Il y a cinq ans et une semaine, j’imaginais un discours que pourrait prononcer le président d’alors pour son allocution du 31 décembre 2015. Un quinquennat plus tard, je m’amuse à offrir à son successeur un nouveau texte.
Allez Manu, profites-en, c’est cadeau !
(Quoi ? c’est le moment de croire au Père Noël, non ?)
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Françaises, Français, mes chers compatriotes,
Nous achevons une année lourde de grandes douleurs et d’une indicible tristesse mais les maux que nous avons connus sont encore loin d’être derrière nous.
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La pandémie mondiale de Covid ne se terminera pas ce soir et nous allons devoir l’affronter pendant de longs mois, peut-être plus. Des dizaines de milliers de nos concitoyens en sont morts ; d’autres en mourront encore. Nous sommes frappés, comme bien d’autres pays, par une situation inouïe à laquelle, je l’avoue, nous n’étions pas correctement préparés. Ainsi avons-nous dû prendre des décisions difficiles, à la fois pour limiter autant que possible la contagion et les morts, et pour protéger les plus précaires et ceux dont la vie risquait de basculer du fait même de ces mesures. Nous avons imposé deux confinements, des couvre-feux, le port du masque, et nous avons aidé financièrement de très nombreuses entreprises pour maintenir l’activité et les emplois. Je dois cependant rappeler que les contraintes s’imposent à nous tous et ne peuvent être efficaces collectivement que si, individuellement, chacun les respecte scrupuleusement. Or, entre désinvolture égoïste et paranoïa complotiste, beaucoup trop de Français, jusqu’à aujourd’hui encore, n’ont pas pris suffisamment au sérieux cette maladie – je peux en témoigner –, obligeant à renforcer des dispositions déjà lourdes mais nécessaires. Le manque de civisme, en temps normal, est scandaleux ; dans une période comme celle-ci, il est criminel. Nous devons tous nous montrer solidaires.
Je reconnais que certaines de ces mesures ont été improvisées, voire prises à contretemps, souvent trop tard. Je reconnais également que le gouvernement a volontairement menti à plusieurs reprises, notamment à propos des masques au début de la crise. Ce sont là des fautes graves dont j’assumerai toute la responsabilité. De même, le démantèlement de l’hôpital, et plus généralement des services publics, mené activement depuis des décennies et que, pendant mon mandat, je n’ai fait qu’accélérer, était une stratégie suicidaire, en partie responsable de l’état catastrophique dans lequel nous nous trouvons aujourd’hui. Alors que les personnels soignants m’ont alerté pendant de longs mois en pointant la folie qu’a représentée la suppression de soixante-quinze mille lits en moins de quinze ans, j’ai fait preuve d’un aveuglement idéologique méprisant à leur endroit. C’est, là aussi, une faute que je me dois de réparer. Je vais y revenir très concrètement dans un instant.
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Mais cette année, nous n’avons pas eu que la maladie à combattre. Comme tous les ans, nous avons encore été la cible d’un autre mal mondial : le terrorisme islamiste. Ceux qui font peser sur la France la responsabilité de ces attaques régulières sont des traîtres et des ennemis de la nation : ce n’est pas en raison d’une relecture délirante de l’histoire, ni parce que notre armée est engagée à l’étranger contre les islamistes, ni encore du fait de notre laïcité, cette exception dont nous devons être fiers, que des meurtres sont commis. Nous n’avons aucune leçon à recevoir de qui que ce soit en ces matières. Au contraire ! L’islamisme est l’ennemi de la raison et de la liberté, l’ennemi des Lumières et du monde commun, héritages que nous devons préserver, enrichir et transmettre, coûte que coûte. Et dans ce combat, la France a un rôle particulier parce que nous sommes les héritiers d’une histoire politique singulière, que nous sommes une nation politique par excellence, et que nous devons retrouver une volonté politique commune.
