Quels extrêmes ?

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Méduse, Le Caravage (1597-1598)

« Extrême droite », « extrême gauche » : les expressions sont bien ancrées dans l’imaginaire politique collectif. Lieux communs, elles charrient images et références historiques et provoquent des réflexes pavloviens de rejet. Elles situent immédiatement individus et partis qui en sont qualifiés sur l’échiquier politique. Ou plutôt en-dehors de lui : de l’autre côté de frontières invisibles mais unanimement admises – les fameux « cordons sanitaires » et autres « fronts républicains ».

Parler d’extrêmes, c’est admettre une conception topographique et linéaire du politique : un axe gauche-droite sur lequel se positionnent, bien alignés, tous les partis et idéologies. Cette représentation théorique s’incarne au Parlement par les bancs sur lesquels se répartissent les élus de la nation : les plus à gauche et les plus à droite étant, stricto sensu, aux extrêmes de la représentation… laissant, selon les aléas électoraux et la tectonique politique, le titre à des partis bien différents d’une époque à l’autre, d’une Chambre à l’autre.

Mais il y a autre chose. Quelque chose de plus fondamental, d’absolu, lié à la nature même des partis concernés, dans leur idéologie. L’extrême n’est pas seulement la version la plus dense, la plus acérée d’une idéologie dont les nuances s’adouciraient à mesure qu’on se rapprocherait du milieu de l’axe politique. Les extrêmes rompent la continuité de l’axe. On ne conçoit un dégradé continu que pour le reste du spectre : en arrivant à chaque bout, un gouffre et, de l’autre côté, l’extrême.
C’est ce qui rend les partis dits extrémistes intouchables, infréquentables. Ils ne sont plus des adversaires politiques mais des ennemis. Hors du jeu politique, ennemis de la démocratie, ennemis de la république, ennemis des institutions… du côté de la guerre civile.

Sauf en une provocation d’adolescent inculte, on ne se réclame jamais de l’extrême droite ni de l’extrême gauche. La radicalité, oui ; l’extrémisme, non. Parce que dans la radicalité, la continuité demeure et prend même tout son sens : il s’agit d’aller aux racines (même étymologie), c’est-à-dire au plus profond, au plus originel, au plus pur. L’idéal de pureté présent dans les radicalités ne rompt pas avec le reste du spectre politique, il dégage l’idée – et ses conséquences – de sa gangue, des mensonges qui l’entourent, des faiblesses et des hypocrisies humaines qui la masquent. Au prétexte d’un monopole de la lucidité – usurpé ou réel, d’ailleurs – les éthiques de responsabilité et de conviction se confondent dans des discours d’autolégitimation.

La radicalité est revendiquée ; l’extrémisme jamais. Il sert au contraire à stigmatiser l’adversaire transformé en ennemi. L’extrémiste, c’est toujours l’autre. Le terme est une arme polémique qui vise à pétrifier celui qui en est affublé, comme sous le regard de Méduse. Qualifier un parti d’extrême droite ou d’extrême gauche revient à le disqualifier immédiatement en l’associant à l’horreur. L’extrême droite, c’est Hitler, Mussolini, le nazisme, les fascismes, les camps d’extermination, etc. etc. L’extrême gauche, c’est Staline, Mao, les Khmers rouges, les soviets, le goulag, etc. etc. Par conséquent, contrairement à tant d’autres, le renversement de ce stigmate-ci n’intervient jamais : personne ne l’endosse volontairement pour en faire un étendard. Les références historiques sont trop prégnantes, les expériences politiques attachées aux extrêmes trop violentes, la culpabilité trop absolue. Par-dessus tout, les conséquences de la rupture avec la continuité de l’axe sont impossibles à assumer. À moins de se faire combattant d’une idéologie terroriste.

Le RN : d’extrême droite ?

C’est peut-être pour « l’extrême droite », plus encore que pour « l’extrême gauche », que l’accusation est la plus violente. La Deuxième Guerre mondiale et le XXe siècle sont passés par là. La volonté opiniâtre de Marine Le Pen à récuser l’étiquette pour son parti en témoigne. A-t-elle vraiment tort ?

La fondation du FN par son père au début des années 1970 ne laisse guère de doute : rassemblant une constellation de groupuscules et d’individus en apparence très divers (anciens SS et nouveaux fascistes, antigaullistes partisans de l’Algérie française, catholiques traditionalistes, antisémites, xénophobes et autres racistes avoués, monarchistes, militaires et partisans d’un régime autoritaire…), le parti se construit autour d’un rejet des institutions démocratiques et républicaines, plus petit dénominateur commun de tous ces courants qui cohabitent difficilement. L’incorporation du dogme néolibéral comme doctrine économique et sociale à l’heure de la révolution conservatrice de Reagan et Thatcher vient compléter le corpus idéologique du parti qui devient, dans les années 1980, l’alliage (au sens chimique) du néolibéralisme et de l’identitarisme [1].

