Que faire des idéologues fanatiques ?

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Fanatiques de Tanger, Eugène Delacroix (entre 1837 et 1838)

L’idéologue, c’est toujours l’autre. Et pourtant, sans dissoudre le concept dans l’acide du relativisme, nous nous faisons tous, d’une manière ou d’une autre, les petits propagandistes d’une vision de l’homme, de la société et du monde, plus ou moins structurée, plus ou moins assumée, plus ou moins consciente. De ce point de vue, quelle différence entre un dirigeant politique et un fanatique religieux ?
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Déconstruction : la destruction du commun

Vue imaginaire de la Grande Galerie du Louvre en ruines
Vue imaginaire de la Grande Galerie du Louvre en ruines, Hubert Robert (1796)

Ce billet a été publié la première fois le 24 février 2021 sur le blog On Vous Voit, dont je remercie toute l’équipe pour la confiance qu’elle m’a témoignée.

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Tels sont surtout les comédiens, les musiciens, les orateurs et les poètes.
Moins ils ont de talent, plus ils ont d’orgueil, de vanité, d’arrogance.
Tous ces fous trouvent cependant d’autres fous qui les applaudissent.
Érasme, L’Éloge de la folie (1508)

Si la « déconstruction », comme concept ou méthode, vient de Heidegger, elle a été récupérée et développée en France par Derrida, puis a déménagé aux États-Unis avec les adeptes de la brumeuse « French theory », avant de revenir en France comme un boomerang. Elle a perdu à chaque étape tant de sens et de rigueur qu’elle apparaît aujourd’hui comme un salmigondis idéologique que ne reconnaîtrait sûrement pas Heidegger (ni peut-être même Derrida, c’est pour dire !). On est très loin de l’ambition initiale d’émancipation : que, par l’usage de la critique, l’homme ne soit plus la dupe de son propre langage ni de ses catégories conceptuelles [1].
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On achève bien la culture

« Tendre souci » pour les choses du monde, la culture crève. Rien de nouveau, dira-t-on… et « on » n’aura presque pas tort : Arendt, toujours elle, l’avait déjà bien observé et analysé dès les années 1960. Et pourtant, combien l’acuité de la grande philosophe semble juste aujourd’hui, plus encore qu’alors ! Les « philistins cultivés » ont imposé leur utilitarisme mortifère, la marchandisation de la culture et sa réduction à une simple valeur d’usage triomphent dans la société de masse, le processus vital de la société consomme toutes les œuvres culturelles pour alimenter nos désirs de loisirs et de divertissement. Lire la suite…

La culture se fiche des progressistes

Les manipulations des barbares du Progrès, l’accaparement avaricieux du commun au profit d’appétits privés et l’engloutissement dans les divertissements de masse achèvent la destruction de la culture. Devant ces ruines qui furent notre plus précieux héritage et notre plus grande responsabilité, notre ricanement nous interdit de nous prétendre humain. Lire la suite…

Comment fonder le droit de punir ? – Conclusion

Précédent : 2. La sortie du cadre juridique

Le droit pénal se trouve à l’intermédiaire du droit privé et du droit public puisque le crime est un tort porté à la fois à un individu et à la société – ce qui signifie que tout crime est politique au sens le plus fort du terme [1]. Il peut l’être selon différents degrés, rendant possible l’établissement d’une hiérarchie des crimes en fonction de leur ordre politique ou, ce qui revient au même, en fonction du degré de négation de l’autre. Or, lorsque le crime atteint ce niveau de négation totale de l’humanité de l’autre, par exemple dans le cas du génocide des Juifs tel que le procès d’Eichmann l’a éclairé, il n’est pas certain que le concept de crime contre l’humanité apporte une réponse claire et décisive quant à l’aspect qualitatif de la Shoah. Le tribunal de Jérusalem n’a pas su établir de différences absolues entre discrimination, déportation et génocide : y a-t-il un seuil qualitatif dans les décisions de Wannsee ? Si oui, alors il y a un seuil qualitatif entre crime de guerre et crime contre l’humanité. Lire la suite…

Comment fonder le droit de punir ? – 2. La sortie du cadre juridique

Précédent : 1. Le nécessaire fondement en raison

Si l’objectif de Kelsen est de construire un droit auto-légitimé ne trouvant son origine dans aucune autre sphère que juridique, il ne peut faire reposer le droit de punir que sur une « norme fondamentale supposée » qui ne légitime pas de façon totalement convaincante la sanction. En effet, d’autres modèles proposant des sources du droit de punir extérieures au cadre fermé du juridique peuvent sembler aussi légitimes : ainsi de la colère et de la vengeance à l’origine du châtiment chez Nietzsche ; ou l’examen de la dynamique historique du droit de punir au sein du mouvement général de l’institution d’une société disciplinaire chez Michel Foucault. Par ailleurs, les effets de bord induits par des changements d’échelle montrent d’autres difficultés quant à la fondation du droit de punir : quelle proportionnalité adopter lorsque le crime lui-même se fait crime au-delà des crimes et nie jusqu’à l’humanité d’individus ou de groupes entiers d’individus ?


