
Le scénario de la prochaine élection présidentielle semble écrit d’avance avec la victoire annoncée de Marine Le Pen. En tout cas, tout est fait pour que les prédictions sondagières deviennent réalité. Certes, nous pouvons nous attendre à ce qu’un trublion quelconque à la popularité aussi subite qu’artificielle sorte opportunément du chapeau de nos prestidigitateurs médiatiques pour épicer quelque peu une histoire bien plate. Faire monter la sauce tout en connaissant la conclusion : tout cela a pourtant un furieux air de déjà-vu !
En 2007, la geste Royal n’avait pour but que de faire vendre du papier et du temps d’antenne – il fallait bien donner l’illusion du relief à l’élection offerte à Nicolas Sarkozy. Même chose en 2017 : Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon n’ont servi que de faire-valoir et de duo de méchants façon Marvel pour le blockbuster médiatique écrit autour du personnage d’Emmanuel Mozart-de-la-finance-sourire-colgate Macron. Tout ce cirque médiatique n’est qu’une pantomime destinée à mieux verrouiller l’élection… et à (se) divertir tout en maîtrisant le résultat final.
Une offre politique piégée
Notre représentation profondément biaisée sert de cache-misère au basculement de notre régime politique républicain et démocratique dans un mélange d’ochlocratie et de d’oligarchie [1]. Nous pouvons bien avoir dix, quinze ou quarante candidats, s’ils représentent à eux tous une ou deux familles de pensée et, surtout, s’ils mènent tous la même politique une fois élus, alors cet alignement de clones tristes n’est qu’une sinistre parodie de démocratie. La confusion entre élection et démocratie permet toutes les manipulations.
L’offre politique est complètement fermée, laissant sur le côté une grande majorité de citoyens qui ne croit pas une seconde à ce mirage qu’est la tripartition du paysage politique. Non pas qu’ils se trouveraient plus ou moins à égale distance des trois pôles imposés : ils ne se reconnaissent dans aucune des visions du monde qu’on essaie de leur vendre. Dans ces circonstances, comment leur reprocher leur abstention [2] ? Refuser un tel jeu de dupe n’a rien de honteux. Les soirs d’élections, éditocrates et apparatchiks nous offrent un risible concert de pleurnicheries mêlées d’admonestations sur le thème « l’abstention a encore augmenté, les Français se détournent de la politique, etc. ». Tout en s’en félicitant in petto : l’abstention sert ceux qui ont le pouvoir politique pour mieux continuer de le confisquer.
Navrante galerie de portrait des forces en présence
Pour le prochain spectacle, tout semble donc déjà joué. La favorite, Marine Le Pen, patiente sagement en évitant gaffes et chausse-trappes dans un silence très rentable. Elle joue la sécurité ; pour ne pas cliver, rompt avec les identitaires de droite, jadis bien plus centraux dans le dispositif paternel ; polit image, discours et programme ; et laisse les propositions les plus clivantes à la succursale zemmourienne, bien pratique pour cristalliser à sa droite un électorat dont elle aura besoin au second tour mais qui lui ferait perdre plus de voix au premier. Le RN, devenu un parti attrape-tout, sert à chacun le discours qu’il attend – à telle enseigne que même les plus républicains d’entre nous peuvent sincèrement trouver des charmes à certaines de ses prises de position. L’égérie des sondages gère sereinement son avantage en attendant l’élection promise, laisse les autres s’entre-déchirer publiquement et recueille les fruits de leur incompétence. Il est vrai qu’elle n’a pas grand-chose à craindre de ses adversaires en carton.
La fausse gauche sait déjà qu’elle n’a aucune chance, quel que soit son candidat, alors elle mise sur le pourrissement et infecte le débat public de ses miasmes démagogiques. « Tout conflictualiser », avait théorisé le Guide. C’est exactement ce que font ses séides. Cliver dans tous les domaines et racoler le plus vulgairement possible pour mieux mobiliser les segments marketings qu’ils se pensent acquis : bobos philistins égoïstes des centres-villes, lumpencaïdat et barbus des banlieues. Aucun scrupule : le but est de chauffer la nation à blanc et de la rendre à tel point hystérique que l’élection de Marine Le Pen fasse exploser la baraque. Si ça marche : sur le bordel et les ruines, prendre le pouvoir. Si ça ne marche pas : conserver leurs sinécures. Ils se foutent royalement que cette stratégie de la cocotte-minute soit extrêmement dangereuse : ils n’ont aucun surmoi, aucune conscience, aucune éthique (de conviction ni de responsabilité), aucune vertu civique.
