Après cinq ans de macronisme

2097027-emmanuel-macron-ni-sarkozy-ni-hollande-ni-ochlocrate-171308-1Les élections prochaines se dérouleront dans un contexte catastrophique. Entre la très grave crise sanitaire qui endeuille la France et le monde depuis plus d’un an et demi et dont rien ne laisse présager la fin, les attentats islamistes qui scandent l’actualité sur fond d’insécurité croissante et la dégradation des conditions de vie, ces cinq dernières années ont été marquées par l’enfoncement de notre nation dans le marasme et l’angoisse.

La crise des Gilets jaunes aurait dû sortir le monde politique de son coma. Il n’en a rien été. Avec l’arrogance qui le caractérise, le Président de la République, mais aussi son gouvernement et le parti majoritaire à l’Assemblée, mais également l’ensemble des formations politiques et leurs dirigeants, tous, ils ont tous crânement méprisé ou vainement tenté de récupérer ce mouvement populaire, sans le comprendre. Trop heureux de le voir ensuite sombrer dans les caricatures et les violences, ils ont étouffé le cri de colère initial.

Jusqu’à quand ? Jusqu’à quand, ignoreront-ils le mal-être profond que ressentent tant de Français ? Le déclassement ? L’enfermement dans la pauvreté ? La peur pour soi et pour ses enfants ? Jusqu’à quand refuseront-ils de protéger les plus faibles plutôt que de se vendre aux plus forts ? « Selon que vous serez puissant ou misérable… », La Fontaine aurait eu beaucoup à dire du bilan d’Emmanuel Macron.

Bilan qui est aussi celui de tous ses prédécesseurs. Depuis quarante ans, ils répètent qu’il n’y a pas d’alternative, que l’économie est une science exacte, que le marché est tout-puissant, que tout ce que nous subissons est pour le mieux et que nous ne pouvons rien y faire, réjouissons-nous de notre malheur ! Ceux qui nous expliquent doctement que les lois de l’économie sont de même nature que celles de la physique sont des menteurs qui nous manipulent. Contrairement à ce qu’affirment ceux qui y gagnent tout ce que nous perdons, le néolibéralisme existe bel et bien [1]. Les dogmes néolibéraux imprègnent aujourd’hui les esprits et nous subissons collectivement les effets catastrophiques de cette idéologie en action.

La grande réussite d’Emmanuel Macron réside dans le rassemblement des familles politiques acquises à l’idéologie néolibérale. S’il demeure, à la périphérie de la nébuleuse macroniste, quelques enclaves qui refusent toujours le ralliement (du côté de LR et de ses satellites pour l’essentiel), il ne faut pas y chercher de quelconques divergences de fond mais un mélange d’atavisme, de jalousies et de boursouflures égotiques.

En-dehors de ces vétilles de cours de récré, le Président a su donner à la pensée politique dominante un parti et un représentant… au sens du représentant de commerce et non de la démocratie représentative. LREM et son chef propagent et appliquent avec une morgue teintée d’hypocrisie cette idéologie du pognon, de l’économicisme et du management, assumant leur haine de tout ce qui est gratuit, de tout ce qui semble inutile à cette pensée de mercenaires, incapable de saisir l’importance de ce qui nous rend humains.

Le projet politique était pourtant évident dès l’origine ; l’histoire cousue de fil blanc, de ce candidat markété, fabriqué dans le but unique de servir les intérêts de ses créateurs. Il fallait être bien naïf, ou complice, pour gober le conte du candidat « hors système » (un énarque banquier d’affaire parrainé par Minc et Attali !), jeune, beau, au sourire d’acteur américain… Certes, son irruption sur la scène politique a semblé « ringardiser » les anciens partis et candidats « traditionnels »… mais ne jamais oublier qu’il faut que « tout change pour que rien de change ». Macron n’est que l’instrument du maintien au pouvoir des mêmes intérêts politiques et économiques. Économiques surtout, puisque le Président sortant, en bon petit propagandiste néolibéral, s’est évertué à asservir le politique à l’économique.

Plutôt que d’utiliser les pouvoirs qui lui étaient conférés pour affirmer une hauteur de vue et rendre sa grandeur à l’action politique, il a continué de décrédibiliser la parole des gouvernants et d’abaisser la fonction présidentielle. Nous avons à la tête de l’État un président démagogue du « en même temps », capable d’affirmer une chose un jour et le contraire le lendemain ; un poseur, un enfant capricieux qui préfère s’exhiber dans la pire vulgarité que d’incarner sa fonction avec la gravitas qu’on attend de lui ; un personnage de téléréalité qui dépasse tout le bling-bling de son mentor Sarkozy.

