Ils ne pensent qu’à ça !

Ils me fatiguent. Ils ne pensent vraiment qu’à ça. Ça : la présidentielle, l’Élysée, bien sûr ! En pleine crise sanitaire, alors que les hôpitaux craquent et que les gens meurent, ils plastronnent et commencent à jouer des coups de billard à quatorze bandes pour griller leurs adversaires putatifs. L’intérêt général ? peu leur importe, seuls comptent les leurs, d’intérêts bien calculés. Les médias, complices de ce théâtre des vanités, s’en régalent, tirant comme toujours des plans sur la comète qui se révèleront aussi faux que les prédictions de leurs drogues sondagières. On s’en fout, ça fait vendre, coco ! À la même époque il y a cinq ans, ils n’avaient pas encore misé sur Emmanuel Macron et affirmaient haut et fort qu’Alain Juppé serait triomphalement élu… ce en quoi, finalement, ils ne se sont pas tant trompés que cela, la politique appliquée étant peu ou prou celle qu’aurait menée n’importe quel candidat LR. Quoi qu’il en soit, tout ce petit monde a décidé qu’à encore un an et demi de l’échéance, la campagne était déjà lancée. Au secours !

Un paysage politique désolant

Plutôt que la nécessaire recomposition politique qui aurait dû survenir à l’issue des élections de 2017, on n’a assisté qu’à l’accentuation des polarités idéologiques. Les principaux courants de pensée qui se livrent le combat politique (républicaine, néolibérale et identitaire [1]) s’incarnent en des mercenaires dont les convictions s’adaptent à la superficialité des études marketing et de l’air du temps, pendant que les partis continuent de raisonner en taux de change postes-pognon. Fleurissent ainsi des hypothèses farfelues, épouvantails à l’hybris ridicule toujours encouragés par les médias qui doivent tenir la distance jusqu’au printemps 2022 et allongent la sauce façon mauvaise série Netflix.

Chez les identitaires de droite, dans la famille Le Pen, la tante subit depuis des mois la pression médiatique de la nièce, à laquelle s’ajoute le scénario Zemmour. On sent bien que le drame attend le moment propice pour se nouer… et dire qu’il y aura toujours du public pour regarder ce remake farcesque de la Nuit des longs couteaux ! En attendant, on teste tout et surtout n’importe quoi. Dernier en date : le général de Villiers, vexé comme un pou par Macron, qui travaille la veine césaro-boulangiste et se croit un destin à la de Gaulle. Comme quoi, même chez les gradés, c’est plus ce que c’était.

LR se trouve dans une si mauvaise passe que tous les tricards des derniers quinquennats s’imaginent présidentiables : Valérie Pécresse, Xavier Bertrand, Rachida Dati, Gérard Larcher, Bruno Retailleau… même Christian « Rantanplan » Jacob doit s’y voir. Quel niveau ! Le problème pour ce parti, c’est que la ligne néolibérale est déjà saturée par le président sortant et que la ligne identitaire de droite l’est par la finaliste perdante. Entre Macron et Le Pen, il ne reste pas beaucoup de place pour un candidat de droite ! Sauf à tenter de renouer avec la tradition gaulliste en incarnant le républicanisme de droite aujourd’hui disparu ET à rallier à soi les républicains de gauche : fin de la blague, aucun des impétrants cités n’est crédible dans ce rôle de composition.

Au PS, la situation semble plus sinistre encore. Comme en miroir de l’adversaire historique de droite, la nullité ambiante y donne des espoirs démesurés à des personnages qui n’auraient pas même obtenu un sous-secrétariat d’État aux petits pois il y a quelques décennies [2]. Je ne pense pas ici à l’ancien occupant du poste : il vaut mieux garder le silence sur les velléités de retour de François Hollande, qui ne suscite plus aucun intérêt de la part des Français même avec ses frasques pour tabloïd – ce ne serait pas charitable pour le Dom Juan de Tulle de lui fantasmer un avenir politique. En ce qui concerne le dernier candidat du PS, Benoît 6% Hamon a pour seule qualité d’avoir ramené ce parti à un score plus en accord avec sa déliquescence intellectuelle avant de le quitter pour fonder son microscopique fan-club ; ce qui ne l’empêche nullement de s’agiter, sortir un bouquin (!) et faire savoir qu’il est disponible pour porter haut les couleurs de l’identitarisme de gauche, en parfaite cohérence avec la série de collusions, de compromissions et de corruptions qui lui a fait office de carrière. Quant à la plaisanterie d’un retour de Christiane Taubira, vingt ans après sa première gamelle à la même élection, elle ne peut ravir que ceux qui préfèrent les attributs génétiques aux idées et aux actions.

