Reprendre le pouvoir

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Serment du Jeu de paume, le 20 juin 1789, Jacques-Louis David

D’abord, s’accorder sur les principes fondamentaux, intangibles. Une colonne vertébrale idéologique solide, cohérente ; une vision du monde, de la société et de l’homme. Elle existe depuis longtemps. Elle est bien connue, précisément définie. Elle porte différents noms selon le point de vue que l’on choisit d’adopter, selon le chemin intellectuel que l’on a emprunté pour l’embrasser : républicanisme, humanisme civique, universalisme… [1]


De ce socle idéologique partagé, déduire un programme d’action politique. Concret. Clair. Court. Réaliste. Ambitieux. Un programme nécessairement austère, exigeant et difficile – en contradiction ouverte et assumée avec l’époque. Pour l’essentiel, il va de soi et a déjà été écrit pour 2022 [2] – peu aura besoin d’être changé pour 2027. Il ne doit en aucun cas se plier au diktat des petits comptables qui ne voient le monde qu’à travers leurs tableaux excel et ont une calculette à la place du cerveau [3].

Ni les principes fondamentaux ni le programme d’action ne pourront être négociés par ceux qui rejoindront le mouvement en cours de route. À prendre en bloc ou à laisser. Le programme pourra être complété, enrichi, mais seulement dans le respect absolu de l’architecture idéologique.

Tout cela est aisé.

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Plus difficile, ensuite : mener et remporter la guerre culturelle et médiatique. Convaincre l’opinion publique. Les médias se nourrissant du bruit produit par le microcosme des réseaux dits sociaux, saturer ceux-ci en permanence, créer sans cesse de nouveaux buzz, imposer les sujets de discussion, dicter les règles du débat, provoquer les polémiques. Il serait toutefois bien stupide de prendre twitter pour le monde réel et de se laisser noyer dans ce miroir aux alouettes ; une campagne pour l’hégémonie culturelle ne peut se passer des réseaux dits sociaux mais, en ne se concentrant que sur eux, elle sombre dans l’arrogance d’une pseudo-élite déconnectée de la réalité.

Par conséquent, occuper également les médias « traditionnels » ; utiliser massivement les médias « amis » et « sympathisants » mais surtout occuper l’espace dans tous les médias neutres ou adverses en multipliant les tribunes, les confrontations, les interviews… toujours aller sur le terrain de l’autre pour parler à ses sympathisants. Imposer quelques figures de proue, porte-paroles et visages du mouvement, dans toutes les émissions autoproclamées « de débat » ; y faire entendre comme un leitmotiv les principes fondamentaux et la vision du monde, marteler les propositions programmatiques. Refuser systématiquement l’imposition de clivages ineptes et, a contrario, désigner préventivement les adversaires et ennemis.

Investir le milieu associatif ; utiliser les associations et organisations amies pour propager les principes fondamentaux, le programme, les discours. Convaincre celles qui pourraient l’être ; combattre publiquement celles portant des idéologies adverses. Dans tous les cas, privilégier les médias locaux, les micro-événements, les petites associations. Un discours correctement tourné lors d’un comice agricole aura bien plus d’effet que n’importe quel « influenceur » à trois millions d’abonnés sur twitter.

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Pour y arriver, construire un appareil militant. Ne pas se contenter des grandes métropoles : assurer un maillage aussi fin que possible de tout le territoire national, en privilégiant la France périphérique. Recruter activement, partout, tout le temps, par un prosélytisme assumé. Former activement et rigoureusement les nouvelles recrues aux techniques de propagande, au droit et, surtout, au corpus programmatique. Fabriquer d’authentiques républicains, prêts au combat idéologique.

Encourager les initiatives individuelles et locales sans céder aux modes illusoires des mouvements autoproclamés « gazeux » et autres foutaises : la liberté laissée aux structures locales ne doit en aucun cas devenir le cache-sexe du n’importe quoi. Repérer les militants les plus prometteurs, les former et leur confier des responsabilités dès que possible.

