Macron le laïque, tartuffe de la République

Macron - discours aux Bernardins
Discours aux Bernardins, 9 avril 2018 – Crédits photo : Ludovic Marin/AFP

Macron en porte-étendard de la laïcité ? Que l’on me permette d’être sceptique… même si cette perspective n’est pas tout à fait inenvisageable : l’opportunisme du Président le rend capable de tout ! Non, d’ailleurs, qu’il soit dénué de convictions – ceux qui l’en accusent n’ont pas complètement raison – mais l’adepte du « en-même-temps » peut les sacrifier en apparences si cela lui permet d’atteindre des objectifs tactiques.

Pour être tout à fait juste, quelques signaux ont été envoyés : loi sur le séparatisme ou clins d’œil appuyés de Blanquer et Vidal dont la kolossale finesse peut plus embarrasser le camp laïque que l’aider véritablement – de là à soupçonner un double-jeu, il ne faut sans doute pas pousser la paranoïa trop loin : l’incompétence demeure souvent l’explication la plus plausible.
In fine, c’est maigre mais pas nul.

Sauf que pour faire un bilan, on regarde les deux côtés de la balance. Et depuis cinq ans, la drague explicite de tous les adorateurs d’un ami imaginaire, quel que soit ce dernier, alourdit méchamment l’autre plateau ! Macron et la laïcité : le désamour était perceptible dès le début [1] mais a été cruellement démontré à peine un an après son élection, le 9 avril 2018, avec le « discours aux Bernardins » de sinistre mémoire [2]. Le doute n’était plus permis et la suite n’a fait que le confirmer : la laïcité, c’est pas son truc [3].

Convocation de tous les pontifes possibles pour donner leur avis dès qu’un nouveau sujet entre dans l’actualité ; ambigüités coupables des mêmes Blanquer et Vidal ; soutien immarcescible à Bellatar et autres personnages peu recommandables ; il y a à peine quelques semaines, adoption par le Sénat contre l’avis du gouvernement d’un amendement visant à interdire les signes religieux dans le sport, cible bien connue de l’entrisme islamiste ; et surtout, fascination assumée pour le modèle multiculturaliste anglo-saxon : Emmanuel Macron ne connaît pas, ne comprend pas et méprise profondément la culture française et ce qui fait l’identité profonde de ce pays qu’il veut formater pour le faire entrer de force dans le moule néolibéral [4].

En matière de laïcité comme en tout, Macron prend modèle sur la chauve-souris de la fable de La Fontaine : « Je suis Oiseau : voyez mes ailes / Je suis Souris : vivent les Rats » [5]. Dommage que d’authentiques laïques se laissent séduire. Ainsi Zineb El Rhazoui, pour qui j’ai une admiration sans borne, a-t-elle récemment rejoint les rangs macronistes pour la prochaine élection présidentielle [6] ; ainsi les couloirs bruissent-ils de rumeurs sur de prochains ralliements de membres du Printemps républicain ou d’autres défenseurs de la laïcité.

Je crois en leur sincérité, en leur volonté de peser, d’infléchir la ligne politique pour un nouveau quinquennat plus clair et plus ferme en ces sujets. Je leur souhaite bon courage, tant l’entourage actuel du Président se compose de souffreteux aux convictions chétives qui ne risquent guère d’aller dans leur sens. Je serai même heureux de voir certains d’entre eux devenir députés si telle est leur ambition : ils renouvelleront avantageusement un personnel politique dont la nullité abyssale est désespérante. Je comprends leur pari ; leur stratégie me semble honorable.

Ce n’est toutefois pas la mienne.

En ce qui me concerne, non seulement Macron n’est pas laïque, mais il n’est pas républicain – au sens du républicanisme, cette Weltanschauung de l’exigence politique, de la vertu civique, de l’engagement au service de l’édification d’un monde commun, de la primauté de l’intérêt général sur les intérêts privés, de la liberté conçue comme émancipation et autonomie… bref. Je l’ai déjà longuement écrit ici, Macron incarne de manière presque chimiquement pure le néolibéralisme, vision du monde concurrente du républicanisme et idéologie incompatible avec la laïcité.

