Une campagne trumpienne

640px-donald_trump_282565304791029Quelle campagne électorale pourrie ! Certes, coups tordus et boules puantes forment la partie détestable du folklore en campagne présidentielle. Et pourtant, d’élection en élection, le crescendo semble n’avoir aucune limite. L’exemple américain du trumpisme, malgré son dernier échec, a été bien compris par les « stratèges » qui accompagnent les candidats. Plutôt que de tenter de draguer le plus largement possible avec des discours et programmes aussi lisses qu’insipides, la démagogie se retourne comme un gant. L’objectif bascule en son envers tout aussi scabreux : cliver, provoquer, creuser les fossés, radicaliser la base des fans hystériques, déployer la plus grande brutalité possible… tout en se faisant passer pour la candide victime de ces mêmes stratagèmes que l’on dénonce chez les autres.

En l’absence d’enjeu réel quant au résultat final de l’élection – Emmanuel Macron est certain d’être réélu – ce sont les enjeux secondaires qui l’emportent, à savoir l’hégémonie dans son propre camp… voire la survie des partis politiques. Les lignes idéologiques se cristallisent et les postures se crispent. Les scores finaux des candidats au premier tour valideront ou condamneront les têtes d’affiches en tant que leaders ou fossoyeurs de leur camp – d’où la tentation de forcer le trait, la tiédeur condamnant nécessairement à l’échec.

Et, honnêtement, bien qu’il ne s’agisse là que d’un nouvel épisode de l’effondrement de la république et de la démocratie, je dois admettre qu’ils ont sans doute raison.

Car la perspective d’une abstention très élevée rend ce mouvement assez rationnel : mieux vaut mobiliser le plus possible ses propres soutiens pour s’assurer un socle solide que chercher à convaincre un électorat indécis et très susceptible de ne même pas se déplacer. Il faut donc maintenir une tension maximale en forçant le buzz par des prises de positions agressives, outrancières, mensongères même.

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LFI poursuit son agonie en attendant le dernier échec du vieux lion et la crise de succession qui s’ensuivra. Conscient de la catastrophe qui s’annonce, l’objectif n’est plus de se qualifier pour le second tour mais d’être le premier des nains. Alors Jean-Luc Mélenchon, « butin de guerre » des décoloniaux, achève de rompre toutes les amarres qui le reliaient vaguement au républicanisme et s’assume candidat des identitaires. Le tribun abandonne le rôle de pédagogue qu’il s’était forgé, avec succès, lors des précédentes campagnes. Du populisme comme défense du peuple souverain, inspiré de Mouffe et Laclau, il passe à la démagogie clientéliste, espérant rassembler sur son nom les segments marketing ciblés. La honte et le déshonneur.

D’autant qu’il n’est pas tout seul sur ce créneau. La concurrence est rude avec EELV, même si le parti peine à se relever de la primaire qui a démontré l’imposture qu’il constitue. Comme à son habitude, toute tête qui dépasse doit être coupée : les couteaux sont tirés contre le candidat et chaque intervention de son adversaire interne, Sandrine Rousseau, plombe un peu plus Yannick Jadot. Alors que le candidat officiel aimerait sans doute élargir la base étique de ses soutiens, la passionaria du wokisme, déconnectée de la réalité, accumule les tweets d’influenceuse adolescente, les attaques mensongères contre les autres candidats et les postures outrées de victime imaginaire. Sortez le pop-corn !

La récente candidature de Taubira à l’issue d’une mascarade ni populaire ni démocratique vient encombrer encore un peu plus ce micro-marché déjà saturé. Sans idée ni programme, l’ancienne ministre se contente d’enfiler les discours amphigouriques dont la cuistrerie n’impressionne que les sots. Tout cela ne serait que pathétique si son entourage n’était passablement inquiétant : les organisateurs de la « primaire populaire » sont bien connus pour leur militantisme antilaïque, antirépublicain, antisémite, etc. Et font régulièrement le buzz par leurs saillies ignobles. Le pas de deux récemment esquissé avec le candidat soi-disant écolo pour négocier un ralliement mesquin n’a ainsi rien d’étonnant tant tout cela grouille dans le même marigot.

