L’idéologie et l’utopie selon Paul Ricœur (4) – épilogue

Il est important de se plonger dans les auteurs parce que, foutredieu oui !, ils ont des choses à nous dire. Ils nous offrent un armement conceptuel dont il faut s’emparer pour penser, dire et agir.

Pour ce qui est de l’idéologie et de l’utopie telles que conçues par Ricœur, en nous appropriant ces concepts, nous serons plus attentifs à la manipulation des imaginaires collectifs rendue possible par leurs dimensions destructives. Apprenons à dévoiler les utopies folles qui se veulent des eschatologies réalisables hic et nunc, osons exposer les prétentions exorbitantes de certains au monopole sur le réel au nom de la « logique d’une idée », comme Arendt définit l’idéologie.

Mais allons jusqu’au bout et appuyons-nous aussi sur ce que nous montre Ricœur de leurs dimensions constructives. Pourquoi hésiter à s’en servir et à les assumer ? En quoi serait-il choquant de dire : « voici un ensemble de valeurs et de références qui définit l’ossature idéologique de notre groupe, notre identité non pas vécue de manière exclusive par le rejet de l’autre, mais de manière inclusive par l’ouverture à tous ceux qui partagent ces valeurs et ces références ; voici le modèle de société que nous considérons comme idéal et, même si nous savons que nous ne le rendrons jamais réel, il indique le chemin que nous voulons prendre ensemble pour changer ce qui doit l’être dans ce monde-ci, il fonctionne pour nous comme un projet commun, un horizon collectif, une boussole pour notre action » ?

Je pense ici, bien sûr, surtout aux partis politiques dont l’inanité intellectuelle les renvoie presque tous au modèle du « parti attrape-tout » (catch-all party). Qu’ils nous disent, enfin !, leur vision de l’homme, du monde et de la société. Qu’ils proposent dans l’espace public leur corpus idéologique et leur horizon utopique. C’est leur job !

D’autant plus que la nation française a particulièrement besoin d’une narration collective : qu’on lui dise qui elle est, qu’on lui raconte ce qui la fonde, sur quoi elle est assise, quels sont sa place et son rôle aujourd’hui, et vers où elle se dirige, quel est son devenir. Les Français ont besoin qu’on leur rappelle ce qu’être français signifie.
Cela n’a rien à voir avec le « débat sur l’identité nationale » lancé il y a quelques années par le pouvoir sarkozyste puisque il s’agissait alors d’instrumentaliser le concept de nation pour couper l’herbe sous le pied du front national en le prenant sur sa droite (stratégie conceptualisée sous le vocable de « triangulation » par des gens qui n’ont jamais fait de géométrie). Ce que j’appelle ici de mes vœux est à l’opposé de cette volonté de division, d’opposition des Français les uns contre les autres que le sarkozysme a érigée en ressort de son action.
Non : ce dont nous avons besoin, c’est d’un véritable discours à la nation, sur la nation. Qu’on lui tende le miroir dans lequel elle puisse se voir, elle-même et ses fondations, et qu’en même temps on lui propose un chemin, un horizon normatif capable de la mobiliser.

Cincinnatus,

Publié par

Cincinnatus

Moraliste (presque) pas moralisateur, misanthrope humaniste, républicain râleur, universaliste lucide, défenseur de causes perdues et de la laïcité, je laisse dans ces carnets les traces de mes réflexions : philosophie, politique, actualité, culture…

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