Le cas Valls

Nom : Valls
Prénom : Manuel
Surnom : « Sarko de gauche », « Kommandantur » (lorsqu’il dirigeait la communication de campagne du candidat Hollande), « Pepe » (pour Cécile Dufflot qui connaît ses classiques gaulois)…
Parti : Parti socialiste dont il aimerait bien changer le nom
Famille de pensée politique : drôle de tentative de marier la carpe républicaine et le lapin libéral

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Dans la cour de récré, l’enfant imaginaire

Manuel Valls enfant était-il déjà ce ténébreux méditerranéen au front sombre et au regard insolent ? Solitaire, on le voit à l’écart dans un coin de la cour, observant de loin s’amuser ses camarades. Il est trop fier pour aller vers eux, pour leur demander une place dans leurs jeux, quoiqu’il en crève d’envie. Contre lui-même, ce petit garçon un peu sauvage préfère tenir les autres à distance, comme pour mieux se protéger. Il ne cherche pas à les séduire, à les enjôler : il laisse cela aux manipulateurs en culottes courtes. Il ne se rêve pas non plus en petit caïd chef de bande, ni en brute de la récré. Non. S’est rassemblée autour de lui la petite poignée de gamins qui le supportent et admirent sa force de caractère. Cela lui suffit, c’est même trop parfois : écorché, il se sent mieux s’il a l’impression d’avoir le monde contre lui.

Tous ont appris à craindre ses coups de menton et ses colères. Avec sa mâchoire carrée toujours serrée, il semble sourire à l’envers. Sanguin, il se fâche tout rouge sans prévenir – comme on dit dans le sud : il s’enfade facilement. Pour un mot maladroit, il a déjà envoyé un cahier à la figure d’un copain et castagné des bien plus grands que lui. On pourrait penser que ces épisodes lui permettent de laisser échapper la pression et sont suivis de périodes plus calmes : il n’en est rien – à l’intérieur, ça bout en continu. Le petit Manuel n’est pas un mauvais bougre mais son obstination, sa susceptibilité et sa violence contenue l’isolent. Et sans doute cela ne lui déplaît-il pas.

Dans l’arène politique, l’adulte au combat

Manuel Valls entre en politique par la porte de la « deuxième gauche » rocardienne. Le jeune militant socialiste débute ainsi une longue carrière faite d’élections assurées et de postes en cabinets, notamment auprès du Premier ministre Lionel Jospin. Après plusieurs années à Argenteuil, la Ville d’Évry, qu’il reçoit en cadeau en 2001, lui permet de s’implanter localement et de se construire une vitrine qu’il saura exploiter, en bon communicant qu’il prétend être.

Au début des années 2000, dans l’opposition, il se bâtit une image d’homme énergique, à la droite du PS, n’hésitant pas à ruer dans les brancards ni à provoquer ses camarades. Il s’attire en retour les foudres de beaucoup à gauche : alors qu’en face, Nicolas Sarkozy s’impose comme le nouvel homme fort et le favori pour l’échéance de 2007, Valls subit les comparaisons assassines. « Sarko de gauche », Valls ? Les rumeurs selon lesquelles le nouveau président lui aurait proposé d’entrer dans son gouvernement « d’ouverture » en 2007 alimentent encore un peu les persiflages. Peu lui chaut : l’apparatchik a compris que la transgression lui permet d’exister dans un PS encombré de personnalités falotes mais ivres de leur ego. Il n’aura ainsi de cesse de jouer sa propre musique au milieu de la cacophonie socialiste, quitte à se fâcher avec Martine Aubry, chef d’orchestre en tant que première secrétaire.