« République laïque et sociale » : je regrette l’oubli, le désintérêt ou le sacrifice du deuxième adjectif par certains ardents défenseurs du premier, ceux que j’appelle les « républicains au milieu du gué », en forme de clin d’œil aux « républicains des deux rives » de Jean-Pierre Chevènement. Destruction des services publics, école en tête (sans doute la pire forfaiture de ces cinq années… et il y en a eu !) ; vente à la découpe du patrimoine national ; désindustrialisation accélérée pour servir des intérêts étrangers ; uberisation de l’économie, précarisation des travailleurs et sape du modèle social français hérité des luttes de nos prédécesseurs (en particulier le CNR) : rejoindre Macron, c’est assumer cette politique du massacre qui ne va que s’amplifier ces cinq prochaines années. Ce sera sans moi.

Cincinnatus, 31 janvier 2022


[1] Voir l’article de Catherine Kintzler de décembre 2017 : « Les propos sur la laïcité attribués au président Macron sont mal ficelés ».

[2] Il faut lire les articles publiés alors sur le blog de Catherine Kintzler : « Comment « sauver » le discours de Macron aux évêques » (Catherine Kintzler, 11 avril 2018), « Macron aux Bernardins : la transcendance à l’eau de rose au service d’une politique » (Jean-Michel Muglioni, 13 avril 2018), « La République laïque et les cultes : reconnaissance, méconnaissance, connaissance ? » (François Braize, 20 avril 2018).

[3] Toujours sur l’excellent blog de Catherine Kintzler, référence absolue en la matière, lire : « Nécessité et impossibilité d’un discours présidentiel sur la laïcité ».

[4] Ne jamais oublier que Macron est le fils spirituel de Giscard et surtout de Sarkozy. Voir, entre autres : « Macron : Sarko 2.0 ? ».

[5] « La Chauve-Souris et les Deux Belettes », fable formidable que celle-ci :

Une Chauve-Souris donna tête baissée
Dans un nid de Belette ; et sitôt qu’elle y fut,
L’autre, envers les Souris de longtemps courroucée
Pour la dévorer accourut.
Quoi ! vous osez, dit-elle, à mes yeux vous produire,
Après que votre race a tâché de me nuire !
N’êtes-vous pas Souris ? Parlez sans fiction.
Oui, vous l’êtes, ou bien je ne suis pas Belette.
Pardonnez-moi, dit la Pauvrette,
Ce n’est pas ma profession.
Moi Souris ! des méchants vous ont dit ces nouvelles :
Grâce à l’Auteur de l’Univers,
Je suis Oiseau : voyez mes ailes ;
Vive la gent qui fend les airs !
Sa raison plut, et sembla bonne.
Elle fait si bien qu’on lui donne
Liberté de se retirer.
Deux jours après, notre étourdie
Aveuglement va se fourrer
Chez une autre Belette aux Oiseaux ennemie.
La voilà derechef en danger de sa vie.
La Dame du logis avec un long museau
S’en allait la croquer en qualité d’Oiseau,
Quand elle protesta qu’on lui faisait outrage :
Moi pour telle passer ? vous n’y regardez pas :
Qui fait l’Oiseau ? c’est le plumage.
Je suis Souris : vivent les Rats ;
Jupiter confonde les Chats.
Par cette adroite repartie
Elle sauva deux fois sa vie.

Plusieurs se sont trouvés, qui d’écharpe changeants,
Aux dangers, ainsi qu’elle, ont souvent fait la figue.
Le sage dit, selon les gens :
Vive le roi, vive la Ligue.

