On bâillonne un professeur

Philosophe en méditation, Rembrandt (1632)

René Chiche est un emmerdeur par vocation et profession. Professeur de philosophie, membre du Conseil supérieur de l’éducation, syndicaliste Action & Démocratie CFE-CGC – syndicat avec lequel il combat la vulgate pédagogiste qui gangrène l’Éducation nationale depuis quatre décennies –, il abreuve les réseaux dits sociaux, twitter en tête, de ses diatribes et rodomontades. Ses coups de sang et de gueule, en parfaite adéquation avec les us et coutumes qui régissent ces petits théâtres de l’absurde et de l’hyperbole, ne passent guère inaperçus et lui valent bien des haines et rancœurs.

Depuis quelques jours, il est l’objet d’une sanction disciplinaire très lourde (exclusion de trois mois) en raison, non pas d’une faute professionnelle dans le cadre de l’exercice de ses fonctions, mais de ses prises de position en ligne au titre de ses responsabilités syndicales.

Mon soutien à René Chiche est plein et entier. Il ne souffre pas de « mais ».

D’autant plus que je suis en opposition complète avec lui en ce qui concerne la crise du covid et en accord absolu avec son diagnostic sur la destruction de l’institution scolaire. Et alors ?

Discuter, débattre, échanger des arguments, s’engueuler même : si on n’est pas d’accord, on le dit, on s’explique, on démontre… dans notre nation politique, l’art de la discussion et de la castagne oratoire est un de nos biens les plus précieux.

Si l’on estime que René Chiche dit des conneries, on le contredit, on ne transporte pas dans le domaine administratif la controverse publique. L’espace public de libre expression des opinions ne peut supporter les censures idéologiques ni les vendettas personnelles. Chacun doit en accepter les règles du jeu. Que twitter et autres réseaux dits sociaux ne soient qu’une caricature d’espace public, nous le savons tous ; qu’ils soient instrumentalisés pour servir de prétexte à des vengeances et intimidations dans le champ administratif de l’institution scolaire, c’est une manipulation insupportable.

La liberté d’expression ne peut être limitée que par les cas très précis définis par la loi. Le fameux « devoir de réserve » auquel sont astreints les fonctionnaires est lui-même défini et encadré – il n’interdit en rien la publication d’analyses et de témoignages sur les errements de l’administration par ceux qui les vivent le plus cruellement. On ne peut d’un côté sanctifier les autoproclamés « lanceurs d’alertes » en général et menacer de l’autre côté les fonctionnaires qui jouent ce rôle.

Or les exemples deviennent de plus en plus nombreux de l’utilisation, à charge, des écrits publics d’enseignants dans des enquêtes menées par le bateau ivre qu’est devenu le ministère – récemment, un autre professeur de qualité a été mis en cause dans une affaire clochemerlesque commandée par… le cabinet de Brigitte Macron, mélange des genres ahurissant !

Cette volonté de faire taire les professeurs qui ne pensent pas « correctement » et osent l’exprimer en ligne devrait inquiéter tout citoyen normalement constitué.

Cincinnatus, 4 mai 2023


Quelques billets pour poursuivre la réflexion :
L’effondrement de l’instruction
Passe sanitaire : les vertiges de la déraison
La mort du bac, l’enterrement de l’école
Les réseaux sociaux, les GAFAM et la démocratie
#Pasdevague
Comment on laisse sombrer l’école (ma lecture du livre de René Chiche : La désinstruction nationale)
L’astre mort de la discussion

Publié par

Cincinnatus

Moraliste (presque) pas moralisateur, misanthrope humaniste, républicain râleur, universaliste lucide, défenseur de causes perdues et de la laïcité, je laisse dans ces carnets les traces de mes réflexions : philosophie, politique, actualité, culture…

3 réflexions au sujet de “On bâillonne un professeur”

  1. Il est drôle, votre soutien à René Chiche (qui lui fera sans doute une belle jambe). Vous qui êtes le parfait défenseur lourdingue de la IIIe République et de son éthique fonctionnariale, comment pouvez-vous donc vous indigner – tiens, un woke de plus ! – qu’on sanctionne un fonctionnaire quand ses prises de position ès qualité répétées perturbent la bonne marche du service public ? Vraiment, il y a là quelque chose de curieux.

    Mais bon, ce ne serait pas la première fois que vous voudriez le beurre et l’argent du beurre. Ou qu’un anti-chouineur se mette à chouiner lourdement.

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