Totalitarismes, des religions politiques ? – 1. La mystique totalitaire

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Au fondement du régime totalitaire se trouve d’abord le principe holiste : l’idée qui développe sa propre logique, selon la définition arendtienne de l’idéologie. Or ce mouvement de l’idéologie est celui d’un irrationnel qui se donne pour scientifique, disqualifiant par là même le réel, empêchant de penser et s’auto-immunisant selon un processus gnostique, au sens de Voegelin. Sur celui-ci peuvent dès lors se mettre en place les mythes à la fois fondations et références du régime totalitaire.


Sommaire :
I. Le mouvement de l’idéologie
A/ La modernité du Realissimum
B/ De l’idée à l’idéologie
II. Le processus gnostique
A/ La gnose comme réponse à la crise de l’homme moderne
B/ Le système gnostique hégélien
C/ Le passage du système à l’individu
III. Les mythes
A/ De la gnose aux mythes
B/ Les mythes des totalitarismes
C/ La transmission des mythes


I. Le mouvement de l’idéologie

A/ La modernité du Realissimum

Les régimes totalitaires inscrivent leurs actions dans des lois se faisant passer pour hautement scientifiques. Qu’il s’agisse des lois (biologiques) de la nature pour le nazisme et son Blut und Boden, ou des lois de l’histoire dans l’expérience soviétique, le Realissimum, le principe central de la théorie totalitaire, se présente comme une explication absolument rationnelle du monde. L’alliance entre la téléologie et la prétention scientifique – dans le vocabulaire arendtien : entre l’historicisme et le scientisme – légitime une description totale du monde et de son devenir. Ainsi le régime se donne à comprendre non par ce qu’il est, mais par ce qu’il est appelé à devenir une fois sa prophétie achevée [1]. L’explication rationnelle du monde sert donc à annoncer la réalisation du principe fondateur dans un avenir fantasmé : la démocratie véritable après la dictature du prolétariat et la destruction de l’État, ou bien l’avènement de la race aryenne et la soumission des autres races au sein du Reich éternel.

En tant qu’explication et surtout que maîtrise du monde, l’ancrage dans la modernité est indéniable. Parler dès lors de « retour à la barbarie » ne fait pas sens. Si le nazisme regarde vers le passé et emprunte au romantisme allemand son admiration tant pour le Moyen-âge que pour une origine indo-européenne fantasmatique, il n’en demeure pas moins un rejeton, certes monstrueux mais enfant naturel malgré tout, de la modernité : « c’est précisément cette sécularisation de la vie, qui amena avec elle l’idée d’humanité, qui se trouve être le sol même sur lequel des mouvements religieux antichrétiens comme le national-socialisme ont pu naître et grandir. » [2] Le Realissimum s’appuie sur les résultats de la modernité pour établir son empire total et s’imposer comme dogme.

Néanmoins, la caractérisation de l’idée au fondement de l’idéologie par le terme de dogme mérite d’être précisée. En effet, la référence au principe peut servir de litanie légitimatrice, ses interprétations et ses modalités d’application pratique se voient quant à elles souvent adaptées en fonction des circonstances. Loin d’être un dogme rigide, il s’agit donc plutôt d’un principe justificatif auquel revenir quand le besoin s’en fait sentir. Ainsi dans le régime stalinien, par exemple, « une formule qui est considérée comme vérité doctrinale à un moment donné sort du dogme pour devenir simple question d’opportunité », pourtant « les bolcheviks ne sont pas des opportunistes qui utilisent n’importe quelle idée en vue de la puissance. Ils se définissent par une combinaison de fanatisme doctrinal et d’extraordinaire flexibilité dans la tactique ou dans la pratique. » [3]

Pour autant, l’élévation en valeur unique d’un critère explicatif du monde, au service de laquelle se met en place un « fanatisme doctrinal », se fait nécessairement par l’élimination de toutes les autres valeurs. Ainsi de la race dans le nazisme. Il puise chez Gobineau l’idée que celle-ci est le moteur de l’histoire de l’humanité. L’objectif de Gobineau est bien de constituer une nouvelle religion à partir d’une théorie générale de la civilisation, d’établir un culte de la race en disqualifiant toutes les autres valeurs :

La religion chrétienne étant inefficace et impuissante, le bouddhisme une perversion morale, le patriotisme une monstruosité chananéenne, la loi et la justice de simples abstractions, l’art une séductrice et une courtisane, la compassion envers les opprimés et la pitié envers les pauvres des illusions sentimentales, la liste était complète. Les nouveaux principes étaient désormais triomphants. [4]

Ce principe totalisant se donne donc pour scientifique alors qu’il est éminemment politique. En anéantissant les frontières entre les différentes sphères par sa prétention omni-explicative, à la fois scientiste et historiciste, il s’étend de manière contagieuse à l’ensemble des domaines de savoir et d’action. Cette extension sur le mode de la contagion par métastases correspond à la conception arendtienne de l’idéologie.

