Une bonne guerre ! 1. De l’eau dans le gaz

Le Siège de Paris, Ernest Meissonnier (1884)

Mardi 17 juin 2025

Emmanuel Macron enrageait de se sentir si impuissant. Au plus bas dans les sondages après l’échec de son referendum, en début d’année, pour réformer la Constitution et, surtout, faire sauter la limitation des deux mandats présidentiels, il en était réduit à observer les ambitions des uns et des autres. L’ex-Mozart de la finance définitivement hors jeu et devenu encombrant même pour son propre camp, toute la classe politico-médiatique semblait avoir tourné la page du macronisme. On ne pensait plus qu’à 2027, on ne parlait plus que de 2027. Marine Le Pen flottait dans la stratosphère sondagière pendant que les autres candidats putatifs, parmi lesquels une bonne poignée de ministres que le Président ne pouvait plus supporter, se poussaient pour être au premier rang des photographies et, peut-être, au second tour contre la nouvelle madone de l’opinion publique. Dans tous les partis, les lames luisaient.

C’est dans cette atmosphère de fin de règne que le chef de l’État fit annoncer à 19h30 à toutes les rédactions qu’il interviendrait en direct à 20h. Si personne ne savait à quoi s’attendre, les commentateurs profitèrent de cette demi-heure pour gloser d’un air narquois à propos du désintérêt que suscitait cette piteuse tentative de reprendre la main. Quelle pitrerie pourrait bien inventer le Président carbonisé ? Tout cela n’était pas bien sérieux.

Emmanuel Macron commença par rappeler d’un ton docte les difficultés que les Français rencontraient depuis plusieurs années pour se loger et boucler les fins de mois. La maladresse était énorme puisque la situation déplorable de la France pouvait largement lui être imputée. Tout cela était un peu pitoyable, d’autant que le discours était laborieux, technocratique, dénué de toute émotion : plus que jamais, l’arrogant et froid Macron ressemblait à un clone d’Alain Juppé en plus jeune… et encore : même les implants capillaires ne faisaient plus illusion.

Et puis, insensiblement, quelque chose changea dans l’attitude du Président. Plus tard, les analystes relèveraient qu’un infime sourire était fugacement apparu au coin de sa bouche, avant qu’il ne prononce ces fameuses phrases qui devaient provoquer l’enchaînement cataclysmique que l’on connaît.

… c’est pourquoi j’ai décidé de nationaliser toute la filière énergétique française autour d’un grand monopole public de l’électricité et d’investir massivement dans le nucléaire. Nous allons sortir sans plus tarder du marché européen de l’énergie et récupérer tous les profits indus des opérateurs parasites qui ne produisent rien mais revendent très cher l’électricité qu’ils achètent une bouchée de pain à EDF. Cet argent volé aux Français pendant toutes ces années, nous allons le réinjecter dans la recherche et dans le développement de nouvelles techniques de production d’énergie nucléaire. Notre objectif est simple : retrouver une indépendance énergétique complète pour notre nation et être les premiers à maîtriser la fusion nucléaire. Parce que c’est nécessaire pour notre planète ; parce que c’est nécessaire pour notre souveraineté ; et parce que c’est nécessaire pour votre pouvoir d’achat. Je vais dès aujourd’hui constituer une coalition de pays qui souhaitent se lancer avec nous dans cette grande révolution scientifique et environnementale…

À Matignon, François Bayrou, le seul à avoir accepté de devenir Premier ministre après toutes les déroutes des années précédentes, signe d’une forme avancée de masochisme, lâcha un « MAIS QUEL… » que sa bonne éducation lui interdit d’achever.
La stupéfaction et la dépression se disputèrent les esprits des derniers ministres embarqués sur le radeau de la Méduse macroniste, à l’exception de Pierre Moscovici qui, à Bercy, se contenta de hausser les épaules et de se resservir une camomille : sa plasticité exceptionnelle – due à une double amputation précoce de la colonne vertébrale et de la conscience – lui permettait de toujours appliquer les décisions de son maître, quelles qu’elles fussent, avec le flegme et le zèle si caractéristiques des âmes les plus serviles.
Bruno Le Maire, enfin débarrassé du devoir de loyauté qui, lorsqu’il était ministre, l’avait toujours encombré bien qu’il ne s’y fût jamais essayé, dans le salon de son appartement cossu où il préparait son discours de candidature à l’élection présidentielle avec sa garde rapprochée, cracha son café sur son futur directeur de campagne.