L’éviction du patriarche et la prise de pouvoir presque freudienne de la fille ont entraîné une révolution idéologique au sein du parti. Certes, les vieux restes ne sont pas négligeables : l’identitarisme de droite est toujours présent, au moins aux marges du RN, chez ses groupuscules satellites et compagnons de route peu fréquentables qui, malgré les efforts de Marine Le Pen, ne savent pas toujours se faire discrets dans les médias. Leur influence varie avec le temps et au gré des luttes de pouvoir intestines. Quoiqu’affadie, elle demeure présente et nul doute que, dans l’hypothèse d’une arrivée au pouvoir du RN, elle serait décisive – chacun cherchant à placer ses pions et à orienter la politique menée.

Néanmoins, de manière générale, ce qui est vrai des cadres et des militants d’un parti ne l’est pas nécessairement de ses électeurs… et tout particulièrement pour le RN où l’hiatus est net. Qu’il y ait d’authentiques racistes et de véritables extrémiste parmi ses électeurs, soit ; mais prétendre, comme le font certains pour se donner bonne conscience, que tous ceux qui votent pour ce parti sont « des fachos » est une ânerie. Dans la mesure où toute une partie du peuple est méprisée ou ignorée par les autres partis, il ne faut pas s’étonner de la voir choisir par défaut l’abstention ou le RN. Ce dernier, en effet, développe depuis plusieurs années un discours prétendant dépasser le clivage gauche-droite afin de mieux draguer cette France périphérique qui souffre des insécurités physique, économique, culturelle… Que les réponses que le RN apporte soient démagogiques et ne puissent en aucun cas résoudre les crises que vivent ces individus passe finalement au second plan [2].

Une autre voie, sans doute complémentaire, pour effacer le fossé qui sépare le RN du reste du continuum politique, est celle explorée par Éric Zemmour. Sa tentative de synthèse impossible entre néolibéralisme, identitarisme et républicanisme a échoué à la présidentielle. Sous le vernis républicain, le corpus idéologique fondamentalement incompatible avec le républicanisme véritable s’est montré le plus fort. Toutefois, la geste zemmourienne n’est pas un échec complet. En effet, l’agrégation autour de lui de personnalités et de sensibilités variées fait avancer l’idée, ancienne, d’une « union des droites ». Avec pour figure de proue Marion Maréchal, ce mouvement a pour objectif de coaguler les restes de la droite incompatibles avec le macronisme (pour des raisons idéologiques ou, plus souvent, d’opportunisme) avec les fractions du RN ne se reconnaissant pas dans la stratégie de dépassement de Marine Le Pen.

Les deux entreprises visent au même objectif : enjamber le fossé qui sépare le RN du reste de l’échiquier politique et donc du pouvoir. Or il ne faut se faire aucune illusion : si ce parti n’est pas, à proprement parler, d’extrême droite, son programme et, surtout, la politique qu’il mènerait n’ont pas grand-chose de républicain pour autant – mais tout de néolibéral et d’identitaire. Que l’on imagine seulement, pour s’en convaincre, une Marion Maréchal ministre de l’Éducation nationale ou bien la politique de la famille dictée par La Manif pour tous… Loin d’apporter au peuple français les solutions dont il a besoin, on verrait bien plutôt les différentes officines sur lesquelles s’appuient la tante et la nièce se disputer le pouvoir, laissant de côté ce peuple si utile pour gagner les élections mais bien vite oublié une fois celles-ci passées.

LFI : d’extrême gauche ?

Du côté de « l’extrême gauche », la situation est un peu différente. Les récentes accusations portées à l’encontre de LFI et de la NUPES, dans le cadre des élections présidentielle puis, surtout, législatives, ont bien montré le discrédit associé à l’idée d’extrême et la fonction purement polémique du procès d’intention. Afin de resserrer les rangs autour de la candidature d’Emmanuel Macron et de ses candidats à l’Assemblée, présentés par contraste comme les incarnations de la raison et de la mesure, le chiffon rouge de « l’extrême gauche » a été agité ad nauseam. Collectivisation, chasse aux riches prêts à émigrer massivement pour échapper à la terreur rouge, effondrement de l’économie nationale sous l’effet de mesures confinant à la pure folie dogmatique… les caricatures ont fleuri, faisant passer Mélenchon pour Staline et son programme pour un retour à l’URSS. En cette matière comme en tant d’autres, les références collectives et l’imagerie populaire forment un terreau fertile sur lequel poussent les fleurs de la calomnie.

