
De « coucou », le Littré donne neuf définitions, parmi lesquelles :
1. Oiseau du genre des pies qui dépose ses œufs dans le nid des autres oiseaux. Le coucou est un oiseau voyageur.
L’oiseau nommé coucou des Canaries répétait son chant monotone. CHATEAUB. Voy. Amér. 340
4. Terme de jardinage
Fraisier qui fleurit beaucoup, mais ne fructifie pas.
9. Synonyme mitigé de cocu.
Ces trois-là particulièrement m’évoquent certaine idéologie qui prétend s’installer dans le nid de la gauche, pérore beaucoup mais ne « fructifie » guère, et cocufie le peuple.
L’anéantissement idéologique
Où sont les idées à gauche ? qu’a-t-elle fait de son histoire ? Le cliché est tenace, et peut-être possède-t-il quelque fond de vérité : l’exercice du pouvoir serait une malédiction. Dans l’opposition, le fourmillement intellectuel et programmatique ; au gouvernement, la contrainte de « gérer l’intendance ». L’exercice du pouvoir épuiserait la capacité de penser, viderait les esprits de leurs forces et corromprait inévitablement la vertu civique.
Mouais.
Admettons.
Et pourtant, cela ne suffit pas à expliquer le renoncement complet à tout ce qui a constitué, génération après génération, la structure intellectuelle et idéologique de la gauche. Blâmer les succès électoraux passés et l’éthique de responsabilité : quelles piètres excuses pour justifier le renoncement à toute conviction ! Pour oblitérer, surtout, la triste histoire d’une reddition honteuse. Parce que la gauche dite de gouvernement a abdiqué sans même combattre devant les dogmes néolibéraux. On ne dira jamais assez le mal que tous les Jacques Delors and co. (lui, ses amis, ses élèves…) ont fait à la politique française en général et à la gauche en particulier. Avec le « tournant de la rigueur » et, son envers, la plongée aveugle dans le projet européiste qui confond cyniquement Europe et Union européenne, et prétend offrir les institutions de l’UE comme horizon de l’action politique, elle a rompu les liens qui l’attachaient encore à sa culture politique. Elle a sombré dans la dépolitisation pour le confort illusoire de la « fin de l’Histoire ».
Comme un bagage encombrant et honteux, parce que trop vieux, trop sale, ont été sèchement abandonnés au bord de la route les concepts et le vocabulaire qui structuraient ses discours et ses manifestes : liberté, émancipation, nation, république, laïcité, social, peuple, misère, travail… non que ces termes appartinssent exclusivement à la gauche, évidemment !, mais elle les a embrassés, les a assumés, leur a donné des définitions qui pouvaient être partagées, discutées ou combattues. Mais un jour, ils n’étaient plus assez bien. Indignes et méprisables. Et des concepts rigoureux ont été remplacés par des notions clinquantes. Du social au sociétal, de la nation au « vivre-ensemble ». La colonne vertébrale idéologique qui tenait la gauche universaliste, laïque et républicaine – non sans frictions, non sans tensions, non sans bouleversements internes ; mais qui, malgré tout, la faisait tenir à peu près droite – s’est brutalement effondrée à la prise de pouvoir d’une génération qui préférait le cynisme carriériste à la culture historique. Caricaturalement : Delors, Lang, Jospin, Taubira, Strauss-Kahn et Hollande plutôt que Gambetta, Clemenceau, Jaurès, Blum, Mendès-France ou Chevènement [1].
Des partis qui n’ont rien à dire à leurs électeurs ne peuvent espérer les conserver comme un capital prudemment placé. À la déroute intellectuelle et idéologique ont très logiquement succédé les débâcles électorales. Cette gauche de petits marquis poudrés, qui ne s’intéresse plus au peuple, l’a jeté dans les bras de ses adversaires. Quant aux mots et idées dont elle s’est détournée, brutalement devenus « ringards » ou « populistes », d’autres ne se sont pas gênés pour les ramasser. La confiscation, paradoxale mais stratégiquement payante, par l’extrême-droite des thèmes et concepts méprisés par la gauche, a considérablement joué dans la bascule de beaucoup d’écœurés de la gauche : voir, par exemple, le RN (ex-FN) se présenter comme défenseur de la laïcité alors que tant à gauche répugnent à prononcer le mot sans l’assortir d’un adjectif qui en assassine le sens – quelle honte !