Sur le plateau de France Info, où elle était invitée (pour la quatrième fois de la semaine) afin de « commenter à chaud la prestation du Président », Sandrine Rousseau tressautait de plaisir. Elle n’attendit même pas que la parole lui fût donnée ; à peine le discours présidentiel achevé, elle se lança dans une longue, très longue, diatribe contre ce Président si « usé et fatigué » (elle connaissait ses classiques) qu’il se laissait aller à sa « pente naturelle de vieux mâle blanc qui enfin se rend compte qu’il arrive au bout de sa domination historique et souhaite prolonger indûment son oppression en entraînant le monde avec lui dans sa déchéance et sa décrépitude ». À en croire la passionaria des bobos de centres-villes, le nucléaire était

le symbole de cette France rance planéticide machiste viriliste raciste sioniste transphobe islamophobe masculiniste cishétéronormée patriarcale… 

Au même instant, on entendit hors-champ un « Quine ! », lâché par l’assistant parlementaire de la députée, qui jouait au Loto-Rousseau avec la maquilleuse. Heureusement, cette interruption demeura inaudible à l’antenne et Sandrine Rousseau elle-même, emportée par sa verve, ne s’en aperçut pas. Elle continuait de s’animer de plus en plus et sa voix montait toujours plus haut dans les aigus, menaçant dangereusement les verres et les oreilles des invités. Lorsqu’elle parut devoir reprendre sa respiration, le journaliste en face d’elle s’imagina pouvoir placer un mot, mais elle se servit de cette vaine tentative pour repartir de plus belle :

et ne m’interrompez pas parce que je suis une femme et que vous êtes un homme qui profitez de vos privilèges de genre et de ra… (elle réalisa qu’il était noir) et de et de et de (sa voix réussit l’exploit de monter encore d’un cran et sembla devenir incontrôlable) ET PUIS LE NUCLÉAIRE C’EST LA CULTURE DU VIOL !

Les derniers mots furent prononcés dans une expiration explosive dont le ton extatique, en contradiction évidente avec leur gravité, soulignait le décalage ahurissant du propos et provoqua un rire étouffé dans tout le studio. Trois minutes plus tard, toute la séquence faisait l’objet d’un mème, immédiatement viral, couplant la performance de Sandrine Rousseau et la fameuse scène du restaurant de Quand Harry rencontre Sally. Les mots-dièses #Rousseaurgasme et #MegRousseau l’accompagnaient et demeurèrent au moins vingt-quatre heures dans les plus partagés sur X.

De son côté, Emmanuel Macron, qui ne regardait ni n’écoutait France Info, retourna dans son bureau, un sourire satisfait sur le visage. Son téléphone vibrait en continu. Un seul SMS retint son attention : « Risqué. Couillu. Mais bien joué ! ». « Jupiter a repris le foudre », répondit-il à Nicolas Sarkozy. Bruno Roger-Petit entra alors, visiblement au comble de l’excitation :

Monsieur le Président, c’est un succès ! Que dis-je, un succès, un triomphe ! Même Cincinnatus loue votre initiative : « Cette décision restera peut-être comme la seule bonne idée de la funeste décennie macroniste, si tant est que le velléitaire de l’Élysée soit capable d’aller jusqu’au bout de sa vertueuse prise de conscience… »

Emmanuel Macron interrompit son conseiller d’un éclat de rire méprisant.

Mais qu’ils sont cons ! Comme si j’en avais quoi que ce soit à foutre d’EDF ! Je pourrais aussi bien tout refourguer à la Chine pour un euro, ce serait pareil. Le Maître des Horloges Est de Retour (il réussissait à faire entendre les majuscules à l’oral). Et c’est tout ce qui compte.

Le courtisan s’en retourna piteusement compter ses trombones.