B/ De l’idée à l’idéologie

L’idéologie totalitaire s’apparente à un dogme au sens religieux du terme. Hannah Arendt, dans Les Origines du totalitarisme, montre que l’idéologie, conçue comme un ensemble de représentations du monde relativement structuré censé avoir des effets dans la société, n’est pas elle-même totalitaire [5]. L’idéologie ne devient potentiellement totalitaire que lorsqu’elle s’intègre à un système d’explication globale du monde. C’est donc la rencontre de l’« idée », c’est-à-dire du principe omni-explicatif, et de l’idéologie dans sa conception moderne, qui débouche sur l’idéologie totalitaire. Quels sont, dans le détail, les points communs entre l’idéologie totalitaire telle que la conçoit Hannah Arendt, et un dogme au sens religieux du terme ? D’abord l’idéologie totalitaire hérite de l’« idée » sa prétention omni-explicative. L’idéologie se présente comme un système d’explication globale. Certains témoins, par exemple, ont noté que Hitler rapportait tous les sujets potentiellement politiques à la doctrine nationale-socialiste. Ensuite, l’idéologie revêt un côté irrécusable. Elle est par nature irréfutable [6], et s’immunise par avance contre l’expérience. L’Union soviétique, par exemple, au lendemain de la guerre, explique que les Trente Glorieuses que connaît le monde occidental ne sont qu’un sursaut du capitalisme. L’idéologie permet ainsi aux régimes totalitaires de ne jamais se heurter à la réalité. Enfin, plus profondément, Hannah Arendt démontre que l’idéologie est d’abord, au sens propre, « la logique d’une idée » :

Les idéologies sont connues pour leur caractère scientifique : elles allient approche scientifique et résultats d’ordre philosophique, et ont la prétention de constituer une philosophie scientifique. Le mot « idéologie » semble indiquer qu’une idée peut devenir l’objet d’une science au même titre que les animaux sont l’objet de la zoologie : le suffixe logie, dans idéologie comme dans zoologie, ne désignerait rien d’autre que les logoï, les discours scientifiques tenus à son propos. S’il en était vraiment ainsi, une idéologie ne serait qu’une pseudo-science et qu’une pseudo-philosophie, transgressant à la fois les limites de la science et celles de la philosophie. Le déisme, par exemple, serait l’idéologie traitant l’idée de Dieu, qui intéresse la philosophie, à la manière scientifique de la théologie pour laquelle Dieu est une réalité révélée. (Une théologie qui ne serait pas fondée sur la révélation d’une réalité donnée, mais traiterait Dieu comme une idée, serait aussi folle qu’une zoologie qui ne serait plus certaine de l’existence physique, tangible, d’animaux.) Cependant nous savons que cela n’est que partiellement vrai. Le déisme, bien qu’il nie la révélation divine, ne s’en tient pas à des discours « scientifiques » sur un Dieu qui n’est qu’une « idée » ; il se sert de l’idée de Dieu afin d’expliquer le cours du monde. Les « idées » qui sont au centre des doctrines en « isme » – la race dans le racisme, Dieu dans le déisme, etc. – ne constituent jamais l’objet des idéologies et le suffixe -logie ne désigne jamais seulement un ensemble de proposition « scientifiques ». [7]

Enfin, pour Arendt, l’idéologie est une Weltanschauung qui détruit toutes les facultés de la pensée. Elle dispense l’individu de réfléchir en lui offrant systématiquement une béquille intellectuelle aux assises prétendument scientifiques. Cela est d’autant plus vrai que l’idéologie fonctionne comme un « sixième sens », comme un « sur-sens » qui abolit toute distance entre l’individu et l’idéologie. En conséquence, l’idéologie empêche de distinguer le bien et le mal. Ou plutôt : est identifié comme étant le bien ce qui s’accorde aux préceptes de l’idéologie.

Tout cela tend à rapprocher fortement l’idéologie totalitaire d’un dogme religieux. L’individu, dans la société totalitaire, éprouve une foi aveugle à l’égard de ce dogme. En effet, celle-ci en prétendant, à travers son principe fondateur, expliquer totalement le monde, entretient un rapport complexe au réel. Pour reprendre le mot d’Aron, « ces régimes s’efforcent de sauver l’idée qu’ils se font d’eux-mêmes, même lorsqu’elle a perdu toute relation avec le réel » [8], or l’idéologie possède simultanément une dimension performative dans la mesure où croire à une idée suffit parfois à la rendre vraie. Ainsi, croire à l’existence des classes leur donne une certaine forme d’existence puisqu’elles se définissent précisément par la conscience d’une opposition à l’intérieur de la société. La croyance dans le dogme se voit ainsi renforcée par cette volonté de transformer le réel par l’idéologie.

II. Le processus gnostique

[Dans les paragraphes suivants, je reprends les réflexions de Voegelin autour de ses concepts de gnose (y compris son analyse de Hegel) et de « religions politiques », bien qu’ils aient été discutés et qu’il ait pu lui-même revenir dessus à mesure que sa pensée a évolué. Ces concepts m’intéressent néanmoins par la manière dont ils permettent de rendre compte des jeux entre imaginaire et action, entre mythe et politique, et d’éclairer utilement la question de la part religieuse de ces régimes totalitaires.]

A/ La gnose comme réponse à la crise de l’homme moderne

Ce rapport complexe de l’idéologie totalitaire au réel s’ancre dans la modernité. En effet, le moderne peut se définir par sa vita activa, en opposition à la vita contemplitiva des anciens. Loin d’un rapport au monde passif, contemplatif, lui permettant de découvrir sa place et sa fin par l’observation de l’ordre hiérarchisé et harmonieux du cosmos, le Moderne voit le monde avant tout comme son terrain d’expérimentation, comme un objet de maîtrise. Le monde n’est plus un livre d’éducation dans lequel lire le chemin pour atteindre la vertu que l’homme possède en lui à l’état latent. Dorénavant, l’homme peut prétendre en comprendre les lois internes et jouer dessus afin de plier à sa volonté pure l’univers qui l’entoure [9].

