Une indigestion normative ?

Moïse brisant les Tables de la Loi, Rembrandt (1659)

« Trop de normes ! » « Les normes nous écrasent ! » Ad nauseam
Mais de quoi parle-t-on vraiment ?
Parmi tous les sens qu’il recouvre, le mot « norme » en possède notamment trois dont les multiples confusions entraînent malentendus gênants et manipulations dangereuses.

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Comment fonder le droit de punir ? – Conclusion

Précédent : 2. La sortie du cadre juridique

Le droit pénal se trouve à l’intermédiaire du droit privé et du droit public puisque le crime est un tort porté à la fois à un individu et à la société – ce qui signifie que tout crime est politique au sens le plus fort du terme [1]. Il peut l’être selon différents degrés, rendant possible l’établissement d’une hiérarchie des crimes en fonction de leur ordre politique ou, ce qui revient au même, en fonction du degré de négation de l’autre. Or, lorsque le crime atteint ce niveau de négation totale de l’humanité de l’autre, par exemple dans le cas du génocide des Juifs tel que le procès d’Eichmann l’a éclairé, il n’est pas certain que le concept de crime contre l’humanité apporte une réponse claire et décisive quant à l’aspect qualitatif de la Shoah. Le tribunal de Jérusalem n’a pas su établir de différences absolues entre discrimination, déportation et génocide : y a-t-il un seuil qualitatif dans les décisions de Wannsee ? Si oui, alors il y a un seuil qualitatif entre crime de guerre et crime contre l’humanité. Lire la suite…

Comment fonder le droit de punir ? – 2. La sortie du cadre juridique

Précédent : 1. Le nécessaire fondement en raison

Si l’objectif de Kelsen est de construire un droit auto-légitimé ne trouvant son origine dans aucune autre sphère que juridique, il ne peut faire reposer le droit de punir que sur une « norme fondamentale supposée » qui ne légitime pas de façon totalement convaincante la sanction. En effet, d’autres modèles proposant des sources du droit de punir extérieures au cadre fermé du juridique peuvent sembler aussi légitimes : ainsi de la colère et de la vengeance à l’origine du châtiment chez Nietzsche ; ou l’examen de la dynamique historique du droit de punir au sein du mouvement général de l’institution d’une société disciplinaire chez Michel Foucault. Par ailleurs, les effets de bord induits par des changements d’échelle montrent d’autres difficultés quant à la fondation du droit de punir : quelle proportionnalité adopter lorsque le crime lui-même se fait crime au-delà des crimes et nie jusqu’à l’humanité d’individus ou de groupes entiers d’individus ?


Sommaire :
I. D’autres généalogies
A/ Le spectacle de la violence
B/ Châtier le corps, corriger l’âme
C/ La « société disciplinaire »
II. Punir le crime au-delà des crimes
A/ Légitimer un procès hors-normes
B/ Défendre l’indéfendable
C/ Juger l’extraordinaire


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Comment fonder le droit de punir ? – 1. Le nécessaire fondement en raison

Précédent : Introduction

La nécessité de fonder le droit de punir en raison est apparue avec la réforme juridique de la fin du XVIIIe siècle, afin de confisquer aux individus leur droit de se venger dans une société qui ne tolèrerait plus la violence individuelle, mais aussi de le débarrasser de l’arbitraire du souverain et de neutraliser en lui les racines religieuses, voire morales. Ce nécessaire fondement en raison, en rupture avec l’ordre précédent, repose avant tout sur le principe de proportionnalité, institué par la loi du talion, qui débouche progressivement sur celui de l’individualisation des peines. Au XXe siècle, un juriste positiviste tel que Hans Kelsen, cherche ainsi à fonder scientifiquement une Théorie pure du droit montrant que l’ordre juridique est socialement immanent et qu’il porte obligatoirement en lui la sanction.


Sommaire :
I. Le mouvement de réforme du XVIIIe siècle
A/ Contre l’excès de pénalité
B/ La recherche de la proportionnalité
C/ L’individualisation de la peine
II. La tentative du positivisme juridique
A/ Élaborer un droit de punir rationnel
B/ Définir l’acte illicite
C/ Légitimer l’ordre normatif juridique


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Comment fonder le droit de punir ? – Introduction

Avec cette nouvelle série de billets dans la catégorie « Ils pensent », je poursuis l’exploration de concepts qui me semblent importants, en prenant toujours pour guides quelques grands auteurs dont j’essaie de suivre pas à pas les réflexions, jusque dans leurs hésitations, leurs contradictions ou leurs impasses. L’objet de cette série : une question politique aussi fondamentale que vertigineuse – comment fonder le droit de punir ?, à partir des travaux de Michel Foucault, bien sûr, mais aussi Hans Kelsen, Friedrich Nietzsche et Hannah Arendt, entre autres. Lire la suite…

Un républicanisme économique ?

Le républicanisme est une pensée politique, pas une doctrine économique. Et pourtant, de sa vision du monde cohérente – sa Weltanschauung –, peuvent se déduire des principes en matière d’économie.
Penser l’homme, le monde et la société conduit à penser les rapports économiques réels et souhaités : observer l’être et imaginer le devoir-être sans toutefois chercher à déduire le second du premier, ni légitimer le premier par le second, fautes logiques trop répandues. En d’autres termes : construire un idéal régulateur, un horizon désirable, qui doit servir à fois de boussole et de pierre de touche à la critique du réel [1].
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Sur la « fin de vie » et l’euthanasie

Des représentants de diverses religions donnent leur avis sur le sujet, pourquoi pas moi ? Mais ce n’est certainement pas en tant qu’athée que je souhaite m’exprimer. Il y a quelques semaines, l’affaire Vincent Lambert est revenue à la une des médias, juste après la réouverture du « débat » sur la fin de vie par la proposition de loi Claeys-Léonetti. Je ne veux entrer dans le détail ni du cas particulier Lambert ni des propositions des deux députés. Je préfère m’interroger, de manière plus générale, sur l’opportunité de légiférer sur ces questions et sur la légitimité du politique à s’en saisir.

Je dois d’abord avouer que je suis très mal à l’aise avec ce débat sur la « fin de vie » (étrange euphémisme). Comme beaucoup, j’ai été confronté à la mort d’êtres proches. Et, quoi que je fasse, mon émotion personnelle influence nécessairement mon jugement. Mais, pour cette raison, mon discours a-t-il plus de poids ou, au contraire, est-il disqualifié ? L’expérience intime légitime-t-elle ou invalide-t-elle l’opinion émise ?
Je ne sais pas.
Je constate simplement que la mienne n’a que peu évolué à la traversée de la douleur. Peut-être, parce qu’elle était déjà tiraillée avant, elle l’est demeurée ensuite.

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