Face au désastre climatique

Le Moine au bord de la mer, Caspar David Friedrich (entre 1808 et 1810)

Quoi qu’en disent les négationnistes climatiques qui ont rejoint les autres complotistes divers et variés dans les limbes de la paranoïa, le consensus scientifique est bien établi : nous vivons une catastrophe climatique et environnementale inédite, dont l’activité humaine est la cause directe. Entre réchauffement climatique et extinction de masse, les grands équilibres de notre planète sont en train de s’effondrer sous nos yeux, mettant en péril non seulement l’existence de l’humanité mais de la vie elle-même. Nous le savons, nous le voyons… et nous nous payons de mots plutôt que d’agir.

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À cette situation d’une gravité sans précédent, les mauvaises réponses pullulent.

Les tartuffes néolibéraux s’en réjouissent et y voient de formidables « opportunités » de faire encore plus de pognon [1]. Cette danse au-dessus du volcan est abjecte. Les vautours et agents volontaires de la destruction prônent l’extension infinie du Saint-Marché, selon eux capable de résoudre tous les problèmes, y compris climatique, du moment qu’on le laisse faire. Ainsi, pour ne pas remettre en question les modes de production et de consommation, se font-ils les meilleurs promoteurs des escroqueries du « greenwashing » et, surtout, du solutionnisme technique, déployant un discours rassurant selon lequel les problèmes nés de la technique seront résolus par la technique elle-même. La confusion entre science et technique atteint chez eux son paroxysme. Sans même se rendre compte de la naïveté d’une telle pensée magique, ils font tout pour tirer profit de la situation et rêvent de solutions simples et financièrement très rentables pour pouvoir continuer leurs affaires comme avant – et même les améliorer encore. Obsédés par la croissance du PIB, ils font mine de ne pas comprendre qu’il est dément de courir après une croissance infinie dans un monde aux ressources finies.

Les écologismes ne valent guère mieux [2]. L’écologie est une science, l’écologisme est une idéologie… très rentable pour un petit quarteron de politiques médiocres. L’absence de tout scientifique sérieux parmi les ténors du principal parti prétendument écologiste en France et au sein des plus hautes instances de celui-ci en dit long. Les écologistes labellisés préfèrent d’ailleurs le spectacle à l’environnement. Entre les délires ésotériques et antiscientifiques de ceux qui affirment préférer les sorcières aux ingénieurs, les fantasmes antihumanistes d’une éradication pure et simple du « poison humain » pour les adeptes de la deep ecology, les masochistes de l’effondrement, les détournements de la notion de décroissance – pas idiote en soi mais mise à toutes les sauces souvent peu ragoûtantes –, le happening permanent des pasionarias des réseaux dits sociaux qui, pour se donner bonne conscience, s’avilissent dans des combats indignes totalement étrangers à la défense de l’environnement et perdent ainsi honneur et légitimité, et l’exhibitionnisme de la vertu et les prêches de moraline qui, dans le même mouvement, culpabilisent et déresponsabilisent les individus (non, on ne sauvera pas la planète en faisant pipi sous la douche !), le « wokisme », ce divertissement pour oiseux oisifs et chemises brunes à fleurs, démontre chaque jour qu’il n’est pas un humanisme. Et encore moins une voie crédible pour nous sauver du précipice !

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Tourner le dos à la science, c’est embrasser les obscurantismes. Et donc accroître la crise. Pour nous en sortir, au contraire, nous avons besoin de science. De beaucoup plus de science. La ligne de crête est toutefois particulièrement difficile à tenir pour ne pas verser dans les illusions du solutionnisme : n’en déplaise aux nababs de la Silicon Valley, les algorithmes ne nous sauveront pas. Il faut prendre au sérieux l’avertissement du grand humaniste Romain Gary : « La technologie est le trou du cul de la science. », affirme-t-il dans son très beau roman Charge d’âme [3]. L’asservissement de la science aux impératifs de la technique mais aussi de l’économie, de la finance, etc. la stérilise.