Or ce nouvel état de l’homme moderne, ce nouveau rapport qu’il entretient avec le monde, porte en lui une crise de sens. L’homme peut se sentir déraciné, étranger face à l’absurde du monde, et chercher à le quitter pour se retrouver « chez soi ». Telle est l’attitude du gnostique car pour lui le monde n’est pas à découvrir, c’est avant tout une prison dont il doit s’échapper. La gnose peut ainsi se définir dans les termes de Clément d’Alexandrie :

La connaissance de ce que nous avons été et de ce que nous serons délivrés ; de l’endroit où nous étions, et du lieu où nous avons été précipités, du lieu vers lequel nous nous hâtons, de ce dont nous serons délivrés ; de ce qu’est la génération et la régénération. [10]

La promesse gnostique d’une délivrance par la connaissance active de la condition trouve une interprétation dans les idéologies totalitaires. Le principe totalisant qui en forme le cœur assure l’élu à la fois une explication « scientifique » à sa condition terrestre et la promesse mythique de sa délivrance future dans un monde enfin à sa propre mesure. Ainsi, par exemple de la race dans le nazisme :

Si on a pu parler de « gnose raciste » à propos du racisme […] c’est parce que la théorie, malgré ses prétendues assises historiques et scientifiques, débouche sur une vision mythico-religieuse, de type manichéen ; le monde est le lieu d’un combat métaphysique entre la race élue (aryenne) et la race maudite (juive), combat qui recouvre l’opposition traditionnelle entre le Bien et le Mal, entre Dieu et Satan. [11]

L’application à la version soviétique s’appuyant sur le dogme de la classe conduit à la même interprétation du totalitarisme en termes gnostiques : on y retrouve la justification historico-scientifique, la promesse de l’avènement d’un monde idéal après une apocalypse, la place favorisée des élus assimilés au Bien (la classe prolétaire en lieu et place de la race aryenne), l’ennemi assimilé au Mal (la classe bourgeoise pour la race juive)… et au centre, le rapport de crise avec le monde objectal représenté par la société capitaliste qu’il faut connaître (par l’analyse marxiste) pour faire advenir le nouveau monde (par la révolution).

B/ Le système gnostique hégélien

Néanmoins, s’il faut en croire Voegelin, le gnosticisme moderne n’est pas né avec les totalitarismes. Dans sa trajectoire continue depuis ses origines, le point nodal de sa modernité serait à chercher chez Hegel, qualifié de « plus grand des gnostiques spéculatifs » [12]. Le système hégélien et en particulier sa théorie de l’État auraient inspiré le culte de l’État dans les régimes totalitaires et porteraient en eux une conception proprement gnostique. Une justification de ce gnosticisme dans la philosophie hégélienne pourrait être trouvée, selon Voegelin, à partir de réflexions telles que :

La figure vraie dans laquelle existe la vérité ne peut être que le système scientifique de cette dernière. Contribuer à ce que la philosophie s’approche de la forme de la science – de ce but : renoncer à son nom d’amour du savoir et être savoir effectif –, voilà ce que je me suis proposé. [13]

Voegelin y voit la volonté de passage de la philosophie (« amour du savoir ») à la gnose (« savoir effectif »), et donc une « affirmation programmatique » du « renversement » de ces deux symboles : « le programme gnostique que Hegel réalise avec succès garde le nom de philosophie, et le système spéculatif où le gnostique déploie sa volonté de dominer l’être garde l’intitulé de science. » [14] Les totalitarismes se seraient donc inspirés de la gnose hégélienne pour réaliser à leur tour ce renversement afin d’établir sur sa théorie de l’État un système politique de domination à prétention scientifique. Or, si Hegel est souvent accusé d’avoir donné aux États totalitaires les fondements de leur légitimité, Cassirer montre justement que c’est là un faux procès ; ou tout du moins que, si la construction des États totalitaires a voulu se faire sur les bases du système hégélien, ceux-ci ne répondent en aucun cas à la vision du philosophe.

En déclarant qu’à chaque époque de l’histoire il n’y a qu’une nation et une seule représentant véritablement l’esprit du monde et ayant le droit de gouverner toutes les autres à ce titre, Hegel ouvre la possibilité du déchaînement des « statolâtries » nationalistes. Néanmoins, le système hégélien diffère grandement des théories de l’État total. La séparation des sphères morale et politique, développée notamment par Machiavel, implique que l’État n’a aucune obligation morale. Cependant [15], l’État a d’autres obligations dans la mesure où il relève de la sphère de l’« esprit objectif », amenée à subir le processus dialectique qui doit la transcender par la sphère de l’« Idée absolue ». Or, le développement de l’Idée en « trois moments l’art, la religion et la philosophie » préserve ces valeurs culturelles d’une instrumentalisation par l’État, bien qu’elles n’existent qu’en lui. Elles sont des fins en elles-mêmes, possèdent leur valeur indépendamment de l’État, mais sont poursuivies par les hommes dans le cadre de leur vie sociale. Cela signifie donc qu’il existe une sphère « supérieure au-dessus de l’esprit objectif incarné par l’État conçu comme pouvoir spirituel et par là même généreux. Il aura à cet égard pour devoir de ne jamais tenter de supprimer les autres énergies spirituelles, mais au contraire de les reconnaître et de les laisser libres. » [16] L’État totalitaire réalise précisément le contraire en cherchant à concentrer en lui toutes les formes de vie sociale et culturelle, idée combattue par Hegel : pour lui, l’État doit préserver les différences sociales et culturelles au nom de la liberté. Ce qui permet à Cassirer d’affirmer de manière plutôt convaincante : « Hegel pouvait porter l’État aux nues, le glorifier ou en faire l’apologie, il n’en demeure pas moins qu’il y a une nette différence entre l’idéalisation qu’il a pu en faire et l’espèce d’idolâtrie qui est la caractéristique des systèmes totalitaires modernes. » [17]