Inviter au rassemblement : tout accord ne peut se faire que sur la base non négociable des principes et du programme. Se garder des ralliements de personnalités publiques et de partis subclaquants ; refuser fermement et publiquement toutes les alliances contre-productives de tocards venant mendier un poste ou un dernier tour de piste dans le cirque médiatique et de vieux partis puissants tombés en ruines ; ne céder à aucune menace, aucune pression, aucun marchandage de la part de canassons plus crevés que vifs et qui ne feront que décrédibiliser le mouvement ; ils ne rapportent pas une voix mais en font perdre beaucoup.

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Malgré l’aversion viscérale des républicains pour le césarisme et leur attachement à la collégialité, la vie politique impose l’existence d’un chef charismatique, incarnation de la vision du monde, garant du programme et figure tutélaire du mouvement. Peut-être est-ce là le plus difficile : trouver une personnalité crédible, déjà bien connue et appréciée de l’opinion publique, aux opinions tranchées mais qui ne suscite pas de mouvement de rejet – mieux : capable de rassembler les Français –, qui défende sincèrement les principes et le programme, à la carrure intellectuelle suffisante pour envisager la plus haute fonction élective, vierge de tout scandale, qui ne soit pas associée aux veuleries ni à la mauvaise gestion d’un gouvernement précédent (les manifestes pleins de bons sentiments ne rachètent pas une virginité), mais au cuir suffisamment tanné pour supporter les vicissitudes d’une campagne électorale puis l’exercice du pouvoir… Les candidats crédibles ne sont pas légion.

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Ancrer les discours et la stratégie dans la vie et les besoins du peuple. S’adresser directement à lui. Entendre et comprendre ses colères – et y répondre avec rigueur : le programme est conçu pour cela. Une partie du peuple et, singulièrement, des Gilets jaunes, a basculé dans un trumpisme à la française : antisciences, antivaccins, conspirationnistes, complotistes, etc. etc. ou dans l’apathie politique. Et alors ? Faut-il leur retirer le droit de vote parce qu’ils pensent mal ? Si penser mal c’est ne penser ni comme Le Pen ni comme Macron ni comme Mélenchon, alors nombreux sont ceux qui pensent mal – moi le premier ! « Ce n’est même la peine, rétorquera-t-on goguenard : ils ne votent déjà plus et tant mieux ! » Argumenter, discuter, débattre. Les convaincre de revenir voter, eux et tous les autres ; et détromper les rentiers du cynisme.

Réinstituer la République. Former des républicains. Parier sur l’intérêt du peuple. Tâche périlleuse s’il en est, tant la culture de l’avachissement et l’indécence commune sont répandues dans les esprits et dans les mœurs [4]. C’est là la seule solution. En cas d’échec, il n’y a plus rien à sauver. Refuser toutefois les facilités du discours de la dernière chance. Soit celle-ci est déjà passée depuis longtemps, soit ce discours n’a aucun sens : le temps et l’histoire se fichent bien de ces petites rodomontades dramatisantes à peu de frais. Mais tenir un discours franc et sévère à l’opposé de la moraline et de la démagogie. Mettre chacun devant ses responsabilités. En sachant que la probabilité est immense que la veulerie l’emporte. Une affaire de conscience et de dignité.

Cincinnatus, 12 septembre 2022


[1] Les lecteurs intéressés pourront se référer aux nombreux billets que je lui ai consacrés, parmi lesquels : « L’universalisme n’est pas une idéologie comme les autres ».

[2] Voir notamment : « Et si c’était… Cinci ? ».

[3] Pourquoi ? Parce que : « Combien ça coûte ? ».

[4] Explications : « La culture de l’avachissement », « L’indécence commune ».

Publié par

Cincinnatus

Moraliste (presque) pas moralisateur, misanthrope humaniste, républicain râleur, universaliste lucide, défenseur de causes perdues et de la laïcité, je laisse dans ces carnets les traces de mes réflexions : philosophie, politique, actualité, culture…

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