Il suffit de lire le programme de LFI et de la NUPES pour s’apercevoir, comme je l’ai déjà dit la semaine dernière, qu’il n’y a pas grand-chose de neuf par rapport à 2017, si ce n’est l’enrobage dans quelques mesures démagogiques qui ne mangent pas de pain – et de même nature que toutes les promesses électoralistes et clientélistes dont les autres partis se sont, eux aussi, rendus coupables dans les dernières semaines de campagne. L’exercice est classique et seulement pitoyable. Ce programme, donc, qualifié d’extrémiste par les gardiens de la bien-pensance économique, usurpateurs qui osent se prétendre scientifiques alors que leur discipline est de la même nature que l’astrologie [3], se révèle, en réalité bien fade. Il serait même suspect aux yeux des socialistes d’il y a un siècle… et très loin même des ambitions du programme commun qui a mené Mitterrand à l’Élysée.

De manière générale, cette LFI que l’on appelle « extrême gauche » aujourd’hui n’a rien à voir avec les idéologies ainsi étiquetées par le passé. Personne n’y prône plus sérieusement la socialisation intégrale des moyens de production, la fin de la propriété privée ni la dictature du prolétariat. Le glissement des plaques tectoniques de la politique a entraîné vers la droite la plupart des partis, faisant aujourd’hui passer pour « extrême gauche » ceux qui hier auraient été qualifiés de centre gauche. D’un point de vue économique et social, rien ne justifie cette étiquette, sauf la volonté de disqualifier l’autre sans débat ni appel. Les rodomontades et tentatives d’effrayer le bourgeois en utilisant les grosses ficelles de la peur du méchant communiste n’élèvent guère le débat et, bien qu’efficaces pour rassembler leur camp, ne grandissent pas ceux qui s’en servent.

D’autant que d’autres angles d’attaque existent contre la « gauche » LFI et NUPES, bien plus pertinents : le gauchisme culturel, le « wokisme » et, de manière générale, l’identitarisme qui métastasent dans toute un partie de cette « gauche ». La vieille maison a laissé entrer des mouvements idéologiques qui s’en sont emparés et se font dorénavant passer pour « la vraie gauche ». Ce que j’ai appelé la « gauche coucou » reprend à son compte des éléments déjà présents dans le corpus idéologique de certaines parties de la gauche mais en les transformant pour mieux les adapter à une vision du monde propre. Quelques exemples en vrac [4] :

L’antisémitisme n’a jamais été l’apanage de l’extrême droite : présent dans toutes les familles politiques, il a notamment fleuri à gauche sous l’angle de la dénonciation d’un hypothétique pouvoir financier des juifs. Il revient à la mode à travers les luttes pour la Palestine et les mouvements dits antisionistes qui ne sont rien d’autre que le cache-sexe d’un antisémitisme répugnant.
Le jeunisme démagogique qui atteint aujourd’hui des sommets avec la fabrication d’une guerre générationnelle menée contre les « vieux » (les fameux « boomers »), au prétexte fallacieux de la défense de l’environnement, puise, entre autres, aussi bien à la tradition maoïste de la révolution culturelle qu’aux délires pédagogistes faisant de la jeunesse une valeur en soi que les méchants adultes – professeurs en tête – opprimeraient.
L’application brutale et crétine d’une grille de lecture répartissant exclusivement les groupes et individus en opprimés et oppresseurs peint le monde en noir et blanc, créant artificiellement des victimes par naissance et des bourreaux par essence. « Les nouveaux damnés de la Terre » n’ont aucune justification à donner de leurs actes : ils sont innocents de tous les crimes qu’ils pourraient commettre, ceux-ci étant à mettre au compte de la société qui a été méchante avec eux. Cette culture de l’excuse, cette victimisation bien commode, cette moraline, ces idéaux ascétiques de pureté, permettent de s’affirmer membre du camp du Bien© en ayant toujours la conscience propre, même et surtout lorsqu’on en arrive à défendre les terroristes.
Ou les pires formes de patriarcat, comme le font les néoféministes. Prompts à s’inventer de nouvelles luttes « intersectionnelles » pour mieux abandonner les combats menés par les féministes universalistes qui les ont précédés, ils n’hésitent pas à trahir les femmes et à sacrifier leurs droits au profit de la chouinocratie transactiviste ou, pire encore, de la bigoterie islamiste.
La misologie et la détestation de la science se font passer pour les nouveaux avatars des luttes contre la technicisation du monde. Hélas, alors que l’extension du domaine de la technique et une conception mensongère et étriquée du progrès vont jusqu’à asservir et prostituer la science à des intérêts qui lui sont extrinsèques et méritent d’être analysées, critiquées et combattues, les petits propagandistes des théories les plus fumeuses, à l’incompétence scientifique crasse, se contentent d’affirmer préférer les sorcières aux scientifiques et font la promotion de formes sectaires de religiosité.
Etc.
Etc.
Etc.