Jean de La Fontaine, Fables, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 2021, livre II, p. 125

[6] Suscitant une certaine incompréhension parmi ses propres soutiens. Aurélien Marcq, par exemple, dont j’apprécie les analyses souvent d’une grande justesse même si je ne partage ni son positionnement politique ni ses choix pour la prochaine élection, lui a récemment adressé une lettre ouverte : « L’erreur de Zineb, les fautes de Macron ».

Publié par

Cincinnatus

Moraliste (presque) pas moralisateur, misanthrope humaniste, républicain râleur, universaliste lucide, défenseur de causes perdues et de la laïcité, je laisse dans ces carnets les traces de mes réflexions : philosophie, politique, actualité, culture…

9 réflexions au sujet de “Macron le laïque, tartuffe de la République”

  1. Bonjour,
    Puisque vous citez l’instructif, passionnant et militant blog de C.K. prenez le temps de lire son dernier post. J’ai été renversé de découvrir le passage des instructions officielles de l’EN (version 2018) qu’elle signale. [ Si vous en avez le temps, vous pourrez lire le commentaire que je viens d’y proposer (quand il sera éventuellement publié d’ici quelques jours).]
    S&F.

    https://www.mezetulle.fr/doit-on-enseigner-le-respect-des-convictions-philosophiques-et-religieuses-dautrui/

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  2. A propos de « l’outing » de Zineb el Rhazoui et son engagement politique en faveur de LREM : trouveriez-vous préférable qu’elle reste sur quelque Aventin acivique et désespéré d’où nous sommes de plus en plus nombreux à regarder, impuissants, la politique nous désespérer ?

    Vous-même, qui êtes un citoyen politiquement engagé, êtes-vous militant d’un parti politique présentant des candidats aux prochaines législatives ou vous résignez-vous, question politique, à seulement en parler ?

    Cette question vous est posée par un concitoyen « engagé » depuis les années 70, ancien militant syndiqué SNES, militant au MRAP (quitté depuis qu’il se perd en procès en islamophobie à l’égard de notre pays), passé jadis par les Verts (quittés pour leur amateurisme brouillon) et naguère par le PS (quitté pour l’arrivisme débile voire complotiste de certains ‘responsables » locaux).

    Ce même citoyen qui, désespérant des égarements irresponsables sinon nocifs de l’actuelle “gauche”, se demanderait sans doute, s’il était plus jeune, si ce n’est pas au sein d’un mouvement plutôt « ouvert » comme LREM qu’il serait tenté de voir ce qu’il pourrait y avoir à faire, entre démocrates prêts à discuter sans Vérité Supérieure préalable ou posture Camp du Bien contre Camp du Mal.

    Car entre néolibéralisme, libéralisme, social-démocratie, social-libéralisme, sociale-écologie, il doit y avoir moyen de poser des bornes et des pistes à ouvrir.

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      1. Sans vouloir vous harceler (surtout pas !), nous direz-vous quel serait le parti ou mouvement politique avec lequel vous militez ou seriez prêt à militer, parce que vous le sentiriez plus cohérent, plus social, plus écologique, plus républicain, plus démocratique ou mieux représenté que les autres ?

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        1. Je ne milite nulle part depuis bien longtemps. J’ai des convergences évidentes avec certains mouvements, comme République souveraine, par exemple, mais je suis très loin de prendre ma carte où que ce soit. Mon engagement civique est ailleurs… ici notamment.
          Cincinnatus

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  3. L’idéologie (ultra-néo-ou autre à venir) libérale considère que tout exercice de la solidarité (la république sociale) est un grain de sable ou pire qui corrompt l’équilibre « naturel » résultant du libre jeu des intérêts particuliers.
    Or donc cette idéologie est incompatible avec la république et ses institutions, mais aussi avec l’Union européenne acquise de près à l’idéal libéral contemporain. Les Grecs en savent quelque chose. La laïcité étrangère au marché des religions, croyances, identités doit être adjectivée, circonscrite, vidée de son sens.
    Ce sera sans moi, non plus.
    .

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