Écologie : entre tartuffes et idiots inutiles

Avec le retour du printemps, j’inaugure ici une série de trois petits billets sur l’écologie. Chacun pourra être lu séparément même s’ils forment un tout cohérent.

Le réchauffement planétaire[1] est le plus grave danger qui pèse sur l’homme, ses sociétés et l’ensemble de la planète. Dire que nos générations seront jugées sur leur capacité à y répondre, c’est ne pas comprendre qu’il n’y aura sans doute personne pour nous juger si nous échouons.
Rien de moins.
Et toutes les questions environnementales sont liées : réchauffement planétaire, destruction de la biodiversité, extinction des ressources fossiles et crise énergétique, pollutions, agriculture intensive, malbouffe… Chacune doit recevoir des réponses adaptées, mais aucune ne peut être pensée indépendamment des autres : c’est là l’une des difficultés principales.

Si l’écologie est d’abord une science[2], le terme désigne également le mouvement qui cherche à répondre à toutes ces questions.
C’est un mouvement, pas un courant de pensée structuré en une idéologie. Il n’y a pas une pensée de l’écologie mais un nombre presque infini de tentatives d’aborder cette question de civilisation.
De telle sorte que la tentative de hold-up d’un parti politique m’a toujours paru pour le moins suspecte[3] : les bouleversements environnementaux radicaux en cours et à venir imposent à tous de se positionner sans qu’un groupement politique ne puisse se présenter, avec candeur ou malhonnêteté (peu importe), comme le défenseur de l’environnement. Confiscation déplorable.

*

Il y a donc des conceptions de l’écologie et des réponses aux catastrophes environnementales en cours, qui peuvent être plus ou moins sincères, plus ou moins réalistes, plus ou moins dangereuses.

La palme de la tartufferie revient à ces adorateurs du marché qui ont rapidement perçu dans la crise planétaire les possibilités de faire du fric[4] : investir dans la nature pour faire du profit. L’intégration de la dimension écolo à leurs discours se fait dans un sophisme impeccable : « jusqu’à maintenant, nous avons échoué, alors autant essayer autre chose – puisque le marché peut tout régler, le marché peut régler la question environnementale en soumettant la nature à la loi de l’offre et de la demande. »

Le réchauffement climatique ? Un marché du CO!
La fin du pétrole et la crise énergétique ? Les agro-carburants !
La destruction de la biodiversité ? La brevetabilité du vivant et les bio-banques !

Folie ou sens des affaires ? Sans doute les deux et peu importe qu’en fin de compte tout cela ne soit qu’un ramassis de mensonges ni écolo ni même cohérent, tout problème trouve sa solution dans une nouvelle extension du domaine du marché. Le capitalisme toujours plus loin.

Leur dogme dit : seul ce qui a un prix a une valeur. Ils donnent donc un prix à la nature. Raisonnement d’une profonde perversité qui a conduit à la création des « bio-banques » qui vendent des droits à détruire des écosystèmes transformés en produits. En prétendant protéger la nature, on vend des permis de la détruire ! Ou le marché appliqué aux espèces en danger et la nature réduite au rang de banale marchandise.

Et en plus, on peut parer cela des atours du « Progrès ». En son saint nom, on flatte la FNSEA comme on se couche devant les pollueurs, en affirmant haut et fort à quel point on défend l’environnement et les générations futures. Mensonges, mystifications, impostures. Le green washing n’est que de la poudre aux yeux néolibérale qui applique le modèle de l’entreprise jusqu’à la nature et privatise l’environnement pour en tirer un maximum de fric.

Et derrière ces marchés, qui trouve-t-on ? qui gagne à chaque fois ? des noms bien connus : JP Morgan, Goldmann Sachs… des grandes banques d’affaire réputées pour leur altruisme et leur philanthropie !
À la bêtise crasse ou ajoute donc l’indécence putassière.
Tout ne peut pas être réduit au dieu-pognon.

*

Si les réponses de ces escrocs tiennent au seul mot de « marché », une autre tribu se montre tout aussi monomaniaque : celle des techno-béats qui n’ont que le mot « science » à la bouche. Ils sont d’ailleurs souvent manipulés par les premiers et leur servent d’idiots utiles. La fraîcheur de leur naïveté renouvelle le genre du scientisme si en vogue au XIXe siècle en le faisant passer pour terriblement nouveau – belle illusion qui les trompe eux-mêmes.

Pour eux, quoi qu’il arrive, les progrès scientifiques et techniques permettront de s’en sortir.
Tu l’as vu mon beau happy end cybernétique ? Ma belle société hydrogène, fondée sur une énergie inépuisable, propre et tout et tout. Mouais. Sauf qu’on n’a aucune assurance que ce soit un jour possible et, quand bien même, à quel horizon ? Et on fait quoi en attendant ?