L’identitarisme « de gauche » séduit dans une alliance improbable les bobos de centres-villes et le lumpencaïdat des territoires abandonnés aux mafias criminelles et religieuses. À la fois opportuniste et dogmatique, cette « gauche » islamowokiste prolonge des éléments déjà bien présents dans certaines nuances de gauche antérieures – tendances minoritaires qui sont exacerbées au point de devenir aujourd’hui hégémoniques – et opère une scission flagrante avec ce qui en a fait historiquement la colonne vertébrale idéologique. C’est de ce point de vue qu’on pourrait parler d’extrême gauche au sens donné précédemment : une rupture idéologique majeure d’avec le reste du spectre politique. Mais, là encore, ce serait plaquer une expression déjà sémantiquement très chargée sur une réalité qui ne s’y conforme que difficilement – si, pour ce qui concerne cette vision du monde, la qualification d’extrême peut être discutée, celle de gauche doit l’être au moins autant !

LREM : d’extrême centre ?

Et puis l’on vit surgir l’expression disruptive : « extrême centre ». Inventée par l’historien Pierre Serna pour décrire le régime appliqué en France du Consulat à la Restauration, reprise ensuite par plusieurs universitaires pour en élargir le sens et, enfin, rapidement vulgarisée et maltraitée par toutes sortes de journalistes et communicants, elle fonctionne dorénavant comme un slogan, très très loin de ses significations originelles – jusqu’à prendre une connotation positive pour ceux qu’elle désigne.

Le rapprochement cocasse de deux termes en apparence opposés provoque interrogation et réflexion : est-ce une blague ? cela veut-il vraiment dire quelque chose ? est-ce là une révolution sémantique de la politique ou suis-je juste en train de me faire (encore) enfumer par un marketing politique à court d’idée ?

Topologiquement, parler d’extrême centre, c’est comme parler de cercle carré. L’idée sous-jacente est celle d’un centre qui romprait avec les caractéristiques, et particulièrement les défauts, qui lui sont habituellement associés : mollesse, indécision, fadeur… Un centre, surtout, qui ne serait plus un pis-aller, un moindre mal par défaut, en opposition aux extrêmes infréquentables, mais qui s’assumerait pleinement par des principes et un contenu idéologique positifs. Qui se revendiquerait même comme pointe acérée d’une vision du monde explicite. Si le stigmate d’extrémiste ne se retourne pas facilement à gauche ou à droite, le paradoxe permet au centre de se l’approprier positivement. Et ainsi de rompre avec toute l’imagerie qui lui colle dans les représentations collectives.

Le macronisme se présente alors lui-même comme un extrême, mais un extrême qui serait exempt de tout ce que les autres extrêmes ont de négatif, de mortifère. L’extrême centre agirait comme un remède aux maux des extrêmes gauche et droite. Le « bon » extrême contre les « mauvais » extrêmes, en somme.

Sauf que, d’abord, le macronisme n’est pas un centrisme. Comme si l’autoaffirmation suffisait à être ce qu’on prétend être ! Je peux crier partout que je suis cardinal, ce n’est pas pour cela que je vais élire le prochain pape – même si le rouge me va très bien. Un peu comme ces sportifs qui, médiocres dans les compétitions masculines, se découvrent subitement transgenres et écrasent les femmes dans leur catégorie, ou comme cette gauche coucou dont je viens de parler et qui se ferait botter le derrière par Clemenceau, Jaurès ou Blum, le macronisme ne cesse de se dire « et de droite et de gauche », « parti de la raison », « de la mesure », etc. sans montrer, dans la pratique, de preuves réelles d’un centrisme bien hypothétique. Beaucoup de centristes sincères y ont cru, et y croient encore… sans voir que le loup s’est contenté de tremper sa patte dans la farine. Je me souviens pourtant d’un François Bayrou bataillant ferme contre Nicolas Sarkozy en 2007, dénonçant chez son adversaire les puissances d’argent, la fascination pour le modèle américain, les caprices d’un enfant-roi, la casse du système social français et des services publics… La cécité réelle ou simulée du Béarnais et de ses troupes devant l’héritier de Sarkozy est d’autant plus coupable [5].

