Le cas Fillon

francois-fillonNom : Fillon
Prénom : François
Surnom : « le collaborateur » (pour Sarkozy président), « l’eunuque » (du même), « sans couille » (encore la kolossale finesse de Sarko), « loser » (plutôt affectif venant toujours du troisième de la primaire), « pauvre type » (ai-je besoin de préciser ?), « Monsieur Pipi » (celle-ci est de Jean-Louis Debré, président de l’Assemblée nationale, agacé de le voir disparaître aux toilettes à l’approche de chaque texte délicat), « Mister Nobody », « Thatcher de la Sarthe », « Courage, Fillon », « Droopy »…
Parti : LR
Famille de pensée politique : traître au séguinisme, parfaite alliance libérale-identitaire de droite

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Dans la cour de récré, l’enfant imaginaire

À l’école privée catholique de garçons où on l’imagine volontiers dans son blazer bleu marine taille 8 ans, le petit François passe un peu inaperçu. Taciturne, il ne brille ni par son intelligence ni par son charisme. Il reste souvent seul, dans la cour, imperméable aux jeux et à l’humour de ses camarades, tous fils de notables de province flaubertiens. Il se montre peu enclin aux relations sociales avec les autres galopins en uniforme de tweed, pas plus qu’il ne cherche la compagnie des grands. Il préfère traîner son air tristoune, sa raie impeccable, son regard sévère et cerné sous des sourcils déjà broussailleux, convaincu que tout cela n’est qu’un mauvais moment à passer… avant le suivant qui sera sans doute pire encore.

Sous ses airs de gamin dépressif sorti d’un film de Tim Burton, François n’a rien d’un tendre. Certes, il ne partage pas grand-chose avec les petits caïds de récré ni avec les brutes en culottes courtes mais il ne faut pas non plus le prendre pour un doux rêveur. Il porte plutôt la violence de l’obsessionnel déterminé, d’autant plus implacable qu’elle est triste et glacée. Dur à la souffrance (on peut même se demander s’il n’y prend pas un plaisir masochiste), il peut encaisser brimades, insultes et humiliations sans broncher, tant sa volonté est affûtée.

Dans l’arène politique, l’adulte au combat

François Fillon entre en politique sous le parrainage de Joël Le Theule dont il récupère tous les mandats à sa mort. Benjamin de l’Assemblée nationale en 1981, à seulement 27 ans, il se trouve rapidement un nouveau mentor en la personne de Philippe Séguin. Le jeune apparatchik, également pilote et passionné de course automobile, entame ainsi une carrière impeccable entre Assemblée et ministères. Ses passages par les différents gouvernements de droite sont marqués par des « réformes » toute frappées au coin du « bon sens » néolibéral[1].

Le 1er juin 2005, c’est le drame. Alors qu’il a appartenu à tous les gouvernements de droite, il se voit évincé de celui conduit par Dominique de Villepin. Le discret, l’effacé Fillon, sort de sa réserve coutumière et, comme un coup de tonnerre dans un ciel sans nuage, assène cette fameuse saillie à propos du bilan de Chirac : « on ne se souviendra que de mes réformes ». Pour la première fois, on s’aperçoit que Fillon a un ego… mais peu d’honneur : il se donne corps et âme à Sarkozy avec lequel il avait pourtant toujours gardé ses distances.

Lorsque ce dernier est élu président en 2007, Fillon accepte la charge de premier ministre souffre-douleur pendant cinq ans. Le calvaire du « collaborateur », serpillère sur laquelle s’essuient les pieds du clan sarkoziste, doit receler quelque volupté puisqu’il ne s’en plaint qu’après l’échec de 2012. Il semble alors s’émanciper et règle petit à petit ses comptes avec l’ex-président et son clan. La guerre fratricide contre Jean-François Copé pour la tête du parti montre de nouveau que, contrairement à ce qu’on pouvait croire, l’homme a de la volonté et compte plus que jamais jouer pour lui-même… ce que confirme sa campagne pour la primaire de la droite. Après sa réussite surprise au premier tour et l’élimination de son ancien patron, il parvient à le rallier : la haine de Sarkozy envers Juppé demeure la plus forte ! Vainqueur final de la primaire, il doit jubiler intérieurement de voir aujourd’hui se presser à sa porte ceux qui l’ont à tel point méprisé hier.

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Éloge flatteur : les qualités remarquables

Si François Fillon a remporté la primaire de droite, c’est qu’il possède quelques atouts non négligeables.
D’abord, son style qui le place aux antipodes de Sarkozy et l’a sans doute aidé à l’éliminer. Il incarne le superlatif du mot « sobriété » et, après l’overdose de bling-bling, le côté sévère-neurasthénique peut séduire. D’autant que s’y ajoute une franchise bien éloignée de ce à quoi nous a habitués le résident du Cap Negre. On peut être sûr qu’il dit ce qu’il fera et qu’il fera ce qu’il dit (même si, quand on entend ce qu’il dit, on ne peut qu’être effrayé de ce qu’il fera).