Néanmoins, si le système hégélien n’est pas celui de l’État total, il porte déjà en lui l’auto-immunisation à la critique que l’on retrouvera notamment dans celui de Marx. Selon Voegelin, la construction du système gnostique hégélien repose sur l’idée que « si je suis à même de construire un système, les prémisses de ce système sont par là même démontrées » [18]. Dès lors le système est légitimé par sa propre construction, sans admettre la possibilité d’une critique de cette construction, ni l’idée de la construction d’un système à partir de prémisses fausses. Cette critique par Voegelin du système hégélien correspond à ce que Popper appelle les « systèmes fermés », c’est-à-dire qui s’auto-immunisent contre toute remise en question de leurs fondements et de leur construction. Il oppose ainsi ces systèmes qui se prétendent scientifiques, parmi lesquels il cite la psychanalyse et le marxisme, aux « systèmes ouverts » qui acceptent la discussion dans le cadre d’une intersubjectivité – et répondent ainsi à son « critère de réfutation ». De tels « systèmes ouverts » peuvent se trouver aussi bien dans l’ordre politique, comme le libéralisme, que scientifique – ce sont alors les seuls à pouvoir prétendre à une quelconque scientificité [19]. Or, dans le domaine politique, le phénomène de fermeture du système par verrouillage de la capacité de critique se fonde sur l’irrationalité intrinsèque du politique. Traitant du social et des opinions, le politique, selon Voegelin, implique nécessairement que « la discussion intellectuelle dépasse le cadre de l’analyse et de l’argumentation, et devien[ne] la lutte existentielle au nom de la vérité et contre elle. » [20] Autrement dit, le politique est un lieu de passions de la société qui oppose une « résistance » aux tentatives régulatrices, « thérapeutiques », de la science. Or le danger survient quand la non-science se pare des atours de la science et lui dénie en retour toute rationalité. C’est là qu’intervient le « renversement » gnostique que Voegelin a identifié chez Hegel et dont tout le potentiel de manipulation du réel est développé dans les totalitarismes :

La résistance ne se radicalise et ne devient dangereuse que lorsque le questionnement philosophique lui-même est mis en question, quand la doxa adopte une forme philosophique, quand elle s’arroge le titre de science et interdit la pensée rigoureuse en la qualifiant de non-science. C’est seulement lorsque cet interdit peut être imposé avec quelque efficacité sur le plan de la société qu’est atteint le point où la ratio ne peut plus agir comme un remède au désordre des esprits. [21]

Il s’agit donc bien de la version la plus extrême de la fermeture d’un système au sens poppérien. Cette fermeture s’exerce à partir d’opinions données pour dogme afin que n’en soient pas interrogées les prémisses. Tout comme Popper, Voegelin prend le marxisme comme exemple de ces systèmes fermés et de cette auto-immunisation, de cette injonction à ne pas oser interroger le modèle de pensée, qu’il résume en paraphrasant Marx : « Quand “l’homme socialiste” parle, l’homme doit se taire. » [22] La conception historiciste du monde permet ainsi de résoudre toute tension entre la réalité et le bon sens, contre la raison. Car dans le conflit entre la réalité et le système, c’est toujours le système qui a raison et la réalité qui doit se plier à ses exigences.

En effet, « le tour de passe-passe intellectuel est légitimé par la revendication de se rendre maître de l’avenir historique que le penseur gnostique a ébauché spéculativement au sein de son système » [23] car en tant que Realissimum, le principe moteur du mouvement historique dépasse la réalité objectale pour devenir explication transcendante.

C/ Le passage du système à l’individu

L’interdiction de discuter le dogme s’étend du système aux individus, en servant d’excuse à leur comportement servile. Si les exemples ne manquent pas [24], le plus emblématique reste sans doute celui d’Eichmann, tel que rapporté par Hannah Arendt.

Eichmann a fait preuve d’un zèle qui allait au-delà du simple devoir. Il insiste lui-même, et c’est l’axe principal de sa défense, sur le fait que plus encore qu’aux ordres, il obéissait à la loi. Il déforme Kant en considérant que non seulement il faut obéir à la loi mais « agir comme si l’on était le législateur des lois auxquelles on obéit » [25]. D’où son zèle. Et lorsqu’il viole la loi en aidant des Juifs, il s’en confesse à ses supérieurs : il n’a fait que son « devoir ». Eichmann se défend d’avoir jamais tué lui-même, ni ordonné de tuer, il n’aurait fait que s’en remettre aux « paroles du Führer [qui] avaient force de loi » [26], et qui faisaient même office de loi fondamentale du régime. Il va ainsi jusqu’à accuser ceux qui avaient l’autorité d’avoir abusé de son obéissance. Eichmann ne se sent donc pas coupable : qui aurait-il été pour juger alors que toute l’élite était d’accord ? Son excès de modestie semble prévenir tout sentiment de culpabilité. À cela il ajoute, pour justifier sa tranquillité de conscience, le fait qu’il n’a vu personne s’opposer à la « solution finale ». La désobéissance ouverte était impossible et faire marche arrière absurde, il avait donc cherché à faire de son mieux pour « atténuer les souffrances inutiles ». Arendt note avec justesse que cela ne pourrait en rien lui servir de circonstance atténuante puisque « atténuer les souffrances inutiles » faisait justement partie des ordres qu’il recevait. Eichmann a au contraire toujours fait de son mieux pour rendre définitive la solution finale.