Ensuite, quitte à faire hurler les antimacronistes, il me semble difficile de qualifier le macronisme d’extrémiste, du moins à partir des définitions que j’explore depuis le début de ce billet. Certes, le macronisme n’est pas un simple opportunisme politique né de la geste individuelle d’un Rastignac opiniâtre et culotté. Il repose, au contraire, sur une idéologie (aux sens de Paul Ricœur et Hannah Arendt) très efficace, une vision du monde structurée qui accompagne l’évolution contemporaine du capitalisme : le néolibéralisme. Or, si l’homme, son parti et la politique qu’ils mènent s’inspirent directement de cette Weltanschauung, celle-ci ne peut pas être considérée comme un « extrême », dans la mesure où elle ne se positionne pas sur l’axe gauche-droite mais dans un autre espace d’analyse du politique : celui d’une lutte entre pensées politiques irréductibles à une schématisation linéaire.

*

Bien qu’il ait mauvaise presse, je persiste à penser que le clivage gauche-droite est encore utile – qu’il a une signification réelle et qu’il peut servir à décrire et comprendre en partie le politique, ainsi que, surtout, aux individus à se construire une identité politique, un sentiment d’appartenance et une culture civique nécessaire à la praxis du citoyen. Jusqu’à un certain point, du moins. Et ce point est atteint lorsque cette conception sert d’écran au réel, de système explicatif paresseux, de réflexe pavlovien offrant l’immense confort de s’exonérer de penser. C’est dans le cadre d’une interprétation du monde politique selon le clivage gauche-droite que naissent et prennent sens les notions d’extrêmes. Au-delà du seul outil polémique dans un jeu rhétorique stérile, elles ne me semblent plus pertinentes pour décrire les partis politiques qui en sont trop rapidement accusés – par conséquent de manière contreproductive. Si on pouvait cesser d’utiliser les mots n’importe comment pour mieux s’éviter de penser, peut-être appréhenderait-on mieux les complexités et les nuances du réel. En effet, d’autres modèles, plus précis et plus justes (au sens de justesse et de justice), rendent mieux compte du réel et de ses subtilités. Renoncer à la qualification d’extrême ne signifie en rien une reddition devant l’adversaire mais, au contraire, un choix plus judicieux des arguments à lui opposer. Hélas, les vieux réflexes ont la peau dure.

Cincinnatus, 27 juin 2022


[1] À propos de l’idéologie néolibérale et de la guerre culturelle des années 70 et 80, voir « Misère de l’économicisme : 2. L’idéologie néolibérale ».

[2] Pour un exemple de ce peuple oublié qui, bien que lucide quant aux billevesées qu’il assène, choisit quand même le parti de Marine Le Pen parce qu’il lui semble ne pas y avoir d’autre choix, lire « Au secours, ils n’ont rien compris ! ».

[3] Non, l’économie n’est pas une science : ceux qui affirment le contraire sont des escrocs, quelle que soit leur chapelle. L’économicisme est une idéologie qui cherche à faire passer ses dogmes et sa vision du monde pour des faits hors de la discussion et de la critique. Pour s’en convaincre : « Misère de l’économicisme : 1. L’imposture scientifique ».

[4] La catégorie de ce blog intitulée « Antiuniversalistes de tous poils » rassemble les billets consacrés à analyser ces différentes nuances identitaires à gauche.

[5] Tout cela est largement développé dans « Petite missive adressée à mes amis centristes » et « Qu’est-ce que LREM ? ».

Publié par

Cincinnatus

Moraliste (presque) pas moralisateur, misanthrope humaniste, républicain râleur, universaliste lucide, défenseur de causes perdues et de la laïcité, je laisse dans ces carnets les traces de mes réflexions : philosophie, politique, actualité, culture…

Une réflexion sur “Quels extrêmes ?”

  1. J’ai pris plaisir à cette analyse de l’abus du terme « extrémiste », « extrême…quelque chose », notamment en ce qui concerne la gauche dite « extrême ». Depuis la Présidence Hollande, peut-être un peu avant, le « mélenchonisme » est un extrémisme pour effrayer le Bourgeois, ce dernier se trouvant déjà dans la classe moyenne/moyenne supérieure. Et je suis d’accord que le programme de LFI est mièvre à côté du programme de la Gauche des années 80…Il y a fort à parier que lorsque le PS et le PC d’aujourd’hui se seront entièrement néo-libéralisés , la LFI d’aujourd’hui, dans sa grande majorité ne sera plus extrémiste. Mais où sera alors l’extrême gauche effrayante ?

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