La nature a horreur du vide – la politique aussi
La vacuité intellectuelle à gauche n’est pas passée inaperçue. Inspirés par le coucou qui occupe le nid des autres, des petits malins ont vu l’opportunité et se sont engouffrés, comme aspirés par l’appel d’air… et se sont tranquillement et confortablement installés dans les ruines. Pour reprendre une typologie développée ailleurs [2], dans le conflit opposant les trois courants de pensée principaux qui structurent la gauche, la victoire de la famille (néo)libérale sur la républicaine et son alliance à sa jumelle de droite a laissé le champ libre aux identitaires.
Indigénisme, décolonialisme, intersectionnalisme, inclusivisme… autant de mouvements sectaires à l’idéologie boueuse, directement importés des campus anglo-saxons. Sous le prétexte de tout « déconstruire », ils alignent les sophismes pseudo-scientifiques et les discours amphigouriques, désignent les gentils et les méchants dans une vision du monde manichéenne, et se font passer pour les nouveaux rédempteurs de l’humanité. Et ces billevesées séduisent les esprits dénués de culture politique et sans défense face aux manipulations les plus grossières ! Le binarisme c’est simple, ça se comprend facilement et ça flatte l’ego puisqu’on se persuade soi-même d’appartenir au Camp du Bien©. On s’imagine sérieusement héritiers des Résistants contre le fascisme sans même se rendre compte qu’on défend l’apartheid.
Sans scrupule, cette « gauche » confisque crânement le monopole de « la gauche ». L’affirmation péremptoire et intimidante d’être « la vraie gauche », « la seule gauche », n’est pas nouvelle : il y a, dans ce chantage à qui sera plus à gauche que la gauche, plus pur que pur, de vieux relents maoïstes de terrorisme intellectuel. L’accusation, qui vaut en même temps condamnation et exécution, d’appartenir à l’ennemi d’extrême-droite s’étend à tout ce qui n’est pas soi dans un sophisme classique de diabolisation de l’adversaire : « je suis le Bien, or tu n’es pas d’accord avec moi, donc tu es le Mal », traduit dans cette vision délirante de la politique en « je suis la gauche, or tu n’es pas d’accord avec moi, donc tu es d’extrême-droite ».
Sauf que lorsqu’on analyse le fonds idéologique de cette « gauche », que trouve-t-on ? Un mélange assez nauséabond mais finalement plutôt cohérent : obsession de la race, antisémitisme, assignation à résidence identitaire, apartheid, asservissement de la femme à un patriarcat religieux, alliance avec les religieux les plus orthodoxes et orthopraxes, négation de l’idéal d’émancipation, revendication de droits catégoriels et confessionnels contre la loi commune, haine viscérale de l’universalisme et de la laïcité… Autant de marqueurs historiques de l’extrême-droite plutôt que de la gauche !
Ce n’est donc pas une nouvelle gauche, plus « moderne », plus « en phase avec son temps » qui tente (et réussit) une OPA hostile sur la gauche « classique ». C’est bien une nouvelle extrême-droite qui profite de la vacuité idéologique à gauche, du sacrifice des principes, valeurs, concepts – appelons-les comme on veut – qui ont fait son histoire, pour s’installer dans sa maison après en avoir chassé les derniers occupants.
*
C’est parce qu’elle a renoncé à penser que la gauche s’est jetée dans les bras des identitaires. La trahison s’est effectuée en deux temps : abandon de tout ce que fut historiquement la pensée d’une gauche républicaine, universaliste et laïque par ceux qui avaient la responsabilité de son héritage ; puis prise de pouvoir idéologique par les ennemis-mêmes de cette vision du monde, de l’homme et de la société. Il est temps, pour ceux qui chérissent encore cette histoire et cette culture, pour ceux qui ne la tiennent pas pour « ringarde », « passéiste », « réactionnaire »… de se lever et de mener le combat.
Cincinnatus, 12 avril 2021
[1] Il ne faut pas croire que je ne parle ici que du PS. Tous les partis autoproclamés « de gauche » subissent le même mal. L’hémorragie au PCF ne concerne pas que ses électeurs mais aussi ses neurones ; les écologistes ont depuis longtemps renoncé à toute crédibilité en matière environnementale (faute de compétences scientifiques minimales) pour se vautrer dans l’onanisme adolescent (voir le billet « L’imposture EELV ») ; quant aux groupuscules trotsko-gauchisants, l’exemple de la LCR est peut-être le plus éclatant et le plus pathétique, qui, devenu NPA, a troqué la rigueur doctrinale révolutionnaire pour la rigidité dogmatique indigéniste.