Se pose alors le problème de la folie d’Eichmann au sens médical ou juridique du terme, qui se conclut simplement : Eichmann n’est pas fou. Or comment une personne normale, ni folle ni endoctrinée ni cynique, peut-elle ne pas faire la distinction entre le bien et le mal ? Il aurait dû être conscient de la nature criminelle de ses actes. Le Troisième Reich était un contexte dans lequel seules les « exceptions » pouvaient adopter un comportement « normal » : il a inversé le rapport exception/normalité et produit un « effondrement moral […] dans la société européenne respectable […], non seulement chez les tortionnaires mais aussi chez la victime » [27]. Eichmann avait une conscience mais elle semblait s’être mise à « fonctionner à l’envers ». Si elle s’est parfois révoltée, ce n’était pas contre le meurtre, mais contre celui de Juifs allemands qu’il concevait différents, par exemple des Juifs de l’Est, parce qu’ils partageaient sa culture. À l’intérieur de l’Allemagne nazie, il s’agissait de faire taire en l’homme moins sa conscience que sa pitié, en retournant cette dernière sur le bourreau : de faire disparaître la violence visible en la noyant dans la guerre et en déplaçant le meurtre de la fusillade aux murs de la chambre à gaz [28]. Eichmann adopte ainsi le vocabulaire de Himmler et voit dans le fait « d’accorder une mort miséricordieuse » [29] un progrès sensible et une attitude moralement justifiée : l’amélioration des relations que le Reich entretenait avec les Juifs. L’euthanasie devient pour lui geste d’humanité et son discours rejoint celui d’autres criminels de guerre convaincus que leur attitude serait plus scientifique et plus avancée que l’opinion publique.

III. Les mythes

A/ De la gnose aux mythes

Le totalitarisme s’apparente à la gnose dans la mesure où « la théorie, malgré ses prétendues assises historiques et scientifiques, débouche sur une vision mythico-religieuse » [30] du monde. Autrement dit, l’élaboration de l’idéologie totalitaire s’accompagne immanquablement de la formation de mythes. Ces mythes (en grec, muthos signifie : récit, fable) expliquent de façon irrationnelle le monde fantasmé, mais présenté pour réel à la population, conçu par les idéologues totalitaires. La dimension idéologico-mythique du totalitarisme est un autre argument qui plaide en faveur d’un rapprochement entre totalitarisme et religion. Cet appel aux mythes est également révélateur d’une crise face aux exigences de la réalité.

Si l’on suit les développement d’Ernst Cassirer, les études ethnologiques montrent en effet qu’on fait appel aux mythes quand la situation devient désespérée et que la raison ne peut plus répondre aux exigences de la réalité. Ce constat s’applique aussi aux sociétés modernes pour lesquelles les « mythes politiques contemporains » sont de tels « moyens désespérés » [31]. Dans les sociétés fondées sur une organisation rationnelle, le mythe revient en force dès qu’une crise grave remet en question la capacité de la raison à assurer la sécurité pour laquelle est construit l’ordre politique. « On voit monter l’appel à la dictature quand un désir collectif a atteint une force écrasante et que n’existent pas en face les possibilités de le satisfaire par des moyens courants. » [32] Car « si l’homme moderne a cessé de croire en une magie naturelle, il n’a aucunement renoncé à croire en une sorte de “magie sociale”. Quand un désir collectif est ressenti fortement et intensément, les hommes sont facilement persuadés qu’il ne leur manque que l’homme de la situation pour qu’il s’accomplisse. » [33]

Il convient toutefois de se demander dans quelle mesure et jusqu’à quel point on peut parler réellement de « mythes » concernant le totalitarisme. Mircéa Eliade a donné une définition du mythe qui correspond mieux aux productions mythiques des sociétés archaïques et traditionnelles qu’aux mythes produits par les totalitarismes. Néanmoins, la sociologie contemporaine a mis en évidence « le concept de mythe politique, au sens “d’une image globale motrice”, irrationnelle et inconsciente, qui permet de mobiliser les masses en vue de l’action politique. » [34] C’est en se référant à cette définition que l’on peut pousser plus loin l’analyse des mythologies totalitaires.

B/ Les mythes des totalitarismes

Comme le précise Jean-Pierre Sironneau, « tous les mythologues ont noté la complémentarité des deux structures mythiques qui se rapportent au temps : le prestige des commencements et l’annonce de la fin du monde comme condition du royaume à venir » [35]. Or, on retrouve bien dans la mythologie nazie ces « deux structures mythologiques de la temporalité, le prestige des origines et la visée eschatologique. » [36] Les nazis se sont appliqués, en effet, à élaborer un « mythe d’origine » destiné à renforcer chez les Allemands le sentiment d’appartenir à une race élue supérieure à toutes les autres :

Pour l’homme religieux traditionnel, l’essentiel c’est ce qui s’est passé à l’origine. Le présent n’a de valeur qu’en tant qu’il s’enracine dans ce passé originaire où les dieux et les ancêtres ont créé le monde et apporté aux hommes les fondements de l’ordre social. Les mythes cosmogoniques racontent la naissance du Cosmos et les mythes d’origine la naissance des peuples ; le mythe d’origine, grâce au prestige des commencements pour la mentalité archaïque, sert ensuite de modèle, de référent ultime pour les situations historiques à venir. [37]

Autrement dit, l’importance du mythe d’origine dans le national-socialisme révèle le caractère archaïque de l’idéologie nazie. C’est une véritable « substitution mythique » que veulent opérer les nazis s’agissant du mythe d’origine.

