Inutile, injuste et idéologique : la réforme des retraites

Grève au pays de Charleroi, Robert Koehler (1886)

D’après le gouvernement, il manquera 12 milliards d’euros au système de retraites en 2027, soit un déficit cumulé d’environ 150 milliards d’euros à dix ans. Il n’y a aucun consensus à propos de ces chiffres (comme l’économie, les projections démographiques relèvent bien plus de l’astrologie que de la science), le gouvernement choisissant soigneusement les scénarios qui lui conviennent alors que différents modèles montrent pour leur part un retour rapide à l’équilibre. Admettons cependant un moment les hypothèses macronistes, largement catastrophistes.

Lire la suite…

Le droit à la paresse

La Méridienne, Vincent van Gogh (1889-1890)

Mais qu’ont-ils fait du pamphlet de Paul Lafargue [1] ?

À l’occasion de la nouvelle réforme des retraites voulue par le Président de la République, l’espace public est saturé des empoignades entre bourgeois qui n’ont jamais travaillé de leurs mains. S’opposent dans la stratosphère des néolibéraux qui rêvent de revenir à un XIXe siècle à la Dickens et mitraillent le code du travail et les acquis sociaux au nom de la concurrence de la Chine et du Bangladesh, modèles du genre ; et des gauchistes de salon dont la vision puérile se limite à un monde entièrement voué à la jouissance sans entrave sous la tyrannie bienveillante de la moraline et de la nunucherie. Entre sacralisation et malédiction, l’idée de travail devient l’otage des postures moralisantes.

Lire la suite…

Une tragédie française

Dante et Virgile dans le neuvième cercle de l’Enfer, Gustave Doré (1861)

Il était une fois un pays qui ne voulait plus s’aimer.

Lire la suite…

Liberté des uns, contrôle des autres

Le Tasse à l’Hôpital Sainte-Anne de Ferrare, Eugène Delacroix (1839)

Il y a, dans l’idéologie néolibérale [1] et, plus encore, dans sa manière de s’appliquer, un paradoxe apparent : d’un côté, une défense lyrique de la liberté (malgré une définition discutable), en particulier individuelle et économique ; de l’autre, une volonté de contrôle dont l’intensité et le périmètre ne cessent de s’accroître. N’y voir qu’une contradiction ou une hypocrisie ferait passer à côté de l’essentiel.

Lire la suite…

Il n’y a pas de sot métier ?

Quelle modernité formidable qui, pour résoudre la crise du chômage de masse, certes sans grand succès jusqu’ici, a décidé d’inventer chaque jour de nouveaux métiers shadokiens ! L’anthropologue David Graeber l’a théorisé avec l’expression « bullshit jobs », d’autres ont étendu et approfondi le concept, mais l’idée est évidente à quiconque observe avec un tant soit peu d’honnêteté le monde du travail. Celui-ci est métastasé par des boulots socialement inutiles, voire nuisibles, souvent payés une misère tout juste suffisante pour survivre – ou parfois, au contraire, une fortune scandaleusement imméritée. Et pendant ce temps, les vrais métiers peinent à trouver des volontaires, sont méprisés et sous-payés. Une époque formidable, vous dis-je [1] !

Lire la suite…

Nous aurons froid cet hiver…

Maison de thé à Koishikawa, le matin après une chute de neige, Katsushika Hokusai (v. 1830)

Le prix de l’énergie explose, nous devons donc baisser le chauffage à 19°C – voilà la solution du gouvernement français pour résoudre la grave crise à la fois énergétique et économique qui nous tombe dessus. « C’est un peu court, jeune homme ! », rétorquerait Cyrano. En effet, rien de ce qui nous arrive ici ne résonne comme un coup de tonnerre dans un ciel sans nuage. Bien au contraire ! Toutes les politiques énergétiques depuis trente ans tendaient vers cette crise ; la guerre en Ukraine n’a servi que d’étincelle au milieu d’un entrepôt savamment chargé de poudre.

Lire la suite…

Au boulot !

544px-edvard_munch_-_workers_on_their_way_home_-_google_art_project
Travailleurs de retour à la maison, Edvard Munch (1913-1914)

On se bouge, bande de feignasses ! Il y en a marre de cette mentalité capitularde d’enfants gâtés, incapables de bosser cinq minutes sans venir pleurnicher que c’est trop dur gna gna gna, que le chef est méchant gna gna gna, qu’ils ont besoin de faire une pause pour poster une photo d’eux sur instagram gna gna gna… Cette démocratie décadente encourage la paresse sur fond de boursouflure égotique. Les Chinois, par exemple, c’est clairement pas des bras cassés, eux. Et c’est pour ça qu’ils conquièrent le monde.
Lire la suite…

Et maintenant ?

b9730560035z.1_20220410232917_0002bguqk9d5ap.4-0
Photos : AFP

La campagne

La campagne pour le premier tour fut spectrale. Exclusivement animée par les outsiders, les deux principaux candidats ont délibérément choisi de la snober en refusant le débat afin de verrouiller leur « qualification » [1] pour le second tour. Dans un parfait numéro de duettistes, Emmanuel Macron et Marine Le Pen ont confisqué l’élection. L’espace public n’a bruit que de polémiques médiocres et de buzz infantile.
Lire la suite…

Éric Zemmour : les synthèses impossibles

(Farce tragique en trois actes)

eric-zemmour-relaxe-en-appel-pour-des-propos-anti-islam-et-anti-immigration-tenus-en-2019
Photo : Joel Saget/AFP

Éric Zemmour est peut-être, dans cette élection, le plus intéressant des candidats – non par l’éventuelle proximité entre lui et moi que certains se plaisent à imaginer (ce billet risque de les décevoir et j’ai déjà dit, la semaine dernière, ma préférence [1]) mais, de mon point de vue, pour ce qu’il fait et dit de la guerre idéologique à l’œuvre. Les trois idéaux-types des familles de pensée politique que j’observe et analyse ici depuis un petit moment [2] – républicanisme, néolibéralisme et identitarisme – me semblent toujours une grille d’analyse pertinente… d’autant plus en ce qui concerne celui qui voudrait en incarner la synthèse impossible.
Lire la suite…

Fractures sociales ; fractures territoriales

38Oo2qex.jpg large

Le thème de la « fracture sociale » fut soufflé à Jacques Chirac pour la campagne de 1995 par le visionnaire Philippe Séguin. Presque trente ans plus tard, le regretté gaulliste social et ardent défenseur de la souveraineté nationale au destin contrarié [1] aurait sans doute bien des choses à nous dire. La question, difficile à l’époque, semble être devenue insoluble, tant elle subsume, aujourd’hui, un nombre vertigineux d’autres tensions dans la société française. À la fracture sociale, sans doute à mettre elle-même au pluriel, s’ajoutent des fractures économiques, culturelles, identitaires, territoriales, générationnelles, idéologiques… qui, sans se superposer tout à fait, s’aggravent mutuellement et concourent ensemble à accroître le ressentiment national.
Lire la suite…