[2] Pour plus de détails sur cette analyse idéale-typique des familles idéologiques qui structurent la vie politique française, voir la série de billets « Wargame idéologique » : à gauche, à droite et l’échiquier renversé.
Je suis confus mais je ne suis pas sûr d’avoir bien saisi votre pénultième paragraphe.
Faut-il comprendre que la « nouvelle » gauche serait en fait un avatar de l’extrême-droite ou bien que cette dernière occupe la place abandonnée par la gauche « historique » ?
La première hypothèse me séduit beaucoup car cette montée actuelle du fascisme trouverait alors une explication cohérente sinon rationnelle.
En revanche la seconde voudrait dire que ce qu’abandonne la gauche sont des valeurs d’extrême-droite. Pour certaines c’est certainement vrai (pur et impur, etc) mais pour d’autres j’ai du mal à comprendre.
Sur tout le reste je suis d’accord avec votre analyse. Quelques carriéristes ont saccagé un patrimoine mais ils avaient la route toute tracée : « ….du passé faisons table rase… ».
Mais qui aujourd’hui souhaite conserver des legs alors que tout le monde vilipende l’héritage ?
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Bonjour,
Ce que j’essaie de dire (maladroitement sûrement) dans ce passage, c’est que cette « gauche » autoproclamée défend des idées, des principes, une vision du monde, qui ressemblent beaucoup à ceux classiquement défendus par l’extrême-droite que par la gauche. Dons plutôt votre première hypothèse, oui.
Cincinnatus
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Merci beaucoup pour votre réponse dont je partage le contenu. Et c’est dramatique.
Vos articles sont très clairs mais il arrive que les lecteurs ne soient pas à la hauteur !
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Je trouve un peu facile de dire que quand la gauche se trompe c’est qu’elle est de droite, voir d’extrême droite. Comme si les valeurs d’un camp n’étaient pas liée à leur époque. Ça n’est pas nouveau que la droite ou l’extrême droite récupère les thèmes abandonnés par la gauche. C’est même un processus naturel depuis la révolution francaise. Comme disait Raymond Aron : « Si vous n’êtes ni de gauche ni de droite c’est que vous êtes de droite », car c’est la gauche qui définit ce qu’elle est, et par là désigne ce qu’elle n’est pas, soit la droite. De tout temps ça a été ainsi. Même en le condamnant, vous semblez reprendre à votre compte l’idée que si une politique est menée avec de bons sentiments c’est qu’elle est de gauche, sinon elle est de droite. Vous le dites bien, elle designe le bien et le mal, mais vous aussi, et semblez refuser d’appeler gauche ce qui est la gauche dans l’excès pour la qualifier d’extrême droite, puisqu’elle est nocive.
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Bon, je reprends :
1/ contrairement à mes adversaires de cette « nouvelle gauche », je ne taxe pas tous ceux qui ne pensent pas comme moi d’extrême-droite afin de les diaboliser et de masquer un manque criant d’arguments.
2/ j’observe que les principes défendus par cette « gauche » ressemblent beaucoup plus à ceux de l’extrême-droite classique qu’à ceux de la gauche.
3/ je constate que ce que la gauche républicaine a longtemps défendu, elle l’a abandonné au profit d’un vocabulaire et de notions qui lui étaient auparavant étrangers et qu’en particulier, elle a fait siens les dogmes du néolibéralisme.
4/ je n’ai jamais considéré que toute politique menée par la gauche était bien et que toute politique qui me déplairait serait forcément de droite : c’est idiot et je vous défie de trouver une seule ligne où j’affirmerais cela.
5/ en ce qui me concerne, le clivage gauche-droite a du sens mais n’est pas suffisant (voir le billet sur le sujet). Personnellement, si l’on m’oblige vraiment à me définir, je me dirais républicain, universaliste et laïque avant « de gauche », même si je ne refuse pas la qualification.
6/ je préfère infiniment des républicains honnêtes de droite à des fripouilles de gauche : je me fiche comme d’une guigne de la coloration politique, ce qui m’intéresse ce sont les idées, les discours et les actes.
Cincinnatus
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