Dans le nazisme, nous assistons à la tentative de remplacement du mythe d’origine judéo-chrétien, jusque-là officiel et dominant, par un vieux mythe d’origine indo-européen, antérieur au christianisme, que Poliakov désigne sous le nom de « mythe aryen » ou mythe des origines nordiques. […] Face à la foi judéo-chrétienne est proclamée une « foi allemande », une « contemplation allemande » de Dieu dont la source est dans la vie et dans la nature et non pas dans une personne transcendante. [38]

Il s’agit de rétablir par la force un paganisme restauré face à la tradition judéo-chrétienne, comme si la victoire mythologique du nazisme était la condition de sa victoire idéologique. L’assignation autoritaire du mythe aryen est ici une façon de s’assurer le contrôle des esprits. De la même façon, « au dieu-père judéo-chrétien tend à se substituer un dieu maternel aryen [39]. »

En quoi consiste précisément ce mythe d’origine aryen ? On y trouve différentes thématiques. La première est celle de l’ancêtre primordial. La réactivation du mythe permet ici de retrouver le lien avec les ancêtres divins, les aryens des origines – lien qui repose sur la « pureté raciale ». C’est ce qui explique le mythe du « sang pur », ce dernier étant un gage de parenté avec les dieux des origines. Pour les nazis, seule la race aryenne des origines a véritablement été créatrice dans l’histoire de l’humanité, raison pour laquelle il apparaît nécessaire de s’y rattacher grâce à cette théorie du « sang pur », de la « race pure ». Il faut cultiver l’idée qu’aucun élément extérieur n’est venu « souiller » les qualités originelles qui se sont perpétuées à travers les âges dans la race allemande. Or, retrouver la pureté originelle, c’est aussi éliminer les « races inférieures » qui pourraient la menacer : le sang (comme la terre), notion centrale dans la mythologie nazie.

Une autre thématique mise en avant par le mythe aryen est l’exaltation du héros noble. « Non seulement il faut se plonger dans le passé originel mais il faut retrouver ce qui en constitue l’essentiel : la noblesse héroïque. » [40] Cette volonté de renouer avec les valeurs de la noblesse teutonique médiévale se révèle par exemple dans la formation des SS :

Même si la formation des SS apparaît comme une caricature de ce qu’était autrefois l’ordre des nobles et des chevaliers, l’intention n’en était pas moins explicite : créer une race d’hommes analogue à l’antique noblesse germanique. Le vocabulaire et les pratiques de la noblesse chevaleresque étaient largement utilisés. [41]

Il s’agit donc pour les nazis de créer une nouvelle noblesse, de constituer une race de chefs capable de régénérer la « race germanique » et de dominer le monde.

La mythologie nazie insiste sur le prestige des origines, peignant le tableau d’un Reich qui plonge ses racines dans la nuit des temps, afin de montrer qu’il ne doit rien à la modernité. Cette origine mythique du Reich va cependant de pair avec une annonce de la fin du monde, condition nécessaire à l’avènement d’un « Reich de mille ans ». Il existe un lien étroit entre ces deux structures temporelles de la mythologie nazie, entre l’exaltation des origines et la dimension eschatologique et millénariste du national-socialisme :

Dans le millénarisme apparaît avec clarté le lien entre la perfection des commencements et la perfection de ce qui va venir, après la destruction du monde présent. […] Entre le mythe aryen, déjà analysé, et l’attente millénariste présente dans le national-socialisme, la même solidarité existe : le millénium nazi, c’est la restauration de l’homme aryen dans sa pureté originelle. [42]

La dimension eschatologique de la mythologie nazie se conçoit comme la résolution d’une dialectique très simple : 1/ une culture germanique primitive incarnait les desseins de Dieu ; 2/ elle est pervertie par les capitalistes et les peuples inférieurs ; 3/ elle sera restaurée par une élite nouvelle sous la conduite d’un sauveur. Dès lors, le retour aux origines apparaît comme une nécessaire régénération :

Il y a là un thème commun à tous les mythes cosmogoniques : la création originelle était parfaite, puisque les ancêtres vivaient dans la proximité des dieux ; ils imitaient tout naturellement le geste archétypal du dieu créateur ; ils étaient dépositaires des techniques, des connaissances, des vertus transmises par les dieux. Le retour à la pureté des origines constitue pour un peuple la garantie de sa survie et la condition de sa régénération (Mircéa Eliade, Aspects du mythe, Gallimard, 1963). Tous les millénarismes contiennent, si l’on en croit Mülhmann, cet élément mythique : la nécessité de la restauration de la pureté originelle apparaît, à un moment ou à un autre, dans le déroulement des phénomènes millénaristes. [43]

La dimension apocalyptique constitue un élément central des imaginaires des totalitarismes, de leurs références, comme de leurs discours idéologiques : « Le symbolisme de l’apocalypse perdure dans le symbolisme du XIXe et du XXe siècle, dans les trois stades de la philosophie de l’histoire de Marx et d’Engels, dans le Troisième Reich du national-socialisme, dans la Troisième Rome fasciste, après l’antique et la chrétienne. » Par ailleurs, « la croyance à la venue de celui qui inaugurera le règne nouveau, le “cinq cent, cinq et dix” de Dante (DVX), est présente dans les figures et les mythes des Führer de notre temps ; et les ordres du nouveau règne prennent la forme des associations et des élites communistes, fascistes ou nationales-socialistes qui deviennent ainsi le noyau de la nouvelle organisation. » [44]

