Iraniennes : pour elles et pour le monde

Mahsa Amini

Plus de deux mois. Plus de deux mois que l’étudiante de 22 ans Mahsa Amini a été assassinée par la police des mœurs iranienne. Plus de deux mois que les Iraniennes retirent leurs foulards, geste en apparence si simple qui a entraîné la mort de dizaines, de centaines d’entre elles. Plus de deux mois que le peuple iranien, femmes en tête, se soulève [1].

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Malgré les dénégations, malgré les mensonges, malgré la propagande, le voile islamique n’a rien d’un vêtement ni d’un accessoire de mode anecdotique. C’est un symbole – et un symbole bien plus politique et idéologique que religieux. Il signifie l’infériorité de la femme, l’impureté de sa chevelure, de son corps, qui lui impose d’être soustraite aux regards des hommes dont elle excite la convoitise ; sous prétexte d’une loi de Dieu écrite nulle part, il asservit les femmes à la loi des hommes ; il sépare les femmes en deux catégories : les « pudiques », cheptel réservé aux hommes de leur communauté, et les « impudiques », responsables par avance de tous les sévices que quiconque voudra leur faire subir. Dans le voile islamique, se résume une idéologie en tout opposée aux principes qui fondent notre culture, notre civilisation, notre nation politique, notre chose publique, notre monde commun. C’est pourquoi il doit être sorti des définitions spécieuses et mensongères, dégagé de tout l’enfumage de « piété », de « respect », de « tolérance » dont l’entourent ses promoteurs pour accroître la culpabilité des pusillanimes et saper notre précieuse laïcité. Le voile islamique est à la fois un outil d’aliénation des femmes et une arme idéologique d’une redoutable efficacité.

En le brûlant, les Iraniennes s’attaquent au cœur de la théocratie des mollahs, au symbole de leur pouvoir. Et font ainsi preuve d’un courage admirable. Les images qui nous parviennent depuis le début de cette révolution sont poignantes. Ces femmes qui osent se découvrir en public et provoquer les religieux et la police des mœurs sont un modèle de force. Les voir ainsi, têtes nues, chanter et danser dans les rues ou dans le métro alors que ces activités sont interdites, ne peut que nous étourdir : lutter contre l’obscurantisme par la beauté… quelle leçon ! Nous assistons « en direct » à la révolte d’un peuple contre un pouvoir tyrannique qui a fait des femmes un objet politique – et qui voit, en retour, celles-ci devenir sujet politique en dirigeant l’insurrection. Elles ne sont pas seules. À leurs côtés, de nombreux hommes qui, eux aussi, risquent leur vie pour la liberté de leurs femmes, de leurs filles, de leurs sœurs… et surtout pour celle du peuple lui-même. Tous affrontent une répression redoutable qui a déjà fait des centaines de morts. Le régime criminel – auquel participent aussi activement, complices, de nombreuses femmes : le réel est toujours complexe – n’hésite pas à infliger sévices, tortures et viols aux révoltés, quand il ne les assassine pas froidement.

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Et pendant ce temps, ici, des actrices décérébrées font leur publicité et exhibent fièrement leur bêtise en se coupant un petit bout de mèche devant la caméra de leur téléphone. Des néoféministes, d’habitude promptes à dénoncer dans des anecdotes ridicules les oppressions fantasmées d’un patriarcat occidental élevé au rang de monstre mythologique, oublient opportunément de s’indigner et de défendre leurs « sœurs » iraniennes – ce n’est pas la première fois qu’elles ont du mal à trouver les mots pour attaquer le patriarcat oriental visiblement impensable pour ces rebelles en carton.

Le voile islamique, ici ou là-bas, n’est JAMAIS un symbole de liberté. Celles qui l’arborent dans les quartiers abandonnés de la République le font soit pour ne pas être emmerdées (ou pire), soit par militantisme politique. Or des voix s’élèvent pour comparer le sort des Iraniennes qui arrachent le linceul qui leur recouvre la tête et celui des Françaises qui s’en vêtent volontairement et en promeuvent l’idéologie mortifère. Quel relativisme ignoble ! Comme si la vie de ces intégristes en France était menacée, comme si le port du symbole de l’islamisme sur leur visage était même interdit dans l’espace public ! Renvoyer dos à dos les Iraniennes qui cherchent à conquérir leur liberté au péril de leur existence et les propagandistes de l’islamisme qui se victimisent contre une oppression purement imaginaire est abject. Et surtout, ces voix à la vertu de pacotille abandonnent (sciemment ?) toutes ces femmes qui, dans les territoires abandonnés de la République, se résignent à se voiler pour ne pas être considérées comme des filles ouvertes, comme on parle de villes ouvertes.

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Les Iraniennes expérimentent en ce moment la forme la plus puissante en même temps que la plus fragile de liberté : l’émancipation. La liberté est politique ou elle n’est pas [2]. En risquant leur vie pour l’obtenir, elles éprouvent l’action politique dans tout son tragique (bienheureuses celles qui bénéficient ici de la paix que leur offre la laïcité et peuvent jouir d’une liberté politique qui ne nécessite aucun sacrifice !). Féministe, leur révolte est avant tout profondément humaniste, universaliste [3]. En défiant les lois obscurantistes, scélérates et criminelles de la théocratie chiite, elles visent leur propre émancipation mais, de fait, c’est la dignité humaine elle-même qui devient la cause et l’objet de leur juste combat. Ainsi répandent-elles une lumière bien au-delà des frontières de leur pays.

Depuis l’instauration de la République islamique d’Iran en 1979, le pays a connu bien d’autres soulèvements. À chaque fois, un fol optimisme s’est emparé des cœurs naïfs et court-circuité les esprits occidentaux. À chaque fois les religieux ont écrasé les insurgés. À chaque fois, le vacillement a cessé sans que le régime ne chavire. La révolution des voiles aura-t-elle, enfin, la peau des mollahs ?

Cincinnatus, 21 novembre 2022


[1] Sur ce sujet, comme souvent, la journaliste Anne Rosencher a su trouver des mots d’une très grande justesse dans sa chronique du 22 septembre dernier.

[2] Ce que nos éminents « (néo)libéraux » sont incapables de comprendre, eux qui la réduisent à l’ersatz dont se satisfait l’homo economicus dans les fers dorés de son marché tout-puissant.

[3] Parce que le féminisme ne peut qu’être universaliste. Voir : « Que sont les combats féministes devenus ? ».

Publié par

Cincinnatus

Moraliste (presque) pas moralisateur, misanthrope humaniste, républicain râleur, universaliste lucide, défenseur de causes perdues et de la laïcité, je laisse dans ces carnets les traces de mes réflexions : philosophie, politique, actualité, culture…

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