Sans même évoquer les boursouflures égomaniaques de Yannick Jadot qui seront probablement vite éteintes par la tradition verte de décapitation de tout ce qui dépasse, tous ces « recours » et « espoirs » de la gauche ne représentent finalement qu’une part très restreinte de l’électorat et, surtout, du spectre idéologique (l’appartenance de cette famille de pensée à la gauche reste d’ailleurs à prouver !). Cette gauche identitaire, quoique politiquement et sociologiquement très circonscrite, fait pourtant autant de bruit que de mal. Ainsi le PS, qui a déjà expérimenté les impasses de la stratégie Terra nova, est-il tenté de suivre EELV et LFI dans les abysses [3]. De son côté, Jean-Luc Mélenchon, craignant sans doute de se voir contesté à l’intérieur même de son mouvement par des ambitions aiguisées (François Ruffin ?), a tiré le premier en annonçant sa candidature. Celui qui, en 2017, avait espéré rassembler sous sa bannière républicains et identitaires a perdu toute crédibilité ; les purges successives et les gages donnés aux mouvements les plus haineux et violents l’ont achevé. Tant pis pour lui.

Faire campagne ? Sérieusement ?

Il y a presque cinq ans, je publiais un billet intitulé « Que faire ? ». Je pourrais le copier-coller tel quel ici : guerre idéologique, bataille électorale, nécessité de l’incarnation dans un candidat… rien n’a changé, rien n’a évolué. Le renforcement réciproque des camps néolibéral avec l’élection d’Emmanuel Macron et identitaire avec la progression de l’hystérie indigéniste et son entrisme dans les mouvements soi-disant de gauche rend d’autant plus nécessaire une réplique authentiquement républicaine. Pour cela, la bataille des idées doit être menée et, aux soubresauts tragiques de l’actualité, hélas !, les réponses en forme de prise de conscience salutaire ne font guère illusion.

Au contraire, les appels lyriques à la République, venant de ceux qui lui ont porté les coups les plus réguliers, ne peuvent que susciter le dégoût. Après avoir ménagé (un peu) le chou laïque et (beaucoup) la chèvre bigote, après avoir achevé les services publics et l’État, après avoir servi les intérêts privés et étrangers, après avoir méprisé la souveraineté nationale et trahi le peuple, comment ce président, ce gouvernement et cette majorité peuvent-ils espérer être pris au sérieux lorsqu’ils se découvrent soudainement un amour immodéré pour la République ? Il n’y a rien à espérer de ce BDE d’école de commerce qui nous dirige.

Jean-Pierre Chevènement avait théorisé les « républicains des deux rives », je vois quant à moi surtout des « républicains au milieu du gué ». Symétriques des errements d’une gauche accoquinée aux racialistes identitaires, je regrette les aveuglements de ceux qui s’affirment républicains mais n’en retiennent que le combat laïque et en oublient la dimension sociale. Farouches et sincères défenseurs de la laïcité, au côté desquels j’ai alors plaisir à me trouver, ils s’arrêtent là et, en matières économique et sociale, préfèrent les séductions néolibérales et se rangent sagement derrière les injustices de Macron ou de l’un quelconque de ses clones. Alors que de l’anthropologie républicaine peuvent se déduire des principes économiques bien plus consistants que les systèmes qui lui sont opposés ! Dommage.

Parce qu’entre Macron et Mélenchon, la place est grande pour un candidat réellement républicain. En assumant tout ce que le républicanisme signifie : laïcité, social, souveraineté [4], écologie [5]… dans un programme cohérent et qui ne laisse aucune place aux petits arrangements partisans.

Pour convaincre les Français, la colonne vertébrale idéologique doit être aussi claire que ferme : un tel programme doit donc être conçu au-delà des officines et ne subir aucune négociation qui viendrait le déformer. L’objectif doit être de rassembler la nation française, pas de fonder un club de partis moribonds. L’union de la gauche, par exemple, n’est qu’un fantasme rabougri, une illusion qui n’en finit pas de crever. Quelles que soient les formes sous lesquelles elles revient à l’assaut, les primaires en étant la plus pitoyable, elle ne peut qu’être la source de la défaite.

Si des individus ou des partis veulent rejoindre un tel programme, ils seront les bienvenus, mais qu’ils n’espèrent pas en changer une virgule. Qu’ils ne soient pas d’accord avec tel ou tel élément, cela n’a aucune importance : ils l’assumeront et le porteront malgré tout, comme le font tous les militants depuis toujours. En revanche, tenter à tout prix de s’associer des gens qui n’ont pour toute idée politique que leur petite carrière ou, pire encore, une conception marketée et clientéliste de l’intérêt général, serait l’erreur la plus grossière possible. Un candidat soucieux du bien public prendra soin d’opposer un refus ferme aux branquignols insincères lorsque ceux-ci viendront pleurnicher des postes.