L’eschatologie nazie annonce ainsi un monde nouveau : le Reich de mille ans [45], officiellement proclamé le 5 septembre 1934 à Nuremberg devant 300 000 nazis. Il comporte l’idée que les règles de vie du peuple allemand sont fixées pour les mille ans à venir et qu’aucune révolution ne viendra les perturber. « L’annonce du royaume millénaire est donc bien au centre du projet hitlérien, même si la promesse de domination collective remplace l’habituelle promesse de réconciliation dans la jouissance heureuse des biens matériels. » [46]

Le caractère millénariste du nazisme est encore confirmé par l’idée qu’il ne peut y avoir deux peuples élus. Les Allemands sont le véritable peuple élu : leur lien direct, grâce à la pureté de leur sang, avec les divinités aryennes en atteste. Ils doivent en conséquence mener une lutte sans merci contre la race maudite, les Juifs, rejouant le scénario millénariste du gigantesque combat entre le Bien et le Mal précédant la venue royaume millénaire. La purification et la rédemption par la guerre et la violence appartiennent aux idées fixes des mouvements millénaristes ; s’y ajoute, pour compléter la dimension eschatologique du totalitarisme, un thème messianique : « Dans le scénario millénariste, la venue du Royaume et le salut sont l’œuvre d’un envoyé de Dieu (Messie) qui peut être roi-rédempteur, sauveur ou juge suprême. » [47] Ce messie, dans le cas du nazisme, prend la figure de Hitler qui proclamait d’ailleurs hautement qu’il se considérait comme l’envoyé de Dieu.

C/ La transmission des mythes

Dans les sociétés traditionnelles, les mythes constituent un terreau culturel commun : leur transmission verticale, c’est-à-dire d’une génération à l’autre, s’effectue par le biais de l’éducation, avec parfois des relais privilégiés (chamans, prêtres-sorciers…). Dans le totalitarisme, les mythes sont imposés par l’État total, leur transmission n’est donc pas verticale (de génération en génération depuis les temps les plus reculés) mais horizontale : l’État, par la propagande, veut en imprégner la plus grande partie de la population. Cette propagation des mythes, cette assignation autoritaire de la mythologie totalitaire, est une façon de s’assurer le contrôle des esprits : toute la population doit voir le monde avec les mêmes yeux.

[Les politiciens modernes] sont devenus les prêtres d’une nouvelle religion entièrement irrationnelle et mystérieuse, tout en procédant très méthodiquement dès qu’il s’agissait de défendre et de propager cette religion. Rien n’a été laissé au hasard ; toute démarche a été soigneusement préparée et préméditée. C’est cette étrange combinaison qui est l’un des traits les plus marquants de nos mythes politiques modernes. Le mythe a toujours été décrit comme le résultat d’une activité inconsciente ainsi que comme une libre production de l’imagination. On sait qu’il existe des artisans très habiles et très subtils capables de fabriquer des choses entièrement artificielles. Il appartient au XXe siècle, cette grande époque technique, d’avoir développé une nouvelle technique du mythe. Les mythes ont dorénavant été fabriqués de la même façon et selon les mêmes méthodes que n’importe quelle arme moderne – qu’il s’agisse de fusils ou d’avions. C’est là un fait nouveau – et un fait crucial ! Ceci a changé l’ensemble de la vie sociale. [48]

Voegelin décrit bien cette « nouvelle technique du mythe » dont parle Cassirer :

Le caractère pragmatique de la foi intramondaine a pour conséquence que l’homme qui conçoit la religion de cette manière est prêt à connaître la technique psychologique de la génération des mythes, de la propagande et de leur affirmation sociale, mais qu’il ne se laisse pas pour autant troubler par ce savoir dans sa foi. Si tout ce qui peut promouvoir la communauté est vrai, alors les moyens qui permettent d’affirmer le mythe fondateur de la communauté sont non seulement les bons moyens dans le sens technique, mais également justifiés et même nécessaires dans l’esprit religieux communautaire. Il fut dès lors possible de développer la technique de la propagande des mythes à son haut niveau actuel, sans que le fait même de la propagande ne détruise sa propre raison d’être. Les recherches de la psychologie des profondeurs sur la vie instinctive de l’individu et des masses ont pu être utilisées techniquement, sans que cet appel au caractère instinctif ait provoqué des oppositions. L’étude du fond instinctuel a aussi peu conduit à une rationalisation de la personnalité que la critique de l’idéologie n’a conduit à la destruction de la croyance en une révélation intramondaine. Bien au contraire, elle a mené à la constatation que la haine était plus forte que l’amour, et que dès lors la libération des pulsions agressives et l’encouragement des attitudes de haine étaient les moyens privilégiés pour la réalisation des buts communautaires. [49]

Il s’agit bien, par la propagande ayant trait à la mythologie, de faire main basse sur les esprits. En effet, les opinions des hommes dictant leurs actions, s’assurer de la direction des opinions revient à se garantir la paix : dès lors que l’idéologie définit le vrai et le faux, toute opinion mettant en danger la communauté est par avance disqualifiée puisque contraire à l’idéologie, donc au vrai. Ainsi, le contrôle des esprits par la propagation des mythes totalitaires a-t-il quelque chose à voir avec la psychologie des foules : « La société industrielle moderne a donné au régime soviétique des moyens d’action dont aucun despotisme du passé n’avait disposé, le monopole des moyens de persuasion et des techniques nouvelles d’action psychologique. » [50]

