Primaires : les leçons d’une faillite

Il y a presque deux ans, j’avais écrit un billet intitulé « Primaires : la faillite des partis ». Maintenant que nous les avons pleinement subies à droite et à gauche, et bien que nous n’ayons pas fini d’en supporter toutes les secousses, peut-être pouvons-nous essayer d’en tirer quelques leçons.

Les partis en déroute

Les organisateurs des différentes primaires se plaisent à exhiber leurs chiffres de participation comme des adeptes de culturisme bandent leurs biceps à un concours de bodybuilding. Or, à l’instar de ces derniers, les performances « remarquables », voire « historiques », ne reposent que sur un dopage massif aux stéroïdes. Savamment préparés par des sondages moins scientifiques encore que les prévisions astrologiques d’un quotidien gratuit distribué à l’entrée du métro, surdéterminés par des « éléments de langage » qui ne sont que le dernier avatar d’une novlangue abêtissante, ces « résultats formidables » ne servent que d’eau-de-Cologne bon marché pour masquer le pourrissement avancé des partis politiques. Ça sent la charogne.

Pour donner une illusion de vie chez ces grands corps à la dérive, on a pu voir les candidats s’activer d’autant plus bruyamment qu’ils avaient moins d’idées à faire valoir. Jusqu’à surjouer outrancièrement des rôles caricaturaux dont le seul objectif était de racoler le sympathisant. Afin de séduire l’électorat putatif et dépasser leurs concurrents dans cette absurde course à l’échalote, tous les impétrants ont versé dans la surenchère démagogique. Surtout lors de la primaire de droite – même si celle de gauche n’a guère été épargnée –, nous avons assisté, médusés, à un concours Lépine de la proposition la plus putassière. Qu’un candidat à la candidature ose promettre la suppression de 100 000 postes de fonctionnaires et, immédiatement, les enchères s’envolaient : 200 000, 300 000 puis 500 000 fonctionnaires annonçait-on supprimer. Avec une hargne et un raccourci de la formule qui laissaient, sciemment, entendre que c’étaient les fonctionnaires eux-mêmes que l’on voulait massacrer, flattant les plus bas préjugés et offrant en victimes expiatoires les boucs-émissaires habituels.

L’idée de faire des primaires un espace de discussion et de confrontation de visions du monde appuyées autant sur la raison que sur des convictions sincères n’a pas tenu un instant. Tout le monde semblait convaincu que pour remporter la partie, l’outrance et la rigidification des discours pouvaient seules apporter la victoire. Au fur et à mesure que les campagnes des primaires avançaient, chacun s’est figé dans son rôle, s’enfermant dans des postures, durcissant ses positions tout en empruntant aux autres les dispositions les plus caricaturales. Résultat : le vainqueur se retrouve asservi à toutes les promesses démagogiques qu’il a dû aligner pour séduire « son camp », prisonnier de l’entre-soi, corseté par le clientélisme que les primaires institutionnalisent.

Le processus révèle ainsi ses vices : il conduit à sélectionner le pire candidat pour les plus mauvaises raisons et lui offre une « légitimité » illusoire qui anéantit toute solution de repli, comme on le constate avec l’affaire Fillon. Et sans même empêcher de retomber très vite dans les tambouilles habituelles d’appareils ! Pour recoller les pots cassés, on recase l’essentiel des concurrents d’hier dans un organigramme de campagne pléthorique, on leur promet des circonscriptions en or, on lance un grand jeu de séduction envers les alliés potentiels, quitte à trahir les engagements pris la veille – la soupe n’est jamais amère au point d’y renoncer.

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(Crédit photo : MARTIN BUREAU / POOL)

 

Un spectacle navrant

On a vu pendant ces primaires des candidats se prêter de bon cœur à tous les codes de la téléréalité. Ouverture des débats télévisés par des clips caricaturaux alignant les petites phrases et les exagérations sur une musique de blockbuster, mise en scène de jeu télévisé, coupures pub façon cliffhanger avec effets dramatiques pour imposer un suspense soi-disant insoutenable… on se serait cru dans la « Nouvelle Star Politique » et il ne manquait plus que les invitations à envoyer un SMS surtaxé au 3635 pour empêcher l’élimination de votre candidat préféré.

Le sérieux d’une élection présidentielle a été jeté aux orties au seul profit d’une spectacularisation du politique. Le but avoué : faire de l’audience, du buzz. Et pour cela, tous les moyens sont bons. Les « journalistes » censés mener les débats et interroger les différents candidats ont au moins eu le mérite de la clarté. Quand l’un de ces animateurs a osé ouvrir l’émission en les exhortant à privilégier les « punchlines » ! On croit rêver ! Tout ce qui intéressait ces indécents Messieurs Déloyaux, c’était le sang des jeux du cirque. Aucun débat de fond : l’arrogance et l’insolence des « maîtres de cérémonie » donnaient le ton. Et malheur à celui qui aurait dérogé à cette règle, il se serait exposé aux interruptions intempestives, aux questions idiotes ayant pour seul but de déstabiliser, aux provocations à la finesse d’une Panzer Division… Comment, dans ces circonstances, déployer la complexité d’une pensée et les nuances d’une argumentation ? Non que cela gênât beaucoup les impétrants… mais cette bêtise crasse n’est guère faite pour enrichir le débat.

