Liberté

La Liberté guidant le peuple, Eugène Delacroix (1830)

L’homme est né libre, et par-tout il est dans les fers.
Jean-Jacques Rousseau, Du Contrat social

Le premier terme de notre devise républicaine est peut-être le plus mal compris et le plus mal traité. Quoique (ou puisque) tout le monde l’emploie à tout bout de champ, on lui prête des définitions parfois étonnantes, souvent incompatibles, toujours ambiguës ; ce que certains désignent comme liberté ressemble à s’y méprendre à ce que les autres nomment servitude. Ainsi le concept sert-il des visions du monde, des idéologies et des présupposés anthropologiques radicalement différents. À tel point que, plus on parle de liberté, moins on sait de quoi l’on parle ; et que tout dialogue au sujet de ce concept fondamental finit immanquablement par se perdre dans des abîmes d’incompréhension mutuelle [1].

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Iségorie ?

Vue idéale de l’Acropole et de l’Aréopage à Athènes, Leo von Klenze (1846)

L’iségorie, concept central dans la démocratie athénienne, assure à tous les citoyens le droit égal à la prise de parole au sein de l’agora. Contrairement aux apparences, pourtant, l’iségorie n’appartient pas au seul régime de l’égalité mais peut-être plus encore à celui de la liberté. L’égalité de parole garantit d’abord et avant tout la liberté d’expression ; l’iségorie en est, en quelque sorte, le reflet au miroir de la démocratie. A priori, tous les citoyens sortis de l’ombre du domaine privé pour entrer dans la lumière du public, cet espace d’apparence où chacun partage paroles et actions dans l’objectif d’édifier un monde commun, disposent de la même légitimité à exprimer leur opinion, leur vision du monde, leur conception du bien commun et de l’intérêt général. Quels que soient son métier, sa richesse, ses origines, ses croyances ou ses chromosomes, tout citoyen, par le seul fait qu’il est citoyen, possède le même droit inaliénable de prendre part au politique et de constituer le souverain.

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Liberté des uns, contrôle des autres

Le Tasse à l’Hôpital Sainte-Anne de Ferrare, Eugène Delacroix (1839)

Il y a, dans l’idéologie néolibérale [1] et, plus encore, dans sa manière de s’appliquer, un paradoxe apparent : d’un côté, une défense lyrique de la liberté (malgré une définition discutable), en particulier individuelle et économique ; de l’autre, une volonté de contrôle dont l’intensité et le périmètre ne cessent de s’accroître. N’y voir qu’une contradiction ou une hypocrisie ferait passer à côté de l’essentiel.

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Tous responsables !

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La Nef des fous, Jérôme Bosch (1500)

Il y a de quoi désespérer, tant l’offre politique est affligeante. De tous les côtés : de sinistres pantins identitaires, des clones tristes néolibéraux ; aucun dirigeant d’envergure, doté d’un minimum de culture et du sens des responsabilités ; rien que des velléitaires n’ayant pour toute justification de leur ambition qu’un pitoyable : « après tout, pourquoi pas moi ? ». Les derniers squatteurs de l’Élysée ont bien montré l’exemple.
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Passe sanitaire : les vertiges de la déraison

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Louis Pasteur, par Albert Edelfelt (1885)

Ce billet est doublement exceptionnel. D’abord, il interrompt la série estivale des « lectures de Cinci » que vous retrouverez lundi prochain avec (encore) un bouquin formidable à lire à tout prix. Ensuite, il traite d’un sujet de l’actualité brûlante (en cet été pourri, il n’y a bien que cela pour nous réchauffer), alors que, normalement, je préfère laisser l’écume aux réseaux dits sociaux. Ces histoires de passe sanitaire prennent néanmoins un tour si inquiétant que je m’essaie à donner, à mon tour, mon avis sur le sujet [1].
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Les lectures de Cinci : le courage d’une jeune femme

Je suis le prix de votre liberté, Mila, Grasset, 2021.