Il n’y a pas d’échelle dans l’horreur : tous ces crimes perpétrés au nom d’une idéologie politique et d’une lecture totalitaire de la religion sont aussi funestes les uns que les autres. Celui qui a frappé Samuel Paty a généré une vague d’effroi justifiée. Parce que l’école a été frappée ; parce qu’un enseignant exerçait son métier, instruire nos enfants, a été assassiné en raison même de la mission qu’il accomplissait avec justesse et dévouement ; parce cet événement tragique a révélé ce que beaucoup refusaient d’admettre : l’imprégnation mortifère de cette idéologie dans les esprits de nombreux adultes et même d’enfants, endoctrinés et fanatisés. L’école a été trop longtemps laissée aux mains d’idéologues et de démagogues. Elle est aujourd’hui en ruines. Nous devons et nous allons lui rendre sa vocation : instruire. Les disciplines, les savoirs et leur transmission vont être remis au centre de son activité et elle va redevenir ce sanctuaire qui élève les enfants sous l’autorité du professeur, cette matrice des citoyens éclairés qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être. Le corps enseignant est en première ligne de tous nos combats et il s’y trouve trop souvent seul, abandonné aux petits intérêts et aux grandes lâchetés. C’est insupportable et nous ne le supporterons plus.
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Contre le terrorisme islamiste, il n’y a qu’une réponse : la République. Cette République dont beaucoup se réclament sans en connaître ni en comprendre la signification. Eh bien, il est temps que nous montrions ce qu’être républicain signifie, que nous combattions vraiment les idéologies criminelles et les séparatismes sous toutes leurs formes – islamiste en tête. La laïcité n’est ni un vain mot ni une arme dirigée contre certaines catégories de la population française, comme aiment à le faire croire des factieux qui propagent les pires mensonges et calomnies. Sans faiblesse, nous allons poursuivre la fermeture des officines et organes de propagande au service du salafisme et des frères musulmans en même temps que rompre les liens qui les attachent à des puissances étrangères qui financent et soutiennent le terrorisme. L’ingérence d’États ennemis objectifs de la France et les tentatives de déstabilisation idéologique, d’où qu’elles proviennent, recevront les réponses à la hauteur des enjeux. On nous a déclaré une guerre idéologique : nous allons la remporter.
La laïcité est notre bien commun que nous devons défendre sans barguigner parce qu’elle est indissociable des libertés de conscience et d’expression. Lorsqu’une jeune fille, par exemple, subit les pires menaces au point de ne plus pouvoir suivre des études normales pour la seule raison qu’elle a exercé sa liberté d’expression, l’ensemble de la nation doit faire corps pour la protéger. Au-delà de nos concitoyens qui risquent leur vie pour la défense de nos libertés et qui doivent savoir qu’ils ne sont pas seuls, l’État va dorénavant assumer sa responsabilité en assurant vraiment la sécurité de tous. Y compris ceux qui souffrent chaque jour de l’extension du domaine du caïdat à des quartiers de plus en plus nombreux au point de former des territoires sécessionnistes. C’en est fini des zones de non-droit, de ces territoires abandonnés de la République et récupérés par les mafias religieuses ou criminelles.
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Pour rompre avec ces décennies de lâcheté, la République ne doit pas être qu’une incantation : elle doit être présente, physiquement, partout – visible de chaque coin de rue, à travers ses actions, ses institutions et ses représentants. Cela prendra du temps mais, comme se plaisent à le dire certains, « il n’y a pas d’alternative ». L’intérêt général commande le maillage dense de tous le territoire national, non seulement ce que l’on appelle pudiquement les « quartiers sensibles », mais également cette France oubliée du périurbain subi, par un réseau complet de services publics : hôpitaux, tribunaux, commissariats, casernes de pompiers, écoles, musées, bibliothèques, centres administratifs et sociaux… participent autant à affermir la République qu’à rendre leur dynamisme à des territoires exsangues. D’autre part, je ne laisserai plus dire que ceux qui ont fait le choix d’une carrière au service de notre communauté sont des fainéants, des improductifs, des inactifs, des parasites ou que sais-je encore : ces insultes ne sont pas seulement portées contre des individus mais contre l’État et la nation. S’il existe dans la fonction publique des agents qui n’en respectent pas les principes, ils doivent être sanctionnés avec la plus grande sévérité car les fonctionnaires doivent être exemplaires et irréprochables. Néanmoins, s’en servir, comme on l’a trop fait jusqu’à présent, comme boucs émissaires, est inacceptable. Nous avons besoin d’améliorer nos services publics mais dans le sens de leur renforcement, non de leur massacre.