Alors ils se sont prêtés au jeu. Tous. Chacun selon son style, certes, mais tous ont accepté ces conditions humiliantes pour le politique. Certains s’y sont même vautrés, validant l’indigne spectacle par des numéros de comique troupier désolants plus que désopilants. De Copé à Bennahmias, leurs blagounettes ont fait le spectacle en défaisant leur crédibilité. Quant aux autres, ils ont préféré les petites vacheries. Jusqu’au dernier moment, on pouvait craindre que ces « débats » tournassent à la boucherie et au grand déballage public, offrant sur un plateau(-télé) aux adversaires du camp d’en-face tous les arguments nécessaires au dézingage de la vraie campagne à venir. C’était sans compter sur les intérêts personnels en jeu. Si les coups ont été plutôt retenus, il ne faut pas en créditer le sens de l’intérêt général et de la dignité politique des différents protagonistes, ni une stratégie collective pour protéger le futur vainqueur, mais bien leur remarquable réalisme carriériste individuel : trop balancer sur l’autre, c’est toujours prendre un trop grand risque personnel sur l’avenir. Ce qui a conduit à ces échanges étranges pendant lesquels invectives, coups bas et haines recuites ne s’exprimaient que par litotes et euphémismes. Sitôt une attaque un peu trop vindicative (mais en réalité parfaitement calculée) échappait à l’un, il s’empressait de l’effacer par une gentillesse à l’ironie assumée… Nous pensions voir Petits Meurtres entre amis, nous avons assisté au Bal des faux-culs.

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(Crédit photo : PHILIPPE WOJAZER / POOL / AFP)

 

C’est la démocratie qu’on assassine

Toute cette mascarade se dope aux sondages, véritable drogue dure des politiques, des médias et même des citoyens. Ils ont beau avoir démontré combien les paradis qu’ils promettent ne sont qu’illusions artificielles, la dépendance demeure trop forte. Quoiqu’ils se trompent systématiquement, qu’ils annoncent des résultats a posteriori complètement fantaisistes, qu’ils se fondent sur des hypothèses fumeuses et une absence totale de méthode et de rigueur, les toxicomanes que nous sommes réclamons sans cesse notre dose. Primaire de droite : on nous annonce Juppé vainqueur d’un duel contre Sarkozy ? Fillon l’emporte haut la main. Aurions-nous enfin compris ? Serions-nous sortis de l’amnésie folle qui a effacé des années d’errements sondagiers ? Que nenni ! Rebelote avec la primaire de gauche : on nous annonce un duel serré Montebourg-Valls, voire l’arrivée inopinée du trouble-fête Peillon ? Hamon se promène et gagne tranquillement. Et les sondeurs de venir dérouler un discours d’excuses en bois, incapables de masquer leur charlatanisme. Et tous les junkies trop heureux de gober leurs mensonges, dans l’impatience d’un nouveau shoot.

Les primaires opèrent une inacceptable confiscation de l’élection, sa privatisation doublée d’un retour au vote censitaire, qui devrait faire hurler de colère tous les citoyens. Ces élections à quatre tours, en contradiction totale avec les institutions de la Ve République, consacrent le jeu des partis qui, quoique moribonds, conservent encore intacte une capacité de nuisance concentrée dans leur inertie. Pendant qu’on s’amuse ou qu’on s’afflige de voir ces ânes sur les écrans, tout absorbés que nous sommes par ces divertissements, la Démocratie et la République, déjà si affaiblies, reçoivent de nouveaux coups mortels et l’idée même de peuple souverain est congédiée dans l’indifférence générale.

Cincinnatus, 27 février 2017

Publié par

Cincinnatus

Moraliste (presque) pas moralisateur, misanthrope humaniste, républicain râleur, universaliste lucide, défenseur de causes perdues et de la laïcité, je laisse dans ces carnets les traces de mes réflexions : philosophie, politique, actualité, culture…

Une réflexion sur “Primaires : les leçons d’une faillite”

  1. Le ton est donné !
    Ne serait-il pas opportun que le président de la République intervienne « au 20 h » pour rappeler quelques règles de bienséance, pour défendre les institutions, appeler à un peu plus de maturité ? Sinon, le peuple se jettera dans des bras qui l’étoufferont ou tranchera (des têtes)

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