Ensuite, le talent qu’il a eu, dans cette campagne, pour se mettre en phase avec une grande partie de l’électorat.
Assez logiquement, il s’est présenté comme le candidat d’une droite dure, traditionnelle, libérale, catholique, qui apprécie sa rigidité, la perspective d’un traitement brutal des syndicats, le soutien de « sens commun » (branche LR de « la manif pour tous »), etc. etc.
Mais ce serait une erreur de le limiter à cela car, pour reprendre les catégories développées par Christophe Guilluy[2], il s’est simultanément positionné comme le représentant de la France périphérique contre la France des métropoles, incarnée par Alain Juppé. Il a saisi un certain nombre d’exaspérations populaires et leur a donné des réponses virulentes. Peu importe si ces réponses sont à côté de la plaque, peu importe si l’application de son programme plongera les catégories modestes de cette France périphérique dans une situation encore plus catastrophique : le discours a su actionner les bons leviers pour capter l’intérêt de catégories populaires auxquelles les autres politiques (à l’exception du FN) ne prêtent aucune attention. L’insistance sur le « discours de vérité », la désignation de boucs-émissaires faciles, la perspective d’un grand coup de balai et d’« un retour à l’ordre »… tout cela plaît aux victimes de la mondialisation, aux oubliés du cirque médiatique, aux territoires perdus de la République qui ne se résument pas aux banlieues.
Le sentiment d’abandon que vivent des millions de Français, en particulier à l’égard de la gauche, doit être compris : il ne s’agit pas de péquenots qui ne comprendraient rien aux bienfaits de la mondialisation, ni de beaufs ringards bas du front fermés aux inéluctables et merveilleux progrès de la technoscience, encore moins de fachos congénitaux xénophobes et arriérés refusant le « vivre-ensemble » au profit de l’entre-soi raciste… Ces classes populaires souffrent au quotidien et plus aucun parti politique ne daigne s’adresser à elles. Alors qu’elles étaient attirées par le FN, Fillon a eu l’intelligence politique de se tourner vers elles. Et, malgré l’énorme paradoxe (ou devrais-je écrire : arnaque) sur lequel cela repose, ça marche ! En effet, a réussi à se faire passer pour le candidat des classes populaires de la France périphérique, l’apparatchik qui n’a jamais travaillé que pour sa carrière politique, le député du centre de Paris et le porteur d’un programme qui matraquera les plus faibles. Il séduit ainsi ceux qui seront les tondus de son quinquennat. Chapeau l’artiste !

Liberté de blâmer : les défauts rédhibitoires

Idéologiquement, François Fillon représente un cas d’école parfait pour l’alliance libérale-identitaire. Avec lui, nous attendent cinq années de purge d’une ampleur jamais connue dans notre pays, bien pire que le désastreux quinquennat de Sarkozy dont il fut, ne l’oublions pas, un des acteurs principaux. De ce point de vue, Fillon, c’est Sarko la fureur en moins et la dépression en plus. Ceux qui veulent se faire une idée avant l’heure peuvent regarder du côté du Royaume-Uni de Margaret Thatcher qu’il adule ou, plus récemment, de la Grèce de la Troïka. Et encore, le programme de Fillon va encore plus loin : nous devrons assister à la destruction du modèle français qu’il méprise tant. Contrairement à ce qu’il prétend, celui-ci n’est pas la cause de tous nos maux, mais ce qui a protégé la France. Sans lui, nous aurions sombré comme la Grèce ou l’Espagne. Mais cela, il ne l’avouera jamais tant il est aveuglé par l’idéologie néolibérale qui fait de l’État l’ennemi à abattre.

À ce sujet, un exemple à méditer : l’école. Le discours au vitriol contre la mainmise des pédagogos sur l’Éducation nationale semble impeccable. Oui, il est grand temps de se débarrasser de ces cuistres criminels qui ont méthodiquement détruit l’école depuis le milieu des années 1980. Certains enseignants, écœurés par le dernier coup porté à ce pilier de la République à travers la réforme du collège, envisagent même de voter Fillon pour sa promesse de revenir dessus. Quelle triste erreur : si le PS s’est complètement discrédité, le candidat de la droite ne peut en aucun cas apparaître comme le sauveur de l’école républicaine (pas plus que le FN, d’ailleurs, malgré ses séduisants mensonges) ! Il faut se souvenir qu’au gouvernement, il en fut l’un des destructeurs méthodiques et si, demain, il accède à l’Élysée, on peut être sûr que ce sont ses amis du privé qui seront gagnants, sûrement pas l’école, les élèves, ni les profs.

Depuis dimanche dernier et la confirmation, hier soir, de sa désignation, tous les ennemis de la République se frottent les mains. Le candidat des curés et des patrons rassemble largement : MEDEF, manif pour tous, et même islamistes trop heureux d’avoir un adversaire qui partage leur vision d’une nation balkanisée. François Fillon nous prépare un hiver politique d’une violence inouïe.

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Conclusion temporaire et subjective

Alors : que faire ? Pendant que la « gauche castor » appelle encore et toujours à « faire barrage », stratégie brillante qui l’a pour longtemps disqualifiée auprès des classes populaires, nous devons dès aujourd’hui reconstruire une offre politique authentiquement républicaine, qui saura convaincre les Français que le suicide libéral-identitaire n’est pas la seule solution. Vaste programme !

Probabilité d’être élu président de la République : élevée, pour notre plus grand malheur.

Cincinnatus,


[1] On mesure ainsi la distance qui le sépare du gaullisme social de Séguin qui, rappelons-le, rêvait d’un retournement d’alliances et d’un rapprochement des gaullistes et de la gauche, par-dessus la tête des centristes. D’ailleurs, si quelqu’un pouvait lui envoyer un kiné, ce serait sympa : à force de se retourner dans sa tombe, il a chopé un méchant lumbago tant son ancien « fils spirituel » autoproclamé a trahi son héritage.

[2] Voir notamment : La France périphérique, Flammarion, 2014, et Le Crépuscule de la France d’en haut, Flammarion, 2016

Publié par

Cincinnatus

Moraliste (presque) pas moralisateur, misanthrope humaniste, républicain râleur, universaliste lucide, défenseur de causes perdues et de la laïcité, je laisse dans ces carnets les traces de mes réflexions : philosophie, politique, actualité, culture…

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