Mais qui, alors ?

La vie politique française est ainsi structurée que tout se joue lors de l’élection d’un individu à la charge suprême. Rien de plus répugnant pour un républicain qui honore la collégialité et exècre le césarisme ; cruel paradoxe que de devoir participer à ce spectacle antipolitique et se plier à une telle mascarade. Il faut néanmoins choisir : celui qui aura le plus de chance de vaincre et le moins de trahir.

Et dans ce camp, aussi, ils sont quelques-uns à s’exciter. D’une part, à la tête de groupuscules aux rayonnements infinitésimaux, des personnalités de valeur s’illusionnent et feraient mieux de remiser leur ego pour servir un destin collectif. D’autre part, hors du jeu politique, le trublion Michel Onfray rassemble quelques plumes de grande qualité à côté d’autres personnages bien moins recommandables pour une « revue » dont on peine à comprendre les fins réelles. Je n’ai pour ma part aucune confiance en un ancien « philosophe » médiatique qui, déjà, se caractérisait plus par la malhonnêteté intellectuelle que par le respect des sources.

Anne Hidalgo se découvre elle aussi, sur le tard, une fibre républicaine et fait mine de se racheter une virginité laïque après avoir fondé son premier mandat et sa réélection sur la drague des écolos verdâtres des villes qui, à la science, préfèrent les obscurantismes du décolonialisme, de l’indigénisme et du néoféminisme sectaire. Débordée par ceux qu’elle a fait élire à Paris, elle semble prendre conscience de la folie de son pacte faustien après l’épisode Coffin-Girard. Alors, le républicanisme d’Hidalgo : conversion sincère, règlement de compte local avec des alliés incontrôlables ou opportunisme stratégique ? Quoi qu’il en soit, la maire de Paris s’imagine appliquer à la France la même recette qui transforme la Capitale en juxtaposition de ghettos de misère et d’indécence – la Ville-Lumière devenue un immonde cloaque sous les oripeaux d’un parc d’attraction obscène servirait de modèle au pays tout entier – espérons que jamais les Français ne seront aussi crétins que les Parisiens pour l’élire !

Reste, enfin, Arnaud Montebourg qui sort un livre (c’est la mode). J’ai déjà longuement examiné les atouts et faiblesses de celui qui ne cesse de partir pour revenir [6]. Son retrait (calculé) de la vie politique aura-t-il été bénéfique ou une tactique stérile ? À voir. Difficile pour lui de jouer la carte de la nouveauté, sa caricature le précède : « vaniteux, horripilant, superficiel et creux », « bon bourrin, il excelle à creuser son sillon mais n’est pas capable d’en sortir », « intellect, culture, vision : tout, chez lui, est limité… sauf son ego », etc. etc. Les critiques acerbes, volontiers cruelles, dépassent sans doute le réel. Plus sérieusement, on le sait pertinent sur l’économie, l’industrie, le made in France… or il ne postule pas pour Bercy mais pour l’Élysée ! Quelles sont ses convictions à propos de, entre autres et dans le désordre : l’environnement, l’agriculture, le « progrès » technoscientifique, les relations internationales, la concentration des médias, la laïcité, l’école, la culture, l’université, la recherche, les services publics, la France périphérique, les institutions, les collectivités territoriales, les modes de scrutins, le modèle social français, les retraites, le travail, les inégalités, la pauvreté, la fiscalité, la santé, les territoires abandonnés de la République, le peuple, la nation, etc. etc. ? Plus fondamentalement encore, quelle anthropologie fonde sa pensée ? quelle vision de l’homme, de la société et du monde l’anime ? Pour être convaincant, on aimerait qu’il démontre une réelle épaisseur intellectuelle, une profondeur de vue, une distance critique autant qu’une fermeté principielle.

*

J’attends d’un candidat qu’il embrasse une pensée politique structurée et qu’il soit capable de raviver la conscience de la nation française comme volonté politique. À défaut d’un Chevènement jeune, me faudra-t-il vraiment me contenter d’un Montebourg mûr ? On verra : tant peut encore se passer en un an et demi… et ils sont si nombreux à ne penser qu’à ça.

Cincinnatus, 23 novembre 2020


[1] Voir la série de billets « Wargame idéologique » : à gauche, à droite et l’échiquier renversé.

[2] Cambadélis : vraiment ? Ceci dit, dans ce monde de gangsters, au moins il a la trogne de l’emploi.

[3] Pour être tout à fait juste, je vois depuis peu quelques frémissements encourageants au milieu des signaux affligeants – à Montpellier par exemple dont le nouveau maire pourrait servir d’exemple à ses camarades. Mais de là à imaginer que le PS soit capable de définir une ligne idéologique claire et de l’assumer pleinement…

[4] La défense de la souveraineté est à l’opposé de la démagogie à laquelle on essaie trop souvent de l’associer. Faut-il rappeler la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ? Faut-il rappeler que souveraineté et démocratie sont synonymes ?