C’est aussi une réponse à la colère des Gilets jaunes, que je n’ai pas su entendre mais qui demeure bien présente chez nombre d’entre vous. Cette colère se fonde sur un sentiment de déclassement, d’abandon, de mépris aussi. Les fins de mois qui commencent au quinze, parfois au dix, les boulots précaires et mal payés, les petites entreprises qui survivent sans savoir si le carnet de commande sera suffisamment rempli pour payer les charges et verser les salaires… et tout cela avec l’impression que selon où l’on vit, dans une grande métropole ou une petite ville, que selon qui l’on est ou qui l’on connaît, on n’a pas les mêmes chances, pas les mêmes droits. La République, si elle n’est pas sociale, n’est pas. Défense de la laïcité, donc ; sécurité des biens et des personnes, bien sûr ; mais aussi l’assurance que la Cité est une réalité pour l’ensemble des citoyens. Parce que personne n’est à l’abri d’un accident de la vie, parce que chacun peut être cabossé, la nation, à travers l’État, est là pour le protéger, pour l’aider à s’en sortir, pour assurer à ses enfants les mêmes chances, qui il soit, où qu’il vive.
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Les privilèges du sang ont été abolis, d’autres, ceux de l’argent, se sont durablement installés et s’assument au grand jour avec une morgue détestable : ils doivent être abattus. J’entends mener sans barguigner la lutte contre les puissances de l’argent qui se prétendent au-dessus du commun et croient pouvoir dicter la politique de la France, contre les tricheurs et les fraudeurs qui placent leur intérêt personnel au-dessus de l’intérêt général et leur avarice au-dessus de la loi. La justice le commande. Et c’est également avec la justice pour seul critère que nous allons réformer en profondeur notre système fiscal afin de le rendre réellement progressif et acceptable par tous : que les plus pauvres participent symboliquement à l’effort commun et que les plus riches le fassent à la hauteur de leurs revenus – ce commandement de l’évidence n’aurait jamais dû être oublié par des dirigeants hors-sol.
La méfiance de beaucoup d’entre vous à l’égard de la politique et de ceux qui en vivent découle de cette déconnexion entre une caste et le monde réel. Pour retrouver cette confiance, la République doit être réinstituée. Je l’ai dit, je le répète : nous devons refonder la République et former des républicains, retrouver le sens de la vertu civique. Notre régime s’est insensiblement éloigné de la démocratie dont nous nous réclamons comme en un mantra dont nous ne comprenons plus la signification et mais que nous persistons à réciter docilement. Ainsi allons-nous engager le pays dans une réforme profonde et radicale de nos institutions, afin de rendre au Parlement, à vos représentants, les pouvoirs qui n’auraient jamais dû leur être retirés. Le rééquilibrage nécessaire entre législatif et exécutif sera accompagné d’une révision du rôle du président de la République qui ne peut plus être ce monarque omniprésent qu’il est devenu. L’objectif est clair : retrouver le sens de la souveraineté nationale. Ce qui signifie, bien entendu, que nous allons engager une discussion sérieuse, sans doute rugueuse, avec nos partenaires européens et les institutions qui, depuis Bruxelles, asservissent la souveraineté des États-nations qui composent cette impuissante et antidémocratique Union. C’est parce que je suis un européen convaincu que je m’élève contre ces institutions qui trahissent l’Europe.
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Alors que les autres grandes puissances n’hésitent jamais à protéger leurs intérêts, nous avons abandonné notre souveraineté et sommes les cocus de la mondialisation. La souveraineté nationale n’a rien de l’infamie dans laquelle on la traîne : je regrette de devoir le rappeler mais, n’en déplaise aux petits marquis poudrés de la technocratie, elle est le synonyme de la démocratie qui leur fait horreur. Et, comme un républicanisme conséquent, elle s’exprime aussi de manière économique. Nous n’allons pas fermer brutalement nos frontières et nous replier sur nous-mêmes, faisant comme si nous étions seuls au monde – vieux fantasme des mondialistes béats dont les esprits embrumés confondent tout : souverainisme, patriotisme, nationalisme, protectionnisme, fascisme… Leurs enfantillages nous ont suffisamment coûté en emplois, en pouvoir d’achat, en entreprises, en industries, en recettes fiscales, et même en vies ! Ils se prétendent « réalistes » et appellent au « pragmatisme » là où leurs politiques ne sont qu’une série de capitulations honteuses. L’heure est à la protection et au soutien actif de nos entreprises et de nos compétences, à la relocalisation de notre production et de nos industries, sans aucun état d’âme quant aux méthodes à utiliser. Nous allons jouer le jeu de la compétition mondiale avec exactement les mêmes armes que nos concurrents, en cessant cette folie qui consiste à nous couper nous-mêmes les mains avant de débuter la partie ! Mieux : nous allons imposer nos règles, en particulier sociales et environnementales.