Et la galerie de personnages qui l’entoure ne vaut pas mieux. Après que les énarques ont chassé les normaliens du pouvoir, les voilà à leur tour virés par des purs produits de HEC et autres usines à escrocs. S’ajoutent à ce BDE d’école de commerce sous cocaïne tous les recalés, tous ces individus dénués d’idée et d’intelligence mais pas d’ambition, qui ont grenouillé sans succès dans les grands partis ou les petits groupuscules sans jamais percer. Enfin leur tour, à ces branquignoles !

Ce qui n’est finalement qu’une simple réorganisation s’est vendu comme une révolution politique. Même les derniers grognards du centrisme, jadis vent debout contre Sarkozy, se sont laissé avoir par son fils spirituel… certes, la promesse de strapontins a pu aider. Les discours sur « l’ouverture » (la fameuse et fumeuse « société civile », etc.) masquent mal l’accroissement de l’entre-soi d’une caste complètement déconnectée de la réalité.

Tous ces donneurs de leçon vivent dans une bulle et observent de loin ce peuple qu’ils pensent comprendre sous prétexte qu’ils tentent de le diriger et de le manipuler. Leur mépris et leur arrogance sont insupportables, lorsqu’ils parlent de la vie des gens, de leurs souffrances, de leur travail… alors qu’ils en ignorent superbement les conditions d’existence. Ils régentent, ils commandent ; mais surtout ils rendent la vie impossible aux autres par pure idéologie et volonté de contrôle.

En face ? Un paysage de ruines. Tout l’éventail partisan se distingue par son incapacité à proposer un discours authentiquement républicain qui montrerait que le roi est nu. Le niveau général du personnel politique est affligeant, entre disputes d’ego par des personnages falots et victoire d’idéologies néfastes. L’état de décomposition avancé du politique permet le surgissement par effraction de pitres dangereux, de Zemmour à Hanouna… et tous leurs clones tristes.

Car tel est le résultat de ces cinq années de macronisme : une France meurtrie, affaiblie, pleine de ressentiment et d’angoisse. Une nation amnésique de sa culture et de son histoire mais qui éprouve un besoin désespéré de se raccrocher à des mythes. Un peuple prêt à se jeter dans les bras du premier démagogue venu, qui lui racontera une histoire mensongère mais rassurante, qui lui promettra tout et surtout n’importe quoi. D’autant plus si cela semble facile, parce qu’il ne faudrait pas demander trop d’efforts à ces individus qui se complaisent dans la culture de l’avachissement.

Pourtant il ne serait pas bien compliqué de construire une alternative crédible, de dénoncer les turpitudes du macronisme (et de la macronie). En commençant par le plus fondamental : l’école dont la destruction se poursuit par un ministre qui l’avait déjà bien avancée dans ses différentes fonctions précédentes au ministère. Et puis, ensuite, tout ce que le macronisme, conformément à l’idéologie néolibérale, a défait, cassé, épuisé ou trahi : l’anéantissement de la souveraineté populaire et nationale, la prosternation devant les institutions et les dogmes antirépublicains, l’aliénation de la politique française à des intérêts privés ou étrangers dans tous les domaines – politique étrangère, économie, environnement, énergie… Un programme authentiquement républicain de reconstruction de la nation par la réhabilitation de l’action politique n’est pas difficile à écrire – il l’est déjà en grande partie ! – mais il nécessite, pour être appliqué, une volonté et une vertu civiques introuvables tant dans le personnel politique actuel que dans le peuple lui-même. Le crépuscule de la nation annonce une nuit bien froide.

Cincinnatus, 11 octobre 2021


[1] Le lecteur intéressé pourra aller voir la série de billets consacrée à l’idéologie néolibérale, « Misère de l’économicisme » :
1. L’imposture scientifique
2. L’idéologie néolibérale
3. Fausses libertés et vraies inégalités
4. Feu sur l’État
5. Le monde merveilleux de la modernité

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Cincinnatus

Moraliste (presque) pas moralisateur, misanthrope humaniste, républicain râleur, universaliste lucide, défenseur de causes perdues et de la laïcité, je laisse dans ces carnets les traces de mes réflexions : philosophie, politique, actualité, culture…

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