La question énergétique, centrale, est à ce titre un exemple édifiant. Les escrocs de toutes obédiences ont sciemment saboté la filière énergétique nucléaire française depuis plusieurs décennies, par intérêt ou par idéologie. Alors que le nucléaire produit une énergie pilotable, bon marché et, surtout, sans émission de gaz à effet de serre, on nous vend des dispositifs intermittents, non pilotables, à la production médiocre, chers, polluants, non recyclables et qui doivent être complétés par des centrales elles-mêmes émettrices de gaz à effet de serre ! Cette pure folie, encouragée et grassement financée par notre (trop) cher partenaire allemand, atteint aussi bien ceux qui voient dans le démantèlement d’EDF et l’ouverture du marché de l’électricité une juteuse aubaine que par les idéologues écologistes qui croient sincèrement qu’un champ d’éoliennes est meilleur pour l’environnement qu’une centrale nucléaire.

Le développement de nouvelles générations de réacteurs et la recherche de nouvelles techniques sont absolument nécessaires (à ce titre, l’arrêt du projet Astrid est criminel). Néanmoins, imaginer que cela serait suffisant est une erreur. Et il en va de même, plus généralement, de toute tentative de résolution de la crise climatique. Nous ne pouvons ni ne devons nous passer de la recherche scientifique mais nous ne pouvons ni ne devons nous reposer sur elle seule pour mieux nous dédouaner de toute responsabilité civique ou humaine.

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Nous devons repenser nos modes de production et de consommation d’un point de vue éminemment politique. Trois scénarios, aux probabilités très variables, sont devant nous. Du moins plausible au plus vraisemblable :

Les changements choisis. Un véritable débat public s’instaure, permettant au peuple de décider collectivement de la forme que prendront les efforts collectifs et individuels. Un moment critique de la démocratie permet à la nation de s’exprimer – par exemple au cours d’une campagne présidentielle – et d’exprimer ainsi sa pleine souveraineté. Les transformations requises sont ainsi légitimes et acceptée ; elles sont justes et partagées équitablement en fonction des capacités de chacun à les endurer.

Les changements subis. Dirigeants politiques comme citoyens évitent avec un talent certain de prendre en main la situation. L’imminence de la catastrophe et les pressions extérieures et intérieures imposent des mesures drastiques prises autoritairement par le pouvoir sur les conseils d’officines défendant des intérêts privés. Ces mesures s’imposent essentiellement aux classes déjà les plus faibles, les plus pauvres, épargnant largement les plus puissants, les plus riches, et aggravant encore plus les crises sociales, politiques, culturelles… jusqu’à l’explosion de la société.

Business as usual. Rien ne change dans nos comportements. Le désastre survient… mais de manière suffisamment lente et continue pour ne pas marquer vraiment les esprits : les étés sont un peu plus chauds, les océans montent progressivement, les glaciers reculent peu à peu, les espèces s’éteignent l’une après l’autre en silence… par son étirement temporel, la crise devient normalité. Un tas de paille auquel on enlève un brin demeure un tas de paille ; on peut lui en enlever un autre, puis un autre… il sera toujours un tas de paille, jusqu’à ce qu’il ne reste que quelques brins et que l’on se demande benoîtement comment on en est arrivé là. De même, dans la société de l’obscène, s’habitue-t-on à tout et ne voit-on même plus la destruction du monde sous nos yeux. La fin du monde ne fera pas de bruit, un gémissement tout au plus.

Le dernier scénario me semble, hélas, le pire et de très loin le plus probable. L’emballement des processus climatiques a déjà débuté. Sans doute le point de non-retour a-t-il même été atteint et dépassé sans que nous nous en soyons aperçus. Et pourtant nous continuons de vivre exactement comme si de rien n’était. Il ne faudra bientôt plus d’études théoriques mais des autopsies.

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Nous vivons bien sans qu’il existe plus de Tigre de Bali, de Cerf du Père David, de Loxopse de Maui – mais qui se soucie du Loxopse de Maui ? – ni de milliers d’autres espèces animales et végétales, disparues ces dernières décennies. Pour la génération de ma fille, éléphants, lions et baleines occuperont dans l’imaginaire à peu près la même place que les mammouths dans le nôtre.

