Mélenchon, le Venezuela et les journalistes

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Crédit : Christophe Archambault / AFP

La semaine dernière, une séquence de l’émission de téléréalité débat politique du service public a fait couler beaucoup d’encre. Ennemis comme amis de Jean-Luc Mélenchon se sont délectés de l’entendre, encore une fois, interrogé sur le Venezuela. L’extrait en lui-même ne m’intéresse guère que par ce qu’il révèle de plus profond.

1/ Je n’avais aucune sympathie pour Chavez, je n’en ai pas plus pour Maduro. Leur régime et leur pratique politique me répugnent. Je ne comprends pas l’enthousiasme de Mélenchon à leur égard et ne peux que le mettre sur le compte d’un fantasme romantique de révolution latine. J’ai toujours considéré ces amitiés du leader de la France insoumise comme l’une  de ses fautes morales et politiques majeures et n’ai pas changé d’avis, au contraire ! Il n’est donc certainement pas question ici de le défendre d’une manière ou d’une autre : il n’a pas besoin de moi pour cela. Quant à ses emportements furieux dont ses adversaires se repaissent, je ne m’y arrête pas : la colère peut être une passion politique tout à fait honorable ou une stratégie savamment calculée… ce n’est pas là-dessus que je juge un politique mais sur ses idées et ses actions. Je laisse l’écume de la vague médiatique aux crétins qui considèrent la politique comme un sport de glisse.

2/ Bien que n’étant guère spécialiste du Venezuela, mes recherches et mes intuitions me conduisent à penser que la situation est bien plus complexe que le scénario de blockbuster que l’on nous sert, avec le face à face spectaculaire entre un méchant tyran et de gentils opposants démocrates. Soyons raisonnables, les protagonistes sont plus nombreux et leurs relations plus floues dans un contexte dramatiquement tendu : pouvoir personnel et autoritaire, milices fascisantes au service de puissants groupes politiques d’extrême-droite, démocrates sincères mais inaudibles, déçus du régime en quête de revanche, corruption généralisée, rôle incertain de l’armée, économie en lambeaux, tissu social explosé, manipulation et intoxications médiatiques, ressources naturelles spoliées, souveraineté nationale violée par des intérêts étrangers avides et des multinationales cupides… et le peuple au milieu. Un cocktail qui commande retenue et lucidité avant de se lancer dans des anathèmes arrogants. À nous qui sommes éloignés d’un océan, les journalistes ne devraient-ils pas nous proposer des analyses de fond, montrant toute la complexité du réel ? Les histoires des différents acteurs, leurs soutiens, leurs idéologies, leurs projets ? La situation l’exige. Et je ne glose pas ici sur une hypothétique objectivité journalistique ni sur une neutralité axiologique illusoire, bien grands mots dont se paient les sots ! je parle, plus sérieusement, d’honnêteté intellectuelle, objectif somme toute réaliste pour nos chers journalistes mainstream.

3/ Et puisqu’on parle d’honnêteté journalistique, je constate leur obsession pour le Venezuela dès qu’il s’agit de Mélenchon. Pas une interview de lui sans qu’on n’aborde le sujet. Pourquoi pas, après tout : ce n’est pas à moi de dicter aux journalistes leurs questions… surtout s’ils prennent la peine de l’interroger aussi sur le reste ! Mais j’aimerais bien qu’on harcèle autant d’autres politiques à propos d’autres pays aussi peu sympathiques que le Venezuela. Pourquoi n’interroge-t-on pas aussi systématiquement les dirigeants LREM ou LR sur leurs amitiés avec, au hasard, l’Arabie saoudite ou le Qatar ? Ce serait sans doute aussi intéressant, peut-être même plus. Ces régimes sont-ils plus démocrates ? Certaines dictatures sont-elles plus fréquentables que d’autres ? Les alliances stratégiques doivent-elles faire oublier le massacre du Yémen par la première ou la façon dont y sont traités les opposants au régime… ou les femmes ? Les intérêts financiers doivent-ils effacer l’esclavage qui règne dans le second ou la vente à la découpe de notre patrimoine à cette caricature d’État ? Qu’on continue d’énerver Mélenchon avec le Venezuela : je n’en ai cure ! Mais qu’on en fasse autant sur la corruption des autres politiques vendus à ces puissances étrangères !

Comme trop souvent, le débat public est pris au piège du spectacle de masse. Des « journalistes » abdiquent leur éthique au nom du dieu Pognon et de son prophète Audimat. L’Émission politique a déjà fait ses preuves en matière de putasserie en invitant régulièrement des ennemis de la laïcité et de la République, présentés comme de simples citoyens ou des militants antiracistes. La ligne éditoriale de cette émission n’est pas seulement discutable : elle est ouvertement criminelle en déclinant dans le domaine politique le paradigme Hanouna. Je ne comprends pas comment des politiques peuvent se compromettre en se rendant complices de ce cirque indigne. Une polémique récente a éclaté sur la volonté de Delphine Ernotte de faire des économies sur le dos de magazines d’investigation de grande qualité. Puis-je lui suggérer plutôt l’annulation de cette Émission politique qui fait honte au service public ?

Cincinnatus, 4 décembre 2017

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Cincinnatus

Moraliste (presque) pas moralisateur, misanthrope humaniste, républicain râleur, universaliste lucide, défenseur de causes perdues et de la laïcité, je laisse dans ces carnets les traces de mes réflexions : philosophie, politique, actualité, culture…

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