Quant à la macronie orpheline, les héritiers putatifs aiguisent leurs couteaux en s’imaginant réussir le tour de passe-passe de 2017. Édouard Philippe, Gabriel Attal, Bruno Le Maire et une bonne douzaine d’autres se voient déjà récupérer le foudre de Jupiter… alors qu’ils n’ont aucune chance : les plats ne repasseront pas.
Les autres partis ? La gauche non contaminée par l’identarisme qui métastase LFI et EELV a disparu du paysage ; la droite non phagocytée par le macronisme se débat dans la vacuité de ses querelles de nains en pensant déjà aux ralliements à la future présidente. Circulez, y a rien à voir !
Ceux qui ne sont rien
La France est au bord de la crise de nerfs. Ou pire. La multiplication des peurs pour le présent et l’avenir ne relève pas d’un « sentiment » que l’on pourrait balayer d’un revers de main, en la mettant sur le compte d’une psychologie collective fragile. Nous prenons conscience de la « déglingue générale », que le monde de nos enfants sera bien pire que celui – déjà pas mal dégueulasse – que nous avons connu et que nous voyons s’effondrer de toute part. Le danger le plus immédiat provient de l’alignement inédit des fractures. Tant que les lignes de partage se croisent sans se recouvrir, la dislocation complète de la nation peut être retenue. Mais lorsque le jeu n’est plus à somme nulle et que certains réalisent qu’ils sont perdants sur tous les tableaux, la colère, sentiment politique légitime, peut laisser place à bien plus grave.
La France périphérique crève. Les perdants de la mondialisation et de la désindustrialisation vivent le déclassement dans leur chair. Ceux pour qui la fin du mois arrive le 12 et ne peuvent plus remplir leur frigo jusqu’au 30 ont bien compris le désintérêt hautain que leur témoignent les « élites » médiatico-politiques plus intéressées par leurs clientèles. À cette insécurité économique et sociale s’ajoutent l’insécurité physique et l’insécurité culturelle. La pression et les provocations islamistes écorchent chaque jour un peu plus une nation passablement traumatisée : profs coupés en deux ou égorgés, gamins massacrés pour des « crimes d’honneur », lumpencaïdat qui paraît jouir d’une incroyable impunité… Chaque test des islamistes contre la République aggrave la situation. Et si, depuis l’attentat de Charlie Hebdo, il n’y a eu aucune réponse violente, cela ne tient sans doute pas au sang-froid des Français ni à une République ferme sur ses principes mais, hélas, à la culture de l’avachissement qui fonctionne comme un anesthésiant collectif dont profite l’idéologie fréro-salafiste. Ce qui laisse augurer le pire.
Dans ce paysage angoissant, pour de nombreux citoyens, Marine Le Pen ne semble pas un recours mais la seule option possible. Et ceux qui les méprisent les y encouragent. Des pans entiers de la nation se sentent exclus d’une démocratie qui, par bien des aspects, n’en est plus vraiment une. Même des villages qui n’ont jamais vu un immigré votent massivement pour la patronne du RN. Et les belles âmes de lever les yeux au ciel en mettant cela sur le compte de la bêtise, de l’endoctrinement ou du fascisme congénital des beaufs. Prendre tous les électeurs de Marine Le Pen pour des imbéciles, c’est trop facile ! Ils écoutent la radio, regardent la télé, se renseignent… certes, souvent à des sources biaisées et idéologiquement marquées (comme si Libé, l’Obs ou France Inter n’étaient pas biaisés et idéologiquement marqués !). Ils voient bien ce que les bonnes consciences du Camp du Bien©, par intérêt autant que par cécité idéologique, refusent d’admettre. Même s’il n’y a pas d’immigré là où ils vivent, ils voient bien que la France (et pas seulement elle) a un grave problème avec la nécessaire régulation de l’immigration et que l’intégration ou l’assimilation ne fonctionnent plus. Et tant que regarder en face ce diagnostic suffira à passer pour un horrible suppôt de l’extrême droite, alors Marine Le Pen engrangera des voix par dizaines de milliers.
Demain : Marine Le Pen ?