Autocentrés à l’extrême, nous ne sommes même pas capables de penser à l’échelle de notre espèce alors que, comme le constatait déjà amèrement Romain Gary en son temps, « l’enjeu, en l’occurrence, n’est pas ce qu’il adviendra de nous, mais ce qui se passera après nous. Et nous avons besoin d’une authentique émotion pour nous identifier à notre espèce dans son ensemble et à son avenir [4]. » Amputés de toute émotion, nous n’avons pour ceux qui nous suivront qu’une attention feinte qui ne relève que de l’égoïsme collectif. Car il ne s’agit pas seulement de sauver l’espèce humaine de l’anéantissement : que vaudrait la vie humaine dans un monde vitrifié ?

Au risque de passer pour un idéaliste, je refuse néanmoins de croire que l’indispensable soutien à la protection de la nature ne peut venir que sous la forme d’une réponse à la nécessité de se préserver soi-même. Il y faut autre chose, quelque chose de différent de la raison pure et dure. Quelque nom qu’on lui donne – générosité, émerveillement, sympathie, désir ardent de l’innocence perdue –, cela a beaucoup plus à voir avec les sentiments et les émotions qu’avec la dialectique de notre propre survie. [5]

La mithridatisation des esprits à l’œuvre dans la société de l’obscène éteint en nous toute sensibilité au monde. Nous observons l’abîme avec un mélange paradoxal de froideur et d’hystérie, sans l’émotion ni l’émerveillement que doit susciter la beauté du monde. Nos sens sont ravagés par la calomnie qu’a subie le beau au profit exclusif du moche. Nous avons désespérément besoin d’ingénieurs et de poètes. Malgré les railleries des philistins, une prise de conscience esthétique devant le monde n’a rien de superfétatoire, retrouver le chemin de l’émerveillement n’est ni un enfantillage désuet ni un luxe que nous ne pourrions plus nous permettre. C’est au contraire une condition sine qua non de la préservation de la planète, du monde commun et de notre propre humanité.

Cincinnatus, 13 novembre 2023


[1] Voir : « Écologie : entre tartuffes et idiots inutiles ».

[2] Voir : « Écologie : de l’apocalypse à la pensée magique » et « Écologie : quel spectacle ! ».

[3] Romain Gary, Charge d’âme, Folio, p. 32.

[4] Romain Gary, L’affaire homme, Folio, p. 244.

[5] Ibid., p. 242.

Publié par

Cincinnatus

Moraliste (presque) pas moralisateur, misanthrope humaniste, républicain râleur, universaliste lucide, défenseur de causes perdues et de la laïcité, je laisse dans ces carnets les traces de mes réflexions : philosophie, politique, actualité, culture…

4 réflexions au sujet de “Face au désastre climatique”

  1. Le consensus scientifique est une ânerie sans nom
    La science progresse et a TOUJOURS progressé parce que ceux qui réfléchissent mettent en cause précisément la notion de consensus
    A partir du moment où il y a consensus il n’y a plus aucune raison de se poser une question puisqu’il n’y a aucun problème à résoudre
    Laissez la notion de consensus aux politiques cela leur sied à merveille
    Par contre de continuer à faire tout et n’importe quoi c’est complètement débile
    Il faut se poser les bonnes questions et ne pas tout avaler sans réfléchir
    CQFD

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  2. “ mettant en péril non seulement l’existence de l’humanité mais de la vie elle-même. ”
    L’humanité certainement, mais la vie probablement voire certainement pas.
    On va laisser la place à de nouvelles espèces qui ne demandent qu’à se développer dans le bordel qu’on va laisser.

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  3. Je n’ai aucune compétence en la matière : je constate simplement qu’il n’y a plus d’hiver, et surtout plus beaucoup d’oiseaux, d’insectes, de lézards…, et que l’on a oublié de promouvoir la beauté de la nature : mes élèves ignorent ce qu’est un étourneau, une grue, un pinson.
    Nous sommes envahis d’objets inutiles, un tour aux Halles est une épreuve pour les esprits sobres. Nos villages sont cernés de zones commerciales ( et non pas industrielles hélas), des ronds-points multiples et des lotissements dévorent le paysage, pendant qu’au centre des villages, de jolies maisons anciennes s’effondrent.

    Promouvoir la beauté : beauté de la musique, de la poésie, des jolis quartiers citadins, des villages, de la nature. Ce serait peut-être un pas vers la raison : moins de choses, moins de choses venues de loin et polluantes, et davantage de relations humaines.

    Il faut réinventer un projet d’avenir.

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