Le grand débarras

Ils ont tout cassé, tout détruit, tout saccagé, tout vendu à la découpe, tout bradé pour des places et du pognon : hôpital, école, université, services publics, justice, renseignement, industrie, nucléaire, PME, agriculture, chemin de fer, Poste, Sécu, retraites, modèle social, souveraineté, puissance et indépendance de la France, langue, culture, patrimoine, laïcité, etc. etc. ; tout ce que leurs prédécesseurs avaient patiemment construit, conquis, inventé et dont nous devions hériter avec l’impérieux devoir de préservation et d’enrichissement avant, à notre tour, de le léguer à nos successeurs.

Et maintenant, ils veulent en finir avec les derniers décombres, avec ces ruines qui ne témoignent que d’un immense gâchis ; achever le peu qui semble encore vaguement bouger.

Ils ? Tous ceux qui ont participé, ne serait-ce que de loin, au pouvoir politique depuis quarante ans. Tous les présidents, ministres et ministricules, mais aussi tous les parlementaires des deux chambres, mais encore tous les élus divers et variés des différentes couches du millefeuille territorial, et puis tous les maires et leurs cortèges d’adjoints et conseillers municipaux des grandes villes, sans oublier tous les membres des cabinets officiant dans l’ombre, en y ajoutant bien tous ceux qui sont restés longtemps devant les portes fermées du pouvoir, feignant de vouloir entrer mais profitant de leur position si confortable pour empoisonner la vie politique et qui crient volontiers au « tous pourris » pour détourner l’attention de leurs propres turpitudes… Quelles que soient ou fussent leurs obédiences politiques, qu’ils appartinssent à la majorité coupable du moment ou à l’opposition drapée dans des oripeaux de virginité usurpée en attendant que vînt leur tour pour se servir et poursuivre les mêmes politiques. Tous complices. Tous responsables. Tous coupables. Tous des traîtres.

Qu’importe qu’ils se récrient de n’avoir été que des figurants, il y a bien longtemps, dans la farce tragique et qu’il y aurait donc prescription ; qu’importe qu’ils se prévalent de n’être élus que depuis peu et se défaussent ainsi de toute participation au sinistre. Les derniers ne valent pas mieux que les premiers ; les plus jeunes sont aussi néfastes que leurs aînés. Aucun n’a compris le sens de la représentation démocratique. Ou bien ils s’en fichent. Alors qu’ils avaient le devoir d’œuvrer à l’intérêt général, de rechercher le bien commun, de servir la nation, ils ont travaillé à leur intérêt personnel, soutenu les puissances privées, spolié le peuple. Que leurs prévarications trouvent leur source dans l’idéologie ou l’opportunisme, ils ont tous failli avec la certitude de n’être jamais inquiétés – voire de conserver leur place si confortable. Quelle triste parodie de démocratie [1] !

C’est pourquoi il faut se débarrasser d’eux.

De tous ceux qui ont eu quelque chose à voir avec le pouvoir, qui ont participé, d’une manière ou d’une autre, au naufrage organisé, à la curée, qui se sont nourris sur la bête ou ont simplement observé tout cela en clignant de l’œil. Tous doivent être virés de leurs mandats lorsqu’ils en possèdent encore, et tous rendus définitivement inéligibles.

Les Américains ont inventé le « spoils system », qu’ils sont de plus en plus nombreux à rêver d’appliquer, ici, en France, en prétendant, sans aucune vergogne, faire peser ainsi sur l’administration le poids de leurs échecs politiques. Même si beaucoup de hauts-fonctionnaires sont complices de ces clowns sinistres, ce ne sont pas les fonctionnaires qu’il faut dégager, mais bien les dirigeants politiques ! Tous, quels qu’ils soient : nationaux comme locaux. Seuls peuvent y échapper, à la rigueur, les maires et élus des petites communes qui, s’ils sont loin d’être tous exemplaires, hélas !, incarnent le dernier carré de grognards encore vaguement fidèles à la fonction et, pour certains, demeurent les derniers héros de la République. Ils n’ont rien à voir avec les barons locaux des grandes villes et métropoles [2] ni avec les satrapes qui dirigent les diverses collectivités territoriales.