9782246827894-001-TLe livre en deux mots

Depuis deux ans, Mila est menacée de mort. Elle a 18 ans. Tout le monde pense connaître « l’affaire Mila », tant elle a été médiatisée. Dans ce livre, la victime expose les faits et la manière dont elle a vécu – et vit encore – leurs conséquences. Lire la suite…

Généalogies de l’état civil – 2. Le contrat social selon Hobbes, Locke et Rousseau

Hobbes Locke RousseauSi l’état de nature est toujours présenté comme une hypothèse dans laquelle les hommes vivent en-dehors de tout rapport civil, alors se pose la question : comment est-on passé de cet état à l’état civil que l’on connaît ? La théorie du contrat social apporte la réponse à ce problème. Pour ses premiers penseurs, elle est d’abord destinée à combattre et à remplacer la doctrine du droit divin dans laquelle le pouvoir politique prend son origine en Dieu. En établissant que le fondement de l’autorité se trouve non plus dans une transcendance mais dans la libre acceptation contractuelle des sujets d’obéir au souverain, la théorie du contrat social ouvre la voie à l’expression des libertés individuelles face au Prince, dorénavant soumis à des devoirs inscrits dans le pacte (et porte donc en elle le droit de résistance). Portant, la théorie du contrat social peut aussi servir de justification à l’absolutisme du souverain monarque (Hobbes), ou à la souveraineté populaire d’une République (Rousseau). Chaque auteur conçoit donc sa version, en variant les contractants et les termes du contrat, afin de légitimer ses propres vues sur la nature et l’étendue du pouvoir politique.


Sommaire
Jurisconsultes du droit naturel : le pacte de soumission
Hobbes : le contrat social au service de l’absolutisme
Locke : liberté individuelle et droit de résistance
Rousseau : la souveraineté des citoyens
– Le contrat social
– La liberté civile
– La volonté générale


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Généalogies de l’état civil – 1. L’état de nature selon Hobbes, Locke et Rousseau

Hobbes Locke RousseauJe m’éloigne quelques semaines de l’écume de l’actualité pour me ressourcer aux œuvres de ces classiques dont les pensées peuvent éclairer nos réflexions. Les théories de l’état de nature et du contrat social occupent une place centrale dans la pensée politique moderne. Quoiqu’elles semblent passées de mode, elles continuent pourtant d’irriguer, de manière presque subliminale, toutes nos conceptions contradictoires et conflictuelles de l’État, de la souveraineté, de la démocratie, de la république, de la citoyenneté… Il ne s’agit donc en rien d’objets surannés, de ratiocinations de philosophes d’un autre âge qui, pris dans les affaires de leur temps, n’auraient plus rien à nous dire. Au contraire ! Si ces systèmes philosophiques répondaient alors à des considérations très concrètes auxquelles devaient faire face leurs auteurs, ceux-ci ont eu l’intelligence de s’en abstraire pour forger des concepts universels qui nous parviennent avec une puissance inchangée. Voilà une raison de plus pour s’y intéresser, si le simple bonheur de côtoyer des géants de la pensée ne suffisait pas à convaincre de l’intérêt de se frotter à ces textes [1].


Sommaire :
Introduction
Des mythes politiques
Hobbes et Locke : la guerre et la paix
L’homme naturel chez Rousseau : un « animal stupide et borné »
L’évolution de l’état de nature chez Rousseau : vers le contrat social


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Les réseaux sociaux, les GAFAM et la démocratie

Prométhée par Theodoor RomboutsDonald Trump a été banni de Twitter – ses comptes ont été également supprimés d’autres réseaux sociaux et plateformes en ligne. L’entreprise à l’oiseau bleu a osé interdire l’accès à ses services à un futur-ancien-président-des-États-Unis. Avec lui, quelques dizaines de milliers de ses partisans ne pourront plus gazouiller ni accéder à certains services en lignes comme Airbnb. Ces conséquences de la « prise du Capitole » du 6 janvier 2021 semblent prendre des proportions presque plus importantes encore que l’événement lui-même. On se déchire sur les plateaux télé, les stations de radio et – surtout ! – lesdits réseaux sociaux. Les gros mots sont de sortie : « (ir)responsabilité », « justice », « dictature », « démocratie en danger »… on s’émeut, ça fait le buzz. Avant de vite passer à autre chose. Lire la suite…

Que les vieux crèvent !

Deux vieillards mangeant de la soupe - Goya
Francisco de Goya, Deux vieillards mangeant de la soupe (1819-1823)

On a mis à genoux un pays entier pour sauver quelques milliers de vieux qui, de toute façon, seraient morts dans les six mois !

1. Le mensonge

La première prémisse – ce virus ne tue que les vieux et les faibles – est un mensonge.

Quelle que soit la manière dont on découpe la population en statistiques façon tranches de saucisson, toutes les catégories sont touchées par ce virus. Lire la suite…