Petite missive adressée à mes amis patriotes

La Rue Saint-Denis, Monet (1878)

Le patriotisme c’est l’amour des siens. Le nationalisme c’est la haine des autres.
Romain Gary

Chers amis,

Comme vous, j’aime la France. Sa langue, sa culture, son histoire, ses paysages, ses cuisines, son modèle économique et social, ses services publics, son esprit frondeur, sa capacité à se déchirer pour l’accessoire et à se rassembler pour l’essentiel, ses principes, sa laïcité, sa devise, son drapeau, son hymne, sa conception de la galanterie, sa grandeur quand elle oublie ses médiocrités, son universalisme… mais aussi et surtout ce qu’elle représente dans l’imaginaire collectif – et pour quoi tant ont été capables de donner leur vie.

Certes, pas plus que beaucoup d’entre vous, je n’ai choisi d’être français. Je suis né français comme d’autres naissent sous d’autres drapeaux. Peut-on être fier de ce genre d’accident ? De cette part imposée de notre identité ? Eh bien oui. Je n’ai pas choisi d’être français, mais j’ai choisi de l’assumer. J’ai choisi d’embrasser la culture dans laquelle j’ai été élevé, la langue qui m’a été transmise, l’histoire de ce pays qui m’a accueilli. J’en connais d’autres, des cultures, des langues et des histoires. J’ai pour certaines une affection réelle, une tendresse particulière ; mais pour la France, j’ai une piété filiale qu’aucune ne peut concurrencer. Parce que j’ai choisi d’accepter cet héritage, de l’enrichir et de le transmettre – et vous savez, chers amis, que c’est là toute l’affaire du patriotisme.

La culture étant l’art de se choisir des amis parmi les morts, les miens possédaient des passeports de bien des contrées, et parfois n’en avaient même pas. Le dialogue que j’entretiens avec chacun d’eux me nourrit. Et la France, ses écrivains, ses penseurs, ses artistes, ses élites et son peuple, son histoire assumée dans ses fulgurances lumineuses autant que dans ses périodes sombres, pavent le chemin que je tente de suivre vers l’universel.

*

Vous aimez la France lorsqu’elle est forte, fière d’elle-même. Lorsqu’elle ne sombre pas dans le narcissisme geignard de la déploration et de la contrition forcée. Vous aimez cette « chose belle, précieuse, fragile et périssable », pour reprendre les mots de Simone Weil lorsqu’elle évoquait le « patriotisme de compassion ».

Et vous n’êtes pas les seuls. Quand elle s’exprime, la voix de la France est écoutée dans le monde ; et quand elle se tait, sa parole est d’autant plus attendue. La France incarne un modèle propre – différent de tous les autres. C’est pour cela qu’elle est tout à la fois aimée, crainte, méprisée et détestée.

Y compris par une bonne partie des Français eux-mêmes. Vous ne comprenez pas la haine de soi que partagent bien trop de nos compatriotes. Entre les « citoyens du monde » qui ne rêvent que d’abolition de toutes les patries, les très grands bourgeois qui s’affranchissent de leur carte d’identité pour ne fréquenter que les salons VIP des aéroports internationaux, les politiciens et technocrates qui la préféreraient allemande, américaine ou n’importe quoi mais surtout pas française, et les gamins à qui l’on fait croire que leur nationalité française est un affront et que leurs « vraies » origines sont dans un ailleurs qu’ils fantasment au point que « Français » leur est devenu une insulte, vous déplorez le déracinement choisi, bien souvent, par paresse intellectuelle, intérêt égoïste, inculture plastronnante ou mensonge idéologique.

Vous souffrez aujourd’hui des attaques que subit notre pays. De son démantèlement, en haut par l’Union européenne, en bas par les décentralisations ubuesques. De sa normalisation, de la disparition de ses singularités pour mieux se fondre dans d’autres modèles. De la fin de son exception. De sa disparition dans la culture de l’avachissement. De l’extension de l’empire du moche qui le défigure. De la trahison de ses élites et de son abandon par son peuple.

*

Vous savez que l’État-nation est l’échelon le plus démocratique, celui où s’exprime le mieux la souveraineté populaire. La souveraineté, vous la défendez partout où elle est mise en danger, comme vous encouragez le patriotisme partout où il est menacé – parce que le patriotisme est le plus sûr, le plus ferme et le plus cohérent des anti-impérialismes. C’est que le patriotisme est généreux. Il n’a rien du nationalisme ni de la xénophobie dont on l’accuse trop facilement. Au contraire ! Patriotes sincères, vous ne craignez pas l’autre, vous accueillez volontiers tous ceux qui veulent faire de notre patrie la leur, vous voyez en eux un enrichissement, non un danger. Ils sont les bienvenus… du moment qu’ils respectent les règles fondamentales de notre nation. Car être français, ce n’est pas une question de papiers d’identité mais d’engagement au service de la nation conçue comme volonté politique – ce qui entraîne des droits mais aussi des devoirs. La crise majeure que la France vit avec l’immigration tient à l’oubli (volontaire ?) de cette exigence pourtant évidente – qu’on l’appelle intégration, assimilation ou d’un tout autre terme, peu importe.