Le RN au pouvoir, je ne crois pas une seule seconde au retour des « heures sombres », de la « bête immonde », au bruit de bottes et toute cette camelote faisandée que tentent de nous refourguer ses adversaires qui se donnent des frissons à jouer au Résistant comme ma fille de six ans joue à la princesse ou à la sorcière. Ni Marine Le Pen ni son parti ne sont des fascistes, des nazis ou je ne sais quelle horreur. Les mots ont un sens, bon sang ! Comment peut-on ainsi banaliser les tragédies du vingtième siècle ? En pensant élever Marine Le Pen au niveau d’Hitler, en réalité on rabaisse Hitler au niveau de Marine Le Pen… et en voulant disqualifier l’une, on réhabilite l’autre : bravo ! Bien joué, les tocards incultes ! Mais c’est facile, c’est commode, c’est comme l’orgue de barbarie : il suffit d’appuyer sur un bouton et ça joue tout seul. Toute la pseudo-gauche actuelle a renoncé à penser, à travailler : elle a troqué son cerveau pour une simple moelle épinière directement branchée sur la bouche pour réciter son catéchisme dans un joli psittacisme suranné depuis les années 1980. Et masquer ses propres turpitudes : une bonne partie de cette « gauche » se montre bien plus d’extrême droite que le RN.
Ce n’est pas pour autant que je me réjouirai de voir Marine Le Pen entrer à l’Élysée, bien au contraire ! Elle y mènera une politique de droite sans imagination, une resucée de Sarkozy et Macron en pire. C’est déjà bien assez pour précipiter la catastrophe ! Services publics, classes moyennes et populaires, etc. en prendront encore plus plein la gueule ; la République achèvera son anéantissement ; l’État et les institutions seront mis au service d’une nouvelle clique, venue remplacer la précédente – et, surtout, seront inféodés à de nouveaux intérêts étrangers. Car la proximité de Marine Le Pen et de ses fidèles avec le Kremlin représente un véritable danger pour une indépendance nationale déjà très profondément mise à mal par ses prédécesseurs.
La possibilité d’une effraction
Notre fenêtre de tir, si tant qu’elle existe, est extrêmement étroite.
Si Jean-Luc Mélenchon est encore candidat, il sera sans doute contesté au sein même de son mouvement ; et si ce n’est pas lui, aucun de ses héritiers ou successeurs autoproclamés n’aura la légitimité suffisante. Les rivalités internes sont telles que les vipères se dévorent déjà entre elles. Et la situation est sensiblement la même du côté de la macronie.
Quant à Marine Le Pen, elle apparaît comme la seule candidate assurée d’y aller… sauf si. Sauf si elle commet un faux pas (hypothèse très plausible) ; sauf si les appétits et ambitions concurrentes dans son camp dépassent le seuil d’audace (hypothèse encore plus plausible) et qu’une Nuit des longs couteaux s’organise pour se débarrasser de la candidate déjà trois fois perdante ; sauf si…
Dans tous les cas, 2027 sera sans doute la dernière chance de changer de cap. La possibilité existe d’une effraction. Trouver le bon candidat demeure le plus difficile. Le seul objectif doit être : rassembler – réduire les fractures, suturer les plaies. Les autres jouent avec les clivages et font tout pour les accroître, or la nation a besoin d’être réconciliée avec elle-même. Nous devons affirmer la grandeur de la France contre ses adversaires… et ses ennemis ; montrer qu’une autre politique est possible, que celle qui nous a consciencieusement détruits depuis quatre décennies ; tendre à la nation un nouveau miroir, ni exagérément flatteur ni hideusement déformant – un miroir dans lequel elle puisse se reconnaître.
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Il est déjà bien tard.
Cincinnatus, 22 avril 2023
[1] Encore une fois, je ne crie pas à la dictature comme les ignares incapables de faire la différence entre la France et la Corée du Nord ! Accuser à tout bout de champ le gouvernement actuel ou ses prédécesseurs (et sans doute le prochain, d’ailleurs) de dictature n’a rien de subversif, c’est juste stupide. Il y a bien des nuances, bien des intermédiaires, bien des ailleurs entre d’un côté la dictature (dont le sens même a beaucoup varié avec l’histoire) et la république ou la démocratie de l’autre.
[2] Je l’ai déjà écrit, je n’absous pas pour autant tous les abstentionnistes en imaginant que leur dégoût civique repose exclusivement sur une prise de conscience d’une offre faussée. Il y a bien d’autres causes à l’abstention (la flemme, le désintérêt, le sentiment d’inutilité, le « tous-pourris »…), pour beaucoup fort peu honorables – et parmi lesquelles la culture de l’avachissement joue un rôle de premier plan.