Sommaire :
I. D’autres généalogies
A/ Le spectacle de la violence
B/ Châtier le corps, corriger l’âme
C/ La « société disciplinaire »
II. Punir le crime au-delà des crimes
A/ Légitimer un procès hors-normes
B/ Défendre l’indéfendable
C/ Juger l’extraordinaire


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Comment fonder le droit de punir ? – 1. Le nécessaire fondement en raison

Précédent : Introduction

La nécessité de fonder le droit de punir en raison est apparue avec la réforme juridique de la fin du XVIIIe siècle, afin de confisquer aux individus leur droit de se venger dans une société qui ne tolèrerait plus la violence individuelle, mais aussi de le débarrasser de l’arbitraire du souverain et de neutraliser en lui les racines religieuses, voire morales. Ce nécessaire fondement en raison, en rupture avec l’ordre précédent, repose avant tout sur le principe de proportionnalité, institué par la loi du talion, qui débouche progressivement sur celui de l’individualisation des peines. Au XXe siècle, un juriste positiviste tel que Hans Kelsen, cherche ainsi à fonder scientifiquement une Théorie pure du droit montrant que l’ordre juridique est socialement immanent et qu’il porte obligatoirement en lui la sanction.


Sommaire :
I. Le mouvement de réforme du XVIIIe siècle
A/ Contre l’excès de pénalité
B/ La recherche de la proportionnalité
C/ L’individualisation de la peine
II. La tentative du positivisme juridique
A/ Élaborer un droit de punir rationnel
B/ Définir l’acte illicite
C/ Légitimer l’ordre normatif juridique


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Comment fonder le droit de punir ? – Introduction

Avec cette nouvelle série de billets dans la catégorie « Ils pensent », je poursuis l’exploration de concepts qui me semblent importants, en prenant toujours pour guides quelques grands auteurs dont j’essaie de suivre pas à pas les réflexions, jusque dans leurs hésitations, leurs contradictions ou leurs impasses. L’objet de cette série : une question politique aussi fondamentale que vertigineuse – comment fonder le droit de punir ?, à partir des travaux de Michel Foucault, bien sûr, mais aussi Hans Kelsen, Friedrich Nietzsche et Hannah Arendt, entre autres. Lire la suite…

Totalitarismes, des religions politiques ? – Conclusion

Précédent : 2. La communauté élue

Au commencement est l’idée. Le Realissimum politique se donne pour scientifique, se propage par contagion à l’ensemble des champs de savoir et d’agir de la société, et imprime son idéologie totale aux consciences. Le dogme s’épanouit dans un processus gnostique d’explication pseudo-scientifique du monde et d’annonce à une communauté élue de lendemains qui chantent : domination des autres races ou véritable démocratie après la révolution prolétarienne. Lire la suite…

Totalitarismes, des religions politiques ? – 2. La communauté élue

Précédent : 1. La mystique totalitaire

Les mythes des régimes totalitaires ont pour but central la constitution organique de la communauté élue par le mouvement historique (selon la race ou la classe, c’est-à-dire le principe fondateur, le Realissimum). Cette ecclesia se forge à partir des rituels du régime totalitaire techniciste, et prend pour médiateurs de sa construction une nouvelle langue totalitaire qui participe de l’entreprise de destruction systématique de la pensée, ainsi que le chef, incarnation à la fois de la communauté et du Realissimum, véritable cristallisation du désir des foules.


Sommaire :
I. L’ecclesia
A/ La communauté organique
B/ L’organisation hiérarchique
C/ Le retour du Père primitif
II. La ritualisation de la société
A/ Les rites totalitaires
B/ La ritualisation des purges et la réification de l’être humain
III. Les médiateurs de constitution de la communauté
A/ La novlangue totalitaire, outil contre la pensée
B/ Le chef charismatique, incarnation de la communauté


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