Au finale, la propagande des mythes a pour objectif de constituer la communauté : « est tenu pour vrai ce qui favorise l’existence de la communauté nationale intramondaine, clôturée organiquement. La connaissance et l’art, le mythe et les mœurs sont vrais à partir du moment où ils sont au service du peuple uni par les liens de la race. » [51]

Suivant : 2. La communauté élue

Cincinnatus, 13 juillet 2020


[1]

Le communisme se définit moins par sa pratique actuelle que, au moins à ses propres yeux, par l’idée qu’il se fait de lui-même et par les objectifs qu’il prétend atteindre

Raymond Aron, Démocratie et totalitarisme, Folio essais, p. 238

[2] Eric Voegelin, Les religions politiques, Les éditions du Cerf, p. 26

[3] Raymond Aron, Démocratie et totalitarisme, op. cit., p271

[4] Ernst Cassirer, Le mythe de l’État, NRF Gallimard, p. 331

[5] Je développe ici certaines idées déjà abordées dans la série de billets que j’ai consacrée à « L’idéologie et l’utopie selon Paul Ricœur » en me concentrant sur l’analyse de l’idéologie totalitaire chez Hannah Arendt.

[6] Au sens de la réfutabilité des théories scientifiques selon Karl Popper.

[7] Hannah Arendt, Les origines du totalitarisme, le système totalitaire, Points Seuil essais, p. 216

[8] Raymond Aron, Démocratie et totalitarisme, op. cit., p. 239

[9] Résumé très grossier d’un phénomène qui mériterait des développements plus approfondis et plus nuancés. Pour une analyse un peu plus fine dans le domaine scientifique, voir mon billet « Le tournant de la « modernité » selon Alexandre Koyré ».

[10] Définition de la gnose citée par Voegelin in Eric Voegelin, Science, politique et gnose, Bayard, p. 17.

[11] Jean-Pierre Sironneau, Sécularisation et religions politiques, Mouton, p. 271

[12] Eric Voegelin, Science, politique et gnose, op. cit., p. 57

[13] Georg Wilhelm Friedrich Hegel, La phénoménologie de l’esprit, Paris, Gallimard (trad. G. Jarczyk et P.-J. Labarrière), p. 23 [éd. Hoffmeister, p. 12]. Cité par Voegelin in Eric Voegelin, Science, politique et gnose, op. cit.,  p. 56

[14] Eric Voegelin, Science, politique et gnose, op. cit.,  p. 58

[15] Je reprends ici peu ou prou l’interprétation du système hégélien par Cassirer dans Ernst Cassirer, Le mythe de l’État, op. cit., p. 371

[16] Ibid.

[17] Ibid., p. 373

[18] Eric Voegelin, Science, politique et gnose, op. cit.,  p. 59

[19] Voir mon billet « La réfutabilité des théories selon Karl Popper »

[20] Eric Voegelin, Science, politique et gnose, op. cit., p. 31

[21] Ibid., p. 32

[22] Ibid., p. 38

[23] Ibid., p. 39

[24] Voegelin cite notamment celui de Rudolph Höss, ibid.

[25] Hannah Arendt, Eichmann à Jérusalem, Folio histoire, p. 257

[26] Ibid., p. 275

[27] Ibid., p. 240

[28] Ibid., p. 208 et suivantes

[29] Ibid., p. 214

[30] Jean-Pierre Sironneau, Sécularisation et religions politiques, op. cit., p. 271

[31] Ernst Cassirer, Le mythe de l’État, op. cit., p. 376

[32] Ibid., p. 378

[33] Ibid., p. 379

[34] Ibid., p. 278. Cassirer fait référence à Sorel, Monnerot, Seurin, Ellul.

[35] Jean-Pierre Sironneau, Sécularisation et religions politiques, op. cit., p. 286

[36] Ibid., p. 279

[37] Ibid.

[38] Ibid., p. 280-281

[39] Ibid., p. 282

[40] Ibid., p. 285

[41] Ibid., p. 286

[42] Ibid., p. 287

[43] Ibid., p. 285

[44] Eric Voegelin, Les religions politiques, op. cit., p. 73

[45]

Le terme « Reich », d’origine celtique, a toujours été chargé d’un sens religieux et sacré. L’expression « Troisième Reich », empruntée au titre du livre de Moeller van der Bruck, publié en 1923, rejoint explicitement l’annonce d’une « troisième ère », celle de l’Esprit, inscrite dans les prophéties millénaristes et joachimites. Moeller van der Bruck s’inspirait d’ailleurs d’un écrivain millénariste russe, Merejkowski, auteur du « Christianisme du Troisième Testament ». Pour les nazis le millénium à venir (ou IIIe Reich) serait un empire où la race des seigneurs, la race germanique, dominerait les autres races humaines inférieures, vouées à la condition d’esclaves.

Jean-Pierre Sironneau, Sécularisation et religions politiques, op. cit., p. 290

[46] Ibid., p. 291

[47] Ibid., p. 292

[48] Ernst Cassirer, Le mythe de l’État, op. cit., p. 380-381

[49] Eric Voegelin, Les religions politiques, op. cit, p. 92

[50] Raymond Aron, Démocratie et totalitarisme, op. cit., p. 316

[51] Eric Voegelin, Les religions politiques, op. cit., p. 91

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Cincinnatus

Moraliste (presque) pas moralisateur, misanthrope humaniste, républicain râleur, universaliste lucide, défenseur de causes perdues et de la laïcité, je laisse dans ces carnets les traces de mes réflexions : philosophie, politique, actualité, culture…

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