S’en remettre à l’avenir pour régler les problèmes d’aujourd’hui : à la fois faute logique et irresponsabilité coupable vis-à-vis des générations futures. Se reposer uniquement sur la science et la technique pour résoudre les crises qu’elles ont-elles-mêmes engendrées, c’est ne rien comprendre à la spécifié de la technoscience contemporaine. Car depuis au moins le milieu du XXe siècle, on est bien loin des idéaux d’une science pure. Les enjeux scientifiques, techniques, industriels, économiques, sociaux, politiques sont à tel point mêlés que rêver encore à une Science avançant main dans la main avec l’Histoire sur le chemin du Progrès universel relève de la psychiatrie ou du trip sous acide.
Blague à part, on ne peut croire sincèrement que ce sont la science et la technique qui nous sauveront miraculeusement et qu’il faut juste avoir foi en l’avenir.

La raison commanderait de considérer la science et la technique à la fois comme une partie du problème et une partie de la solution[5]. Car la science a bien entendu sa place et son rôle à jouer : prétendre le contraire c’est plonger dans l’obscurantisme le plus dégueulasse. Mais une autre forme d’obscurantisme consiste à la parer d’une aura de toute-puissance et à la laisser se vautrer dans la tentation démiurgique.

À suivre…

Cincinnatus,


[1] Je refuse de parler de « changement climatique ». Au départ, l’expression est « global warming ». Jugée trop négative par les lobbies pétroliers, ils ont dépensé des millions de dollars et mené des campagnes de communication très agressives pour que le terme officiel devienne « climate change » parce qu’un changement, dans l’absolu, c’est neutre. Ça peut même être positif. Le combat des mots est capital et toute concession à la novlangue est une capitulation.

[2] « L’étude des milieux où vivent les êtres vivants ainsi que des rapports de ces êtres entre eux et avec le milieu » selon le Petit Robert.

[3] Et pas qu’à moi, heureusement !

[4] Ils sont en cela bien plus malins que les purs négationnistes environnementaux qui dépensent sans compter pour discréditer le GIEC.

[5] Voir, par exemple, La Face cachée du numérique. L’impact environnemental des nouvelles technologies (Fabrice Flipo, Michelle Dobré et Marion Michot, 2013).

Publié par

Cincinnatus

Moraliste (presque) pas moralisateur, misanthrope humaniste, républicain râleur, universaliste lucide, défenseur de causes perdues et de la laïcité, je laisse dans ces carnets les traces de mes réflexions : philosophie, politique, actualité, culture…

4 réflexions au sujet de “Écologie : entre tartuffes et idiots inutiles”

  1. Vous avez raison sur les points que vous évoquez . J’attend sur vos prochains billets des solutions 🙂 (parce qu’une fois qu’on a lu ces critiques, on reste un peu sur sa faim et on voudrait connaître vos propositions)

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    1. Merci pour ces encouragements.
      Les « propositions » feront l’objet du troisième billet de la série. Et encore… je ne prétends certainement pas posséder des solutions au plus grand danger que l’humanité a jamais encouru ! J’essaierai juste d’esquisser des pistes, de pointer, peut-être, des leviers possibles à actionner…
      Mais d’ici là, dans le prochain billet, je risque de faire grincer des dents y compris parmi mes amis. A suivre, donc !

      Cincinnatus

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  2. De même que la guerre est une chose trop sérieuse pour être confiée aux militaires, l’écologie est une chose trop sérieuse pour être confiée aux écologistes, (mais bon hélas il n’ y a qu’eux que cela intéresse alors on fait avec).

    Un comportement écologique devrait être un défrichage de la réalité.

    Savoir exactement pourquoi nous faisons les choses ou pourquoi nous ne les faisons pas et surtout, savoir comment, en pas à pas descriptifs et précis, faciles à transmettre et à répliquer partout sur la planète.

    La raison doit être aux commandes de nos vies, sinon l’écologie n’est qu’une mode de plus, gérée par des guignols politiques infoutus de faire plus de 2% aux élections (alors que le monde suffoque et surchauffe), matinée de folklore new-age, et de tignasses franchement pas possibles.

    Hé ami lecteur, tu veux faire de l’utile et du concret, et bien voila une idée pour toi, si tu peux planter un arbre et convaincre trois personnes de planter et de convaincre elles même trois personnes, qui elles mêmes, etc.
    Ben t’auras pas perdu ta journée.

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