Quoique franc-tireur, Manuel Valls n’est pas tout à fait esseulé. L’ancien disciple de Rocard rejoint rapidement les troupes strauss-kahniennes. Dans le satrape du FMI, il voit le meilleur candidat possible pour mener au pouvoir les idées de feue la deuxième gauche. La rocambolesque ruse de l’histoire qui met brutalement fin aux ambitions présidentielles de DSK dans une chambre de Sofitel ouvre de nouvelles perspectives à son bouillant lieutenant. Souhaitant incarner un tournant « blairiste » et explicitement « social-libéral » (il veut même renommer son parti : le « socialisme », c’est trop has-been, coco !), il se présente à la primaire de 2011. Il finit derrière François Hollande, Martine Aubry, Arnaud Montebourg et Ségolène Royal… mais devant Jean-Michel Baylet (l’honneur est sauf). Malgré un score médiocre (5,63%), son ralliement immédiat à François Hollande et ses réels talents personnels lui assurent un rôle-clef dans le dispositif de campagne du candidat.

Hollande président, Valls obtient Beauvau malgré une rude concurrence. Comme les autres fortes personnalités du gouvernement, il fait peu de cas du Premier ministre et entretient une relation directe avec l’Élysée. Il participe activement au calvaire d’Ayrault et, allié de circonstance à Montebourg, les conjurés finissent par obtenir la tête du prof d’allemand… qu’il s’empresse de remplacer. Il en profite pour se débarrasser, petit à petit, de ses ministres les plus encombrants : Dufflot, Montebourg qui lui dispute déjà le rôle principal pour l’après-Hollande, Taubira, etc. etc. Il doit toutefois supporter les ministres hollandais qui le court-circuitent comme lui-même le faisaient avec Ayrault, et les expériences de l’apprenti-sorcier de l’Élysée qui tente de lui mettre des bâtons dans les roues (coucou Macron).

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Éloge flatteur : les qualités remarquables

Manuel Valls est doté de qualités personnelles réelles qui ressortent aujourd’hui d’autant plus qu’elles se font rares chez ses camarades socialistes et tout particulièrement chez ce président auquel il a juré fidélité (pour combien de temps encore ?). Pour être juste avec l’animal politique, il faut rendre hommage à sa force de volonté, à sa pugnacité, à la trempe de son caractère, à son énergie, à sa fermeté… autant de traits qui ont alimenté chez les jaloux pusillanimes la comparaison trop rapide avec Sarkozy. Il n’y a pas chez Valls cet hybris violent ni ce mépris vulgaire et arrogant d’enfant barbare prêt à écraser tout ce qui pourrait contrarier ses pulsions. La brutalité, réelle, dont peut faire preuve l’actuel Premier ministre n’a rien à voir avec les méthodes mafieuses et abjectes de l’ancien président.

Outre ces traits de personalité, Manuel Valls possède un avantage majeur sur la plupart de ses concurrents : il est l’un des seuls, à gauche, à porter un discours ferme sur la laïcité et les attaques concertées qu’elle subit. Serait-il enfin sorti de ses ambiguïtés de maire d’Évry ? Tant mieux ! Face à l’islamisme, au milieu des faiblesses, des renoncements, des ratiocinations et des trahisons qui font désespérer de la gauche, Manuel Valls sauve l’honneur. Il a compris les dangers que court la République et refuse collaboration et capitulation. Sur ce sujet crucial, le terrain ne peut pas être abandonné à la droite ni à l’extrême-droite : malgré les cris d’orfraie des munichois dopés à la moraline, la gauche doit conserver une fidélité intransigeante au républicanisme. L’élection de 2017 ne se jouera pas d’abord sur les questions économiques, comme le pensent d’autres impétrants, mais bien sur la capacité à retisser les liens de la Nation. Valls a compris que, face aux identitaires de toutes obédiences, les républicains ont une responsabilité historique.

Liberté de blâmer : les défauts rédhibitoires

Le républicanisme de Manuel Valls demeure toutefois bien incomplet car, à part sur ces questions – primordiales ! – c’est bien le libéralisme qui semble inspirer sa politique. Deux exemples montrent combien le prétendu admirateur de Clemenceau mériterait de relire avec plus d’attention la vie du grand homme pour mieux s’en inspirer[1].