Et si nous retrouvons notre place dans le concert des nations, c’est aussi pour porter ce combat, celui de l’environnement. Car c’est là le dernier front qui nous est imposé et sur lequel, pas plus que sur ceux de la pandémie ou de l’islamisme, l’option de la défaite n’est envisageable, quel qu’en soit le prix à payer. L’idée du référendum était une manipulation stupide puisque la charte de l’environnement a déjà valeur constitutionnelle. Je la retire, bien entendu, pour engager plutôt une politique à la hauteur de la situation. La question environnementale et climatique nous impose en effet des changements de comportements profonds et urgents – non pas seulement à chacun de nous individuellement, mais à toute notre société et à toutes les nations du monde. J’insiste : chacun de nous doit prendre en compte ces enjeux cruciaux, c’est nécessaire mais ce ne sera pas suffisant. Faire croire aux citoyens qu’ils ont entre les mains le destin de la planète et qu’il suffit de petits gestes quotidiens pour la sauver est une supercherie culpabilisante qui dédouane les principaux pollueurs de leurs responsabilités. Ces responsabilités, nous allons les contraindre à les assumer. Nous devons montrer une volonté politique ferme et résolue en la matière, sans jamais renoncer à nos principes humanistes. Trop de charlatans, trop de prophètes d’apocalypse, trop de bateleurs qui maîtrisent parfaitement les ressorts de la société spectaculaire-marchande, entretiennent l’obscurantisme et les fausses solutions comme fonds de commerce. Ce ne sont ni l’illusion techniciste, ni la main très visible des marchés et des puissances d’argents, ni les religions anciennes ou sectes nouvelles qui sauveront la Terre. Seule l’alliance de la raison scientifique et de l’action politique peut nous permettre de résoudre la pire crise jamais connue : la transformation de notre planète, la seule qui puisse nous accueillir, en un espace hostile à toute vie.
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Françaises, Français, mes chers compatriotes. Dans un instant, les commentateurs commenteront sans aucun doute, les opposants s’opposeront probablement et, peut-être, certains d’entre eux verront dans ce discours une opportunité pour un changement réel de la politique française. Qu’ils sachent deux choses.
La première : ce n’est pas un changement, c’est une rupture. À tel point que j’accueillerai volontiers tous ceux qui souhaitent y prendre part. L’unité nationale telle que je l’ai pensée au début de la pandémie était une erreur puisque c’était une manière de mettre la démocratie sous le boisseau et de faire taire toutes les voix discordantes. Je le regrette. Ce que je souhaite aujourd’hui, c’est rassembler à partir d’un programme républicain en rupture avec les politiques menées jusqu’à aujourd’hui. Je vais engager dans l’année et demie qui nous sépare des prochaines élections, une série d’actions cohérentes et radicales auxquelles peuvent participer toutes les bonnes volontés.
La seconde : pour preuve de ma bonne foi, j’annonce ce soir que je ne serai pas candidat en mai 2022. Cette décision m’offre une liberté totale quant à la mise en œuvre de ces actions qui, je pense, rendront à la République toute sa force.
Vive la République. Vive la France.
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Cincinnatus, 21 décembre 2020
Cher Cinci,
D’accord avec tout. Faites passer ce discours à Emmanuel Macron…
Plaisir immense de lire la formule d’adresse : « Françaises, Français, chers compatriotes », soulagement de ne pas buter sur l’horrible « celleszéceux » et de terminer la lecture par « Vive la France ». J’insisterais pour ma part, au paragraphe concernant l’école, sur la nécessité de cet amour pour la patrie et son histoire, ses monuments, sa littérature, ses arts, ses paysages, ses grands hommes qui sont des modèles qui nous font relever la tête et parfois contempler les étoiles.
Merci Cinci !
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Merci à vous !
Pour l’amour de la patrie, qui n’a rien de rance ni d’extrême-droitiste, je ne puis qu’être d’accord avec vous : j’avais même écrit ceci il y a quelque temps…
https://cincivox.fr/2017/02/13/francais-halte-a-la-haine-de-soi/
Cincinnatus
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