« L’enfer, c’est les autres »

Noli me tangere, Hans Holbein le Jeune (1532-1533)

L’agressivité règne depuis longtemps comme mode hégémonique de relation à l’autre – ce qui n’empêche pas que le phénomène continue de croître et de s’aggraver. Tout semble se passer comme si un esprit de suspicion généralisée s’était abattu sur nous.

Lire la suite…

Cette étrange décennie 90

I wish I was special
You’re so fucking special
But I’m a creep
I’m a weirdo
What the hell am I doing here?
I don’t belong here

Radiohead, Creep

J’avais dix ans quand le mur est tombé et vingt-deux lorsque les tours se sont effondrées. Entre les deux, j’ai grandi dans ces années 1990 qui devraient rester, aux yeux des historiens de demain, comme un temps étrange, suspendu – une respiration… ou plutôt, peut-être, ce moment où l’Histoire paraît, a posteriori, retenir son souffle.

Lire la suite…

L’indécence commune

george-orwell
Eric Arthur Blair, alias George Orwell

Le peuple serait doué d’une forme de morale intuitive lui permettant de distinguer « ce qui se fait » et « ce qui ne se fait pas » [1]. Telle est la thèse, ainsi outrageusement résumée, derrière la notion de « décence commune », chère à George Orwell et reprise par Jean-Claude Michéa. Toute l’œuvre du premier est parcourue par cette conviction que le peuple – au sens, ici, des classes laborieuses, singulièrement les ouvriers – possèderait cette capacité viscérale de s’orienter et de choisir entre le Bien et le Mal, entre le juste et l’injuste, entre, surtout, le décent et l’indécent – capacité que les classes supérieures auraient, quant à elles, perdue. Orwell, le socialiste antitotalitaire, increvable défenseur des plus misérables, irréprochable humaniste, défend toujours et partout la dignité humaine – c’est à travers ce prisme, je pense, qu’il faut comprendre cette notion de « common decency » : la dignité pour seul horizon et seul combat [2].
Lire la suite…

Mémoires de Cincinnatus

625px-alexandre_cabanel_-_cincinnatus_receiving_deputies_of_the_senate
Cincinnatus recevant les ambassadeurs de Rome, Alexandre Cabanel (1843), Musée Fabre

N°300

*

Pourquoi m’as-tu choisi pour masque ?

*

Lorsque je naquis, le règne du dernier des tyrans – Lucius Tarquin, le Superbe – durait déjà depuis seize années. Il lui en restait dix avant que ses turpitudes et celles de son fils ne provoquassent le prodigieux avènement de la République.
Lire la suite…

À qui la faute ?

1024px-la_masacre_de_san_bartolomc3a92c_por_franc3a7ois_dubois
Le Massacre de la Saint-Barthélemy, François Dubois (ca. 1572-1584)

Il n’y a place que pour une seule cause dans leur champ de vision et elle triomphe absolument, elle absorbe toute autre causalité, et c’est le bouc émissaire.
René Girard, Le Bouc émissaire

La chasse aux sorcières et le sacrifice cathartique de boucs émissaires sont des constantes sordides de l’humanité ; à tous les maux, un coupable doit être trouvé et condamné [1]. La pulsion inquisitoriale se porte très bien dans notre formidable modernité ; cette volonté de faire porter la faute sur un autre à exécuter en place publique se déchaîne, afin de mieux soulager sa propre culpabilité, de s’en prendre à des cibles expiatoires sur lesquelles déverser son ressentiment et de laver sa (mauvaise) conscience plus blanc que blanc. Lire la suite…

Science ou sorcières ?

1024px-francisco_de_goya_y_lucientes_-_witches27_sabbath_28the_great_he-goat29
Le Sabbat des sorcières, Goya (1823)

Notre hypermodernité n’aime pas la science alors qu’elle adore la technique et… les superstitions. Est-ce une forme de retour du refoulé ? En tout cas, la science n’a plus bonne presse.
Lire la suite…

La tentation crépusculaire de l’Aventin

983px-edvard_munch_-_melancholy_281894-9629
Mélancolie, Edvard Munch (1894-1896)

La mélancolie est un crépuscule.
La souffrance s’y fond dans une sombre joie.
La mélancolie, c’est le bonheur d’être triste.

Victor Hugo, Les travailleurs de la mer

Serait-ce vraiment Alain Juppé qui aurait inventé l’expression « tentation de Venise » ? Cela ne l’a pas empêché de revenir. Plusieurs fois. Je ne suis pas sûr que ce patronage soit le meilleur, même s’il est révélateur que, peut-être ?, la tentation du retrait, même sincère, se fracasse nécessairement à la volonté ou à son insuffisance.
Lire la suite…

Plus vite, plus haut, plus fort !

Je ne suis pas sportif…
Ce n’est pas bien grave, me dira-t-on avec une très légère pointe de condescendance : on ne peut pas être bon en tout.

… et je n’aime pas le sport.
Là, en revanche, je sens qu’on me juge – le mépris suinte. C’est visqueux, le mépris, et puis ça « pègue », comme on dit chez moi.
Lire la suite…

La culture de l’avachissement

jove_decadent
Jeune Décadente, Ramon Casas (1899)

Il est parti tôt et a sauté dans son Uber pour être chez lui au plus vite. Effondré sur son canapé, les yeux rivés sur une série Netflix dont il absorbe une saison entière d’affilée en la commentant sur Twitter, il attend son Deliveroo. On sonne à l’interphone, il grommelle, contraint de faire une pause au milieu de l’épisode – bah, il en profitera pour aller pisser – et va ouvrir. Hélas, ce n’est pas l’arrivée tant espérée de sa pitance toute prête qui lui réclame cet effort physique difficilement surmontable, ni le colis Amazon contenant le précieux nouveau gadget qu’il attend depuis deux jours (il va leur mettre une mauvaise note, ça leur fera les pieds), mais la livraison de ses courses, depuis le supermarché à deux cents mètres de chez lui. Il récupère les sacs, dans un échange minimal avec le livreur, les dépose au milieu de la cuisine et retourne à son épisode et à ses followers – il pissera plus tard.

*

La culture de l’avachissement est le soubassement anthropologique qui permet l’épanouissement de la « société de l’obscène » que j’ai décrite ailleurs. Elles forment les deux faces de notre modernité. Alors que l’esprit de grandeur fut vanté comme idéal de noblesse humaine, dorénavant, l’esprit de petitesse domine en tant que modèle de la vie bonne.
Lire la suite…

Les vieux

1630sstudyheadofanoldmanoilonwood21x18cmmetropolitanmuseumofartnewyork

Vous le verrez peut-être,
Vous la verrez parfois
En pluie et en chagrin
Traverser le présent.
En s’excusant déjà
De n’être pas plus loin.

(Jacques Brel, Les Vieux)

Le plus difficile, on pourrait croire que c’est la solitude. Mais vous savez, même à ça, on s’habitue. Enfin, on essaie, puisqu’on n’a pas le choix. Lire la suite…