Quant à ce qui fut le premier parti de gauche et même de France, le Titanic du PS n’en finit plus de couler. Chaque semaine, Hidalgo prétend « relancer » sa campagne, ne provoquant plus que des sourires navrés. Le long chemin de croix de « Madame 2 % » ferait presque pitié si les Parisiens ne savaient que trop bien ce que cette sinistre pantomime signifie pour leur ville : pendant que leur maire se sacrifie pour on-ne-sait quelle cause, sa gestion calamiteuse de la capitale ne fait qu’empirer. En attendant, elle peut continuer d’enchaîner les propositions démagogiques puisque les médias connivents l’invitent sans renâcler – alors qu’ils ne jurent que par des sondages ineptes, quel autre candidat crédité d’un score comparable profite d’une telle couverture médiatique ? C’est beau, quand même, l’amitié !

Le Président-candidat-pas-encore-officiel n’a rien à craindre. Il lui faut juste s’assurer une mobilisation suffisante de ses troupes. Ses coups de menton, sans qu’ils soient tout à fait insincères, visent sans doute à cet objectif : il n’a aucune chance de convaincre ses adversaires, donc autant bomber le torse et taper fort pour galvaniser ses groupies. Alors qu’on attendrait du Président qu’il retisse les liens entre les Français, qu’il incarne la nation, qu’il réconcilie les citoyens, le fils spirituel de Sarkozy choisit la politique du bouc émissaire et assume n’être que le chef d’un clan. Et ça marche.

Si Valérie Pécresse pense sincèrement atteindre le second tour, c’est qu’elle est encore moins intelligente que je ne le suppose. Sauver son parti est déjà loin d’être gagné, tant les risques d’explosion sont importants. Après la destruction du PS il y a cinq ans, peut-être est-ce au tour de LR ? En effet, à mesure que l’échéance approche, les sirènes du macronisme d’un côté, du zemmourisme de l’autre, vont séduire de plus en plus ceux qui en ont assez de regarder les trains passer : quinze ans d’opposition à voir d’autres que soi mener la politique qu’on aurait voulu appliquer, ça va faire beaucoup ! Pour limiter les dégâts, Pécresse concentre ses discours sur les clichés éculés de la droite néolibérale : promettre la suppression d’un nombre farfelu de fonctionnaires, c’est un marqueur idéologique rassurant pour sa famille politique… Pas sûr que ce sera suffisant.

Enfin, le numéro de duettistes de Zemmour et Le Pen permet de cristalliser des électorats sociologiquement très différents dans l’espoir d’un rassemblement au second tour plus large qu’en 2017. Sauf que pour passer le cap, il faut d’abord arriver devant l’autre. Et là, tous les coups sont permis, y compris l’instrumentalisation idéologique de l’histoire (avec la remise au goût du jour par Éric Zemmour de la fameuse et fumeuse théorie du « glaive et du bouclier », par exemple), afin de chauffer à blanc ses troupes. Le temps de la réconciliation venu, l’entre-deux-tours promet d’être saignant.

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Deux candidats contrastent. Georges Kuzmanovic et son micro-parti République souveraine n’est pas sûr d’obtenir ses 500 signatures mais mène une campagne digne et intéressante en se réappropriant les notions trop longtemps abandonnées par la gauche : nation, souveraineté, laïcité, universalisme. Quant à Fabien Roussel, sur une ligne très proche, c’est sans doute la révélation du moment. Renouant avec les principes fondamentaux de son parti, il parle au peuple du peuple. L’étiquette PCF, qui lui colle à la peau, une partie de son entourage (Ian Brossat, coresponsable de la situation parisienne, en tête) et son soutien à des causes indéfendables (Assa Traoré) le plombent et font fuir, pour des raisons très légitimes, nombre d’électeurs potentiels. Nul doute que le même candidat avec le même discours et le même programme sous d’autres couleurs et mieux entouré obtiendrait des scores bien plus élevés. Dommage.

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Entre provocation et victimisation, désignation de l’ennemi et activation de réflexes idéologiques pavloviens, la plupart des candidats se démènent pour aggraver les tensions au sein d’une nation déjà largement balkanisée. Ces démagogues sans conscience de l’intérêt général sont en train de détruire la France. Et nous assistons silencieux au spectacle, comme pris par le vertige d’une danse au-dessus du volcan.

Cincinnatus, 14 février 2022

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Cincinnatus

Moraliste (presque) pas moralisateur, misanthrope humaniste, républicain râleur, universaliste lucide, défenseur de causes perdues et de la laïcité, je laisse dans ces carnets les traces de mes réflexions : philosophie, politique, actualité, culture…

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