux morts, les présents aux passés. L’augmentation des fondations, conception romaine de la culture qui m’est parvenue non sans mal, signifiait un respect critique et cette volonté de transmission que je t’assène dans mon effroi devant son obsolescence. Le monde commun semble s’anéantir sous nos yeux, à mesure que la culture s’éteint. Nous avons dilapidé notre héritage, faute de nous y intéresser, de chérir ce patrimoine comme il se doit. Que vous lèguerons-nous, sinon un monde amnésique – le contraire d’un monde, donc ? Fin de la transmission [1]. Lire la suite…

Totalitarismes, des religions politiques ? – Conclusion

Précédent : 2. La communauté élue

Au commencement est l’idée. Le Realissimum politique se donne pour scientifique, se propage par contagion à l’ensemble des champs de savoir et d’agir de la société, et imprime son idéologie totale aux consciences. Le dogme s’épanouit dans un processus gnostique d’explication pseudo-scientifique du monde et d’annonce à une communauté élue de lendemains qui chantent : domination des autres races ou véritable démocratie après la révolution prolétarienne. Lire la suite…

Totalitarismes, des religions politiques ? – 2. La communauté élue

Précédent : 1. La mystique totalitaire

Les mythes des régimes totalitaires ont pour but central la constitution organique de la communauté élue par le mouvement historique (selon la race ou la classe, c’est-à-dire le principe fondateur, le Realissimum). Cette ecclesia se forge à partir des rituels du régime totalitaire techniciste, et prend pour médiateurs de sa construction une nouvelle langue totalitaire qui participe de l’entreprise de destruction systématique de la pensée, ainsi que le chef, incarnation à la fois de la communauté et du Realissimum, véritable cristallisation du désir des foules.


Sommaire :
I. L’ecclesia
A/ La communauté organique
B/ L’organisation hiérarchique
C/ Le retour du Père primitif
II. La ritualisation de la société
A/ Les rites totalitaires
B/ La ritualisation des purges et la réification de l’être humain
III. Les médiateurs de constitution de la communauté
A/ La novlangue totalitaire, outil contre la pensée
B/ Le chef charismatique, incarnation de la communauté


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Totalitarismes, des religions politiques ? – 1. La mystique totalitaire

Précédent : Introduction

Au fondement du régime totalitaire se trouve d’abord le principe holiste : l’idée qui développe sa propre logique, selon la définition arendtienne de l’idéologie. Or ce mouvement de l’idéologie est celui d’un irrationnel qui se donne pour scientifique, disqualifiant par là même le réel, empêchant de penser et s’auto-immunisant selon un processus gnostique, au sens de Voegelin. Sur celui-ci peuvent dès lors se mettre en place les mythes à la fois fondations et références du régime totalitaire.


Sommaire :
I. Le mouvement de l’idéologie
A/ La modernité du Realissimum
B/ De l’idée à l’idéologie
II. Le processus gnostique
A/ La gnose comme réponse à la crise de l’homme moderne
B/ Le système gnostique hégélien
C/ Le passage du système à l’individu
III. Les mythes
A/ De la gnose aux mythes
B/ Les mythes des totalitarismes
C/ La transmission des mythes


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Totalitarismes, des religions politiques ? – Introduction

À S., en souvenir de ces bons moments partagés.

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Avec la pause estivale, je relance une catégorie de billets que j’ai un peu laissée de côté : « Ils pensent ». Il s’agit, pour quelques semaines, d’oublier l’écume – j’aurai bien l’occasion de parler de ce remaniement à la rentrée… si tant que cela ait un quelconque intérêt – et de plonger dans les profondeurs de la pensée, avec pour guides les écrits de grands esprits qui nous aident à mieux comprendre le monde. Ces détours loin de l’actualité auront, je l’espère, la vertu de remettre un tant soit peu d’ordre dans le chaos ambiant. Je reprends donc avec une première série de billets qui explorent la question : « en quoi les totalitarismes nazi et stalinien peuvent-ils être interprétés comme des religions politiques ? », en suivant les réflexions d’Eric Voegelin, Ernst Cassirer, Raymond Aron et Hannah Arendt, entre autres [1].
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