Votre dévouement envers notre pays doit être loué et non moqué comme trop de petits marquis poudrés, trop de déracinés volontaires, trop d’idéologues sans-frontiéristes se permettent de le faire.

Mais prenez garde : parmi vous, agacés des mauvais procès qui vous sont faits, écœurés des accusations en ringardise, affligés des anathèmes qui vous relèguent injustement à l’extrême droite de l’échiquier politique – oubliant opportunément que, comme les traîtres, les patriotes ont toujours été présents, en proportions variables, d’un bout à l’autre du spectre partisan –, certains cèdent aux chants enamourés mais mensongers que vous adressent des sirènes faussement patriotes. Les Le Pen, les Zemmour et tous leurs clones tristes tentent de s’imposer comme représentants politiques du patriotisme [1]. Leurs allégeances les disqualifient. Refuser les tutelles allemande, américaine ou otanienne pour mieux se réfugier sous l’aile russe – voilà un bien étrange patriotisme, une bien étrange conception de la souveraineté !

Cincinnatus, 1er avril 2024


[1] Quant au trublion Onfray qui semble vouloir, lui aussi, grappiller quelques miettes du gâteau souverainiste, il ne faut lui accorder aucune confiance. Lorsqu’il se prétendait philosophe, il se distinguait avant tout par son manque de respect des sources qu’il manipulait pour leur faire dire ce qui l’arrangeait, par sa malhonnêteté intellectuelle et par son ambition et son ego démesurés. Maintenant qu’il a officiellement embrassé la carrière de polémiste, ces traits persistent et s’y ajoutent ceux d’un poseur sans constance idéologique et d’un provocateur aux capacités limitées. S’il m’arrive d’être d’accord avec lui, mon premier réflexe est toujours de me demander où j’ai tort, le second de chercher à quel moment par le passé il a dit le contraire de ce qu’il vient d’affirmer, le troisième de me demander ce qu’il a à gagner à tenir la position en question. Ce n’est pas le genre d’allié que vous devriez rechercher : il faudrait vous en méfier plus encore que s’il était votre adversaire.

Publié par

Cincinnatus

Moraliste (presque) pas moralisateur, misanthrope humaniste, républicain râleur, universaliste lucide, défenseur de causes perdues et de la laïcité, je laisse dans ces carnets les traces de mes réflexions : philosophie, politique, actualité, culture…

5 réflexions au sujet de “Petite missive adressée à mes amis patriotes”

  1. Français et internationnaliste: c’est très faisable. À propos, les internationalistes ne rêvent pas de la disparition de toutes les patries, mais de celle de toutes les nations. Cela fait une grosse différnece.

    Mon bonjour, à part cela et mes remerciements pour votre chronique, toujours stimulante même si parfois… enfin, oublions les sujets qui fâchent.

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    1. Bonjour,
      je ne me considère pas vraiment comme un « chroniqueur politique » mais pourquoi pas.
      En revanche, je suis curieux : où voyez-vous de « l’insulte sans argumentation » ?
      Cincinnatus

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      1. Vos propos sur « Les Le Pen, les Zemmour » où vous parlez d’allégeance (ce qui n’est pas rien) manque d’arguments et surtout de preuves. Personnellement, je serais intéressé par une démonstration constructive explicitant en quoi nous pouvons définitivement considérer que ces personnes (les respecter ne nuira pas à votre rhétorique) auraient pris le parti de Poutine et cela apparemment sans nuances.

        Concernant M Onfray, il ne faudrait donc lui accorder aucune confiance. Certes. Pourriez-vous donner quelques exemples où il aurait été « malhonnête » afin que nous puissions adhérer à vos propos sans avoir le sentiment de participer au camp du bien contre le mal? Vous dites qu’il manque de « constance idéologique », il me semblait qu’il s’était toujours présenté comme de gauche libertaire. Apportez-nous donc une source prouvant le contraire.

        Personnellement, je suis attaché à mon indépendance intellectuelle et il me peine de lire des lignes sans source, affirmant, sans jamais démontrer. J’ai l’impression que le rédacteur me prend pour un individu qui acceptera sans questionner, c’est presque vexant.

        Donc SVP, citez et donnez des références, nous vous lirons avec plus d’intérêt.

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