[5] Une conception rationnelle de l’écologie qui prenne au sérieux l’ampleur de la crise actuelle et qui, sans sombrer dans la pensée magique d’une confiance aveugle en la Technique toute-puissante ni dans une régression antihumaniste et obscurantiste, sache en appeler conjointement à la science et au politique pour tenter de la résoudre. J’ai déjà eu l’occasion de développer ces idées, notamment dans « Écologie : Pour une réponse républicaine ».

[6] Voir par exemple : Le cas Montebourg (juin 2016).

Publié par

Cincinnatus

Moraliste (presque) pas moralisateur, misanthrope humaniste, républicain râleur, universaliste lucide, défenseur de causes perdues et de la laïcité, je laisse dans ces carnets les traces de mes réflexions : philosophie, politique, actualité, culture…

5 réflexions au sujet de “Ils ne pensent qu’à ça !”

  1. Tu l’aimes bien parce qu’il cite régulièrement Cincinnatus :). « je vais retourner travailler parmi les français », phrase terrible témoin de la déconnexion politique (cf, à son départ de Bercy). Il a un bon fond, le seul problème l’ego (ça cela peut passer), et le peu de travail (ça cela peut faire perdre, surtout façon à Macron). Pour gagner il faut une équipe soudée.

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  2. Lecture faite de cet article sur les éventuelles prochaines élections présidentielles et les candidats putatifs (la liste est longue et sans doute incomplète mais c’est la loi du genre), permettez-mol de faire le commentaire suivant :
    A 74 ans (c’est mon age), et dans le tohu bohu général actuel j’imagine que je ne voterai pas (disons qu’on verra) et si je réponds à Cincinnatus c’est pour « faire avancer le schmilblick » comme disait Coluche.
    1) Passons sur le vote à 2 tours tel que prévu par la constitution, ça prendrait trop de temps pour développer l’argument mais ce n’est pas sans défauts vu que seul De Gaulle pouvait chausser ces chaussures présidentielles là, c.a.d un homme avec une vision qui tirait l’entièreté du peuple vers le haut. Or je ne vois aucun De Gaulle à l’horizon.
    2) De Gaulle fut un accident de l’Histoire: fin de la guerre, pays ruiné, chasse aux sorcières, cet Homme a réuni autour de sa personne tout ce que la France comptait d’hommes qui voulaient vivre debout. Il fut déifié. Il y eut adhésion d’un peuple à un homme avant tout.
    3) Aujourd’hui ce mot d’adhésion est en lui-même risible. Qui songerait à adhérer à l’un de ces turlupins. Et ce qui m’amuse le plus, c’est l’énergie démentielle dépensée en campagnes électorales (en fric et en graisse de coude). Or, que je sache, primo la France qui a coupé la tête de Louis XVI tente de réélire un roi (a croire que les français sont masochistes) , secundo, il s’agit d’un roi qui prend l’essentiel de ses instructions à Bruxelles auprès de larbins pour qui la notion même de peuple ne signifie rien. Ces gens-là ne comprennent que les charts (voyez comme un mot anglais fait tout de suite plus branché.).
    4) Difficile de faire court mais ce qui se passe aux USA arrive chez nous, sous une autre forme. Éclatement des structures sociales, delitement des relations a l’intérieur même des familles, jusqu’au vocabulaire qui n’est même plus un moyen de communication, lassitude des meilleurs éléments (dans l’éducation nationale p.e.) Cincinnatus en a parlé récemment. Une bonne part des gens sont dans la haine, haine de soi, haine des dirigeants, haine des modus opérandi de la société en général, haine des médias a juste titre, ces gens qui découvrent « l’eau chaude » à chaque journal télé, etc… Comment un homme normalement constitué pourrait-il réunir qui que ce soit avec de la haine. Les paroles mêmes qui sont prononcées par les dirigeants sonnent faux. Dans cet environnement, le covid 19 devient un révélateur, révélateur des incuries accumulées, des manipulations des chiffres, manipulations des process en tous genres, etc,etc…et, last but not least, on « monte » gens les uns contre les autres.
    5) je ne voudrais pas allonger trop et je vous dirai que, malgré tout ce qui précède, je suis optimiste. Je crois que nous arrivons au moment où le marécage va sans doute être plus ou moins nettoyé (« clean the swamp », l’expression fait fureur outre Atlantique) c’est juste un clin d’œil, en rien une adhésion à un camp. Ca prendra un peu de temps néanmoins.
    Bien à vous car je suis toujours admiratif des hommes qui veulent vivre debout et veulent comprendre le monde qui les entoure.
    Amicalement.
    Henri Baudet

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