Jean-Luc Mélenchon, à l’époque où il ne s’était pas encore entièrement vendu aux idéologies identitaires prétendument « de gauche » et n’avait pas tout à fait trahi ses engagements républicains, avait théorisé le « dégagisme ». Il n’avait pas tort. Débarrassée de la surcouche de pure provocation que le politicien professionnel n’avait pu s’empêcher d’ajouter, l’idée a du sens. Mais il faut la réaliser pleinement, en grand : tous doivent partir. Sans retour possible. Quitter le pouvoir, ses chambres comme ses antichambres. Un périmètre d’exclusion autour de tous les palais, de toutes les assemblées, de tous les lieux qu’ils ont corrompus doit leur être imposé.

En ces temps de corruption généralisée, notre République, qui n’en a plus que le nom, a besoin d’incorruptibles et de retrouver le principe de la vertu civique.

Or, entre culture de l’avachissement et indécence commune, ce sont des vents contraires qui soufflent et balaient les espoirs des derniers républicains. Nous avons perdu. Le peu qu’il resterait à sauver est condamné à court terme. Il ne reste donc qu’à lutter – non pour gagner ; non pour maintenir un édifice déjà effondré ; non, même, pour rebâtir. Nous avons perdu et, si le combat peut être gagné un jour, ce ne sera pas de notre vivant mais de celui de nos petits-enfants encore à naître. Et encore, les chances sont sans doute nulles. Mais lutter malgré tout, avec toute la lucidité possible. Sans que l’idéal ne se transforme en illusion. Lutter parce que c’est impossible, parce que c’est inutile. Donc nécessaire.

Cincinnatus, 14 novembre 2022


[1] L’offre électorale est aujourd’hui à tel point faussée, biaisée, manipulée, si éloignée du spectre idéologique réel, que le mot même de démocratie est souillé et bien étranger à notre expérience politique. Faut-il donc le répéter ? Clamer haut et fort « nous vivons dans une dictature ! » est indécent et stupide : que les révolutionnaires de pacotille qui se donnent ainsi des frissons de transgression à peu de frais aillent donc vivre en Iran, en Corée du nord ou en Arabie saoudite ! Mais prétendre que notre régime est une véritable démocratie est tout aussi crétin ou mensonger. J’ai déjà eu moult occasions de l’expliquer, voir, par exemple : « Ci-gît la République ».

[2] L’exemple le plus emblématique de ces fossoyeurs de la démocratie en est peut-être l’actuelle maire de Paris qui, depuis plusieurs décennies qu’elle participe au pouvoir municipal, détruit sciemment ce qui fut qualifié de « plus belle ville du monde » et la réduit à une caricature de capitale du tiers-monde. Alors qu’elle n’a été réélue que par une poignée de Parisiens dans des conditions absurdes, elle ne fait montre d’aucune dignité, d’aucun respect pour l’héritage, pour le patrimoine, pour les administrés, pour la fonction même. Et ils sont nombreux à son image à régner sur leurs petits royaumes contre ceux-là mêmes au service de qui ils sont censés œuvrer.

Publié par

Cincinnatus

Moraliste (presque) pas moralisateur, misanthrope humaniste, républicain râleur, universaliste lucide, défenseur de causes perdues et de la laïcité, je laisse dans ces carnets les traces de mes réflexions : philosophie, politique, actualité, culture…

Une réflexion sur “Le grand débarras”

  1. Un texte fort auquel je pourrais adhérer quand, dans de plus en plus de moments, je vois se diluer nos principes, nos valeurs, Républicaines, Démocratiques et Laïques.
    Mais oui, il faut se battre, dénoncer, sinon nous ne laisserons pas de traces pour nos petits enfants. Il ne faut pas être aussi défaitiste et noir comme dans votre article, il faut absolument donner de l’espoir. L’Utopie reste un mal (pour certains) nécessaire (pour nous) !

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