La réforme dite « collège 2016 » portée par sa ministre Najat Vallaud-Belkacem poursuit l’œuvre dévastatrice de ses prédécesseurs en achevant de détruire les dernières ruines de ce pilier de la République. L’abdication est prononcée au profit conjoint des expérimentations débilitantes et des intérêts du marché-roi. L’alliance libérale-pédagogo a depuis longtemps métastasé rue de Grenelle et le dernier remugle exhalé par ce gouvernement entérine la trahison criminelle. Le Premier ministre fait bien peu de cas de l’école républicaine. Navrant.

La loi « travail » ou « loi El-Khomri » suinte l’idéologie néolibérale. Le Tigre, au contraire de son lointain successeur, n’avait en tête dans toutes ses actions que l’amélioration des conditions d’existence, l’élargissement des droits des travailleurs, l’extension de la liberté et de la sécurité des plus faibles[2]. Avec cette loi, le gouvernement actuel se vautre dans la régression sociale et entérine l’indigne renversement de sens de l’idée de réforme.
Et puis, doit-on rappeler l’horreur qu’inspire aux républicains le césarisme et leur souci constant de la collégialité qui prend les formes institutionnelles du parlementarisme ? L’utilisation répétée du 49-3 vise à court-circuiter la représentation nationale, il témoigne d’un exercice autoritaire du pouvoir et d’un mépris inacceptable pour les élus de la Nation[3].

Sur le plan idéologique, les tentatives de Valls de marier de force les traditions républicaine et libérale sont vouées à l’échec. Et ce que l’on en retient, ce sont les coups de menton à l’Assemblée et les coups de griffes à l’école et aux travailleurs[4], plutôt que la juste fermeté au sujet de la laïcité.

*

Conclusion temporaire et subjective

Manuel Valls s’est enfermé dans une stratégie de dépendance à l’égard de François Hollande. En se retranchant toujours derrière sa « loyauté » et sa « fidélité » envers le président, il a publiquement châtré ses ambitions pour 2017 : difficile de s’émanciper sans revêtir l’habit honteux du traître. Depuis plusieurs mois, il semble toutefois chercher une solution pour neutraliser ce cadeau qu’il a lui-même offert à ses adversaires. L’offensive est donc lancée pour que la rupture apparaisse de la responsabilité du chef de l’État et non de son Premier ministre. La ficelle est un peu grosse et ses concurrents à gauche ont beau jeu de le renvoyer à ses contradictions. Car, au PS, c’est la bataille pour l’après-Hollande qui se joue. Avec Montebourg qui le concurrence sur sa gauche et le godelureau Macron qui l’embarrasse sur son propre terrain social-libéral, Manuel Valls sait qu’il doit s’imposer comme recours dans un parti où il a toujours été minoritaire. Saura-t-il saisir le kaïros ?

Probabilité d’être élu président de la République : faible mais il a un coup à jouer.

Cincinnatus,


[1] Je tiens à sa disposition quelques conseils de lecture sur le sujet !

[2] Je vois déjà se récrier les petits propagandistes qui n’ont jamais accepté que le plus grand homme d’État de gauche ne fût pas socialiste. Je tiens la même liste de lectures à leur disposition… d’ailleurs j’en ferai bientôt un billet, na !

[3] Alors : républicain, Manuel Valls ? En matière économique et sociale, certainement pas ! Quitte à faire de l’histoire-fiction, s’il avait vécu sous la Troisième République, à l’époque de Clemenceau, ce modèle qu’il trahit tant, bien loin des radicaux-socialistes défenseurs de la République intégrale, Manuel Valls aurait plutôt siégé quelque part entre opportunistes et bonapartistes.

[4] Et cela le dessert d’autant plus que ce qu’il perd à gauche, il ne peut espérer le gagner à droite où les candidats se sont lancés dans une folle course à l’échalote libérale.

Publié par

Cincinnatus

Moraliste (presque) pas moralisateur, misanthrope humaniste, républicain râleur, universaliste lucide, défenseur de causes perdues et de la laïcité, je laisse dans ces carnets les traces de mes réflexions : philosophie, politique, actualité, culture…

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