Pendant que le Maître des Horloges se réjouissait, la panique gagnait tout le champ politique.
LFI et EELV jouèrent à qui serait plus « écolo » que l’autre, multipliant les interventions dans tous les médias et réseaux dits sociaux, dénonçant pêle-mêle le nucléaire qui détruit la planète, l’abandon des énergies renouvelables, le scandaleux sacrifice des générations futures, etc.
Chez EELV, on tenta de faire oublier la prestation de #MegRousseau, bien que ses concurrents internes participassent largement à propager le cruel montage, et on insista sur l’isolement européen que la décision unilatérale du Président ne manquerait pas d’imposer.
Chez LFI, on se lamentait sur la « faute stratégique de se détourner de la Russie ». Celle-ci, en effet, était redevenue fréquentable depuis que, trois mois plus tôt, le sommet de Doha, à l’initiative du Président américain Donald Trump, avait mis fin à la guerre contre l’Ukraine, entériné le « protectorat » russe sur les deux tiers du territoire ukrainien et permis la « normalisation » des relations avec Vladimir Poutine.
Au PCF, plus que jamais en guerre contre LFI, Fabien Roussel accorda officiellement un satisfecit à Emmanuel Macron et se dit même prêt à le rejoindre dans ce grand tournant de la souveraineté énergétique… à condition qu’il annule purement et simplement la réforme des retraites et la loi sur l’immigration. Il ne reçut aucune réponse.
Le PS, comme à son habitude, se déchira en luttes intestines auxquelles personne ne comprenait rien ; quelques cadres démissionnèrent ; Olivier Faure fut mis en minorité et annonça la tenue d’un Congrès exceptionnel. Ce qui n’intéressait personne dans le monde réel.
LR dut affronter ses contradictions internes entre, d’un côté, le rejet viscéral et très anti-gaullien de la nationalisation d’EDF et de la sortie du marché européen de l’énergie, et, de l’autre, le projet très populaire à droite de relance massive du nucléaire. La crise profonde qui agitait déjà le parti dans la perspective de 2027, avec les ambitions concurrentes de Wauquiez, Ciotti, Bertrand, Bellamy, Baroin, et d’une bonne demi-douzaine d’autres candidats à la candidature, ne fit que s’aggraver.
Quant à Marine Le Pen, elle ordonna le silence complet à tout son état-major et se contenta d’un communiqué lapidaire qui saluait « la décision de bon sens de Monsieur Macron » mais s’inquiétait du « message ainsi envoyé à la Russie ».
La majorité présidentielle, enfin, fut déboussolée par la décision d’Emmanuel Macron. Depuis quelques mois et la marginalisation de l’Élysée, les voix se libéraient et l’on entendit ainsi plusieurs ténors s’élever publiquement contre le chef de l’État et critiquer la « soviétisation » du Président. Ce mouvement de révolte, alimenté par ceux qui se voyaient déjà en haut de l’affiche, fut très vite étouffé par le Président lui-même qui fit appeler les principaux frondeurs pour les menacer de dissoudre l’Assemblée et de présenter des candidats concurrents contre tous ceux qui se détourneraient de lui. « Si tu veux pas finir caissier chez Auchan, t’as intérêt à pas moufter » – la phrase fit son effet et, dans le capharnaüm général, la plupart des rodomonts préférèrent baisser d’un ton en attendant de voir dans quelle direction la girouette se stabiliserait.

À l’étranger, l’annonce provoqua aussi de nombreux remous, recueillant sur-le-champ, et sans surprise, la condamnation unanime et frontale de tous les pays dépendants des énergies fossiles, et celle de l’Union européenne qui y voyait, selon les mots de sa présidente, une « rupture inédite des traités, un viol inouï des règles du Marché et une aventure solitaire et antidémocratique sans précédent ». Dans les jours qui suivirent, de nombreux incidents éclatèrent au Parlement européen où l’on n’avait guère l’habitude de voir des représentants en venir aux mains ! À la tête des opposants à la décision macronienne, le gouvernement allemand manœuvrait dans l’ombre afin d’isoler la France et de provoquer une crise diplomatique majeure dont elle ne pourrait sortir qu’en renonçant. Dans le plus grand secret, le chancelier allemand alla jusqu’à se tourner vers Vladimir Poutine et sceller avec lui une alliance contre la France. S’ensuivit une campagne inédite de déstabilisation. Hackers allemands et russes, main dans la main, inondèrent les réseaux sociaux de photos, de vidéos et d’enregistrement sonores trafiqués par intelligence artificielle destinés à compromettre le chef de l’État dans les domaines les plus sordides. Le déferlement de fausses informations fut tel que plus aucune nouvelle ne semblait plus crédible.

Toutefois, plusieurs pays européens, victimes historiques de l’hégémonie allemande en Europe et adeptes convaincus du nucléaire, répondirent favorablement à l’appel et affirmèrent leur volonté de rejoindre la France dans ce grand projet. Un nouveau front s’ouvrait et la France n’était pas aussi isolée que ses adversaires l’auraient voulu.

Lundi 23 juin 2025, matin

Moins d’une semaine après son annonce tonitruante, Emmanuel Macron, en pleine tempête médiatique et politique, mais brutalement projeté au plus haut des sondages, se déplaça à la centrale de Penly pour le lancement des travaux de construction des deux nouveaux réacteurs nucléaires EPR2, lancement qui avait pris un an de retard mais devait incarner la nouvelle politique énergétique française. Tous les médias nationaux et une bonne quantité de journalistes étrangers participaient à cet événement annoncé comme crucial dans un contexte… électrique !

Alors que les caméras filmaient en direct le Président en train de serrer les mains d’ingénieurs et de techniciens sur le site, les téléspectateurs assistèrent à un soudain tumulte. Un coup de feu retentit, immédiatement suivi d’un très audible « Allahou Akhbar ! ». On venait de tirer sur le Président.

À suivre

Cincinnatus, 8 janvier 2024

Publié par

Cincinnatus

Moraliste (presque) pas moralisateur, misanthrope humaniste, républicain râleur, universaliste lucide, défenseur de causes perdues et de la laïcité, je laisse dans ces carnets les traces de mes réflexions : philosophie, politique, actualité, culture…

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