Pour une République laïque et sociale : héritages, défis, perspectives, Charles Coutel, préface de Patrick Kessel, éd. L’Harmattan, coll. Débats laïques, 2021.
Le livre en deux mots
Le philosophe Charles Coutel, spécialiste, entre autres !, des Lumières, de Condorcet, de la laïcité, etc. etc., a offert cette année un livre précieux aux défenseurs de la République, dédié « à la mémoire de Samuel Paty, professeur mort pour la République ». Loin de se contenter d’un énième catéchisme creux appelant, de cliché en lieu commun, aux mânes des grands anciens, il concentre au contraire ses réflexions sur l’action. Si les références philosophiques abondent, elles servent toujours un propos incisif et précis pour mieux nous armer de concepts puissants et de principes solides : liberté, égalité, fraternité, instruction, laïcité, solidarité, hospitalité, sollicitude, humanisme… tous sont définis, discutés, travaillés en profondeur. Après avoir, dans ce premier temps, (re)constitué l’arsenal théorique nécessaire au combat, avec toujours Condorcet et les Lumières pour guides, Coutel explore ensuite avec une clarté rare les sept « défis » très pressants que nous devons affronter. Alors que la République et ses symboles sont attaqués de toutes parts, il s’agit de promouvoir : la cause républicaine, le principe républicain, l’école et l’université républicaines, l’égalité républicaine, le bien public, la sollicitude humaniste et, enfin, la devise « Liberté, égalité, fraternité ». Sont ainsi démontés pièce par pièce (on n’ose dire déconstruits) les sophismes et mensonges démagogiques de tous les adversaires et ennemis de la République ; mais surtout, sont exposées les voies de résolution de ces crises, afin de réinstituer une République véritablement « laïque et sociale », les deux adjectifs allant de pair. Avec un tel livre entre les mains, nous n’avons aucune excuse à esquiver nos responsabilités !
Où j’ai laissé un marque-page
Le court chapitre 9 dans lequel l’auteur règle son compte à la notion de « bien commun » (à ne pas confondre avec le concept de « monde commun » tel que pensé par Hannah Arendt et que j’utilise régulièrement dans ce blog), fourbe tentative cléricale de faire pièce aux « bien public », « intérêt général » et « vertu civique » républicains.
Un extrait pour méditer
le soutien à la cause républicaine suppose une volonté de transformer la citoyenneté républicaine en un engagement total ; cette affirmation exige une argumentation, non des incantations. Précisons pourquoi : tous les symboles et rituels républicains reposent sur la volonté et l’action de construire ensemble une société fraternelle, solidaire et juste, au sein d’une collectivité autocritique et vigilante, ce qui établit un lien entre république et nation. Il s’agit donc bien de grandir ensemble et non les uns contre les autres, voire même les uns à côté des autres. C’est pourquoi les humanistes s’opposeront à la fois au concept confus de séparatisme mais aussi à un vague vivre-ensemble que l’on chercherait à opposer abstraitement à ce séparatisme. N’opposons pas un grand communautarisme proclamé à tous les petits communautarismes potentiels ou avérés. La République française est une nation civique et non un chapelet de communautés : l’esprit républicain se déploie dans un espace public et non dans un espace commun.
C’est cette vigilance qui a pu parfois manquer dans notre longue histoire politique, mais la traversée de grandes épreuves nous a toujours permis de nous retrouver, remettant à leur place l’individualisme, l’arrivisme, le populisme et l’électoralisme. Il revient aux humanistes de rendre vivante la synthèse des vertus et des principes sur laquelle repose notre conviction républicaine ; usons avec plus de prudence de la formule, maintes foi répétée, valeurs républicaines, jamais vraiment définies. Mais aujourd’hui le désarroi des citoyens est tel qu’il est du devoir des humanistes d’amplifier et de prolonger la devise « Liberté, égalité, fraternité » par l’affirmation émancipatrice et programmatique : « Laïcité, solidarité, hospitalité ».
Une identité républicaine en construction permanente
Disons que notre identité républicaine n’est pas donnée, mais qu’elle se construit tous les jours. En effet, tout devrait militer dans nos débats et nos initiatives pour nous émanciper des fausses idées, des idoles et des préjugés que nous pouvons entretenir sur notre engagement républicain. La liberté n’est pas donnée mais elle se construit tous les jours dans le ressouvenir et la méditation de nos erreurs passées et dans la fidélité créatrice à nos idéaux.
La cause républicaine se veut à la fois et, dès maintenant, fraternelle, sociale, solidaire et universaliste ; il est donc légitime de se revendiquer républicain. Mais attention, cela ne suffit pas : devenons-le davantage tous les jours. On le voit, chacun, dans ses comportements et ses rapports aux mots, anticipe sur une société se tournant dès à présent vers les idéaux républicains. Ainsi, la cause républicaine s’incarne et prend sens, force et vigueur. Le lien entre l’unité présente et l’espérance est assuré par l’affirmation que l’ouvrage n’est jamais achevé. C’est ce souci de la perfectibilité que les humanistes ont su retirer de l’héritage des Lumières. Mais cette tâche est si ardue que l’on comprend qu’il ait fallu si longtemps, entre 1792 et 1870, pour que la conscience de soi de la République se formule et se mette en œuvre.
Les humanistes ont une responsabilité particulière pour aider notre époque à réinstituer la République, définie comme cause à promouvoir sans cesse, notamment dans nos divers engagements. Pour être républicain, osons donc deux tâches : menons un travail méticuleux sur les mots que nous disons ou que nous laissons dire. Le lexique républicain est à reconstituer intégralement. Deuxièmement, osons davantage un travail d’engagement social, civique et associatif effectif au sens tocquevillien mais, aussi, solidariste : prendre le temps de s’occuper des problèmes concrets et quotidiens de nos concitoyens pour rendre possible un mouvement collectif d’émancipation sociale, économique et politique dont tout le monde sent la nécessité. (p. 72-74)
Cincinnatus, 9 août 2021
Excellent !! Merci 🙏 Bises
Virginie Bétille Envoyé depuis mon IPhone
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