Le Pen ou Mélenchon ? La peste ou le colérique ?

Photos : AFP

La semaine dernière, un figurant politique en mal en mal de notoriété, qui dirigeait jusqu’à il y a peu un groupuscule rassemblant encore un vague quarteron de ce j’appelle les « républicains au milieu du gué » [1], a réussi son coup en faisant le buzz au seul endroit où il existe encore : le miroir aux alouettes des réseaux dits sociaux. Dans un « débat » avec l’épouvantail Zemmour, Amine El-Khatmi a pris le risque, probablement calculé, d’affirmer qu’en cas de duel entre Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen, il voterait pour la seconde. Horreur ! Malheur ! Que n’avait-il dit là ! Twitter – pardon : X, comme il faut désormais appeler ce cloaque – en a déraisonnablement résonné pendant des jours. Bof.

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Je ne défendrai pas le trublion, au demeurant sympathique, qui savait pertinemment ce qu’il faisait et a réussi son coup en faisant parler de lui.
Je comprends néanmoins que, lorsque l’on vient de la gauche républicaine et laïque, que l’on s’est engagé dans le débat et que l’on est vaillamment descendu dans l’arène politique où l’on a pris plus de coups venant de son propre camp, ou de ce qu’il en reste, que de ses adversaires idéologiques historiques, on puisse, alors, développer une certaine aigreur voire une amertume certaine envers son propre « camp ».
Je comprends ce dégoût que peut inspirer à quelqu’un ayant fait ses armes à gauche, cette « gauche coucou » qui est venue squatter la vieille maison et en chasser les derniers locataires.
Je comprends la tentation de passer « de l’autre côté », même si cette histoire de côtés et de camps n’est qu’une vaste pantalonnade : le vieux clivage gauche-droite a encore du sens dans beaucoup d’esprit mais il ne recouvre plus depuis longtemps l’ensemble des fractures réelles de la nation française ; il agit plutôt comme une confortable béquille pour la pensée et l’action en réactivant des vieux réflexes qui n’ont pas besoin que l’on possède un cerveau, à peine une moelle épinière.
Je comprends l’écœurement et même la provocation en forme de grand bras d’honneur à ceux qui l’ont méprisé et lui ont craché dessus.

Tout ce spectacle n’en demeure pas moins affligeant. Le politique n’a rien à voir avec le sinistre divertissement que nous offrent les éphémères icônes du buzz médiatique. Le politique, ce n’est pas les jeux du cirque. Le politique, ce n’est pas la provocation volontaire, le clivage stratégique ni l’exhibition égotique sur les ruines de la nation.

Je regrette que même des républicains impeccables parmi mes plus proches camarades se soient laissés aller à hurler avec la meute. Ils ont ainsi versé dans le travers qui est d’habitude celui de nos adversaires : l’exhibition de la vertu morale, les grandes proclamations d’appartenance au camp du Bien©, l’onanisme de la bonne conscience. « Jamais je ne voterai pour l’extrême droite », « franchir la ligne rouge », « la bête immonde », « les heures sombres de l’histoire », etc. etc. Ce psittacisme de cours de récré n’honore guère ceux qui l’entretiennent par paresse intellectuelle. Au risque de me répéter, non seulement Marine Le Pen n’est pas une fasciste ni son parti un ramassis de dangereux nazis mais, surtout, continuer de répéter ad nauseam ces balivernes est une erreur politique majeure en ce que cela contribue largement à son succès et décrédibilise tous ceux qui se prêtent à ce jeu idiot [2].

Si l’on souhaite sincèrement s’opposer politiquement au RN, alors il faut un peu de sérieux, ce qui manque, hélas, parfois, jusque dans ma propre famille politique. On n’affronte pas ses adversaires en leur collant des étiquettes que l’on juge infâmantes, mais en révélant leurs mensonges, leurs failles, leurs erreurs. En montrant la vacuité, la fausseté ou le danger que représente leur vision du monde. En exhibant l’incohérence entre leurs promesses et leurs actions et votes. Surtout, avant tout, par-dessus tout, en proposant une vision du monde alternative solide, qui puisse rassembler les Français. On ne combat pas ses adversaires par de vaines pirouettes habilement exécutées dans le seul but de se faire passer pour un parangon de vertu sur les réseaux dits sociaux ; on les combat en travaillant.

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L’hypothèse de départ, « dans un duel entre Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen, je… », n’est qu’un leurre. D’abord, en 2027, Mélenchon ne sera probablement pas candidat et il n’est même pas certain que Marine Le Pen le sera. Ensuite, un deuxième tour les opposant est hautement improbable. Enfin… on s’en fiche ! La question n’est pas là. Tout cela n’a aucun intérêt et ne sert qu’à saturer l’espace public de faux débats et de provocations faciles.

Il est, en revanche, beaucoup plus intéressant de se demander si, l’année dernière, pour beaucoup de Français qui refusaient de voter pour Emmanuel Macron au premier tour, la question du choix entre Mélenchon ou Le Pen s’est vraiment posée.

Contrairement à ce que prétendent les sectateurs du lider minimo, celui-ci n’a pas obtenu le fameux « vote populaire » qu’il prétendait incarner. Alors qu’en 2017, avec sa campagne sur une ligne dite « populiste », nettement plus républicaine, Jean-Luc Mélenchon avait réussi à mordre sérieusement sur l’électorat de Marine Le Pen, son évolution idéologique et stratégique l’a détourné de toute une partie du peuple pour s’adresser à des segments marketing qui lui paraissaient plus porteurs. Sombrant dans le clientélisme, il s’est contenté de draguer d’une part les bobos des centres-villes avec un écologisme moralisateur antiscientifique et un gauchisme culturel démagogique, et d’autre part les mafias criminelles et religieuses des territoires abandonnés de la République par ses discours victimaires antirépublicains et sa bienveillance envers l’islamisme, nous offrant pour piteux spectacle la longue dérive d’un tribun républicain vers un gourou de secte identitaire.

Au bruit et au fracas de Mélenchon répond le silence et l’effacement de Marine Le Pen. Celle-ci se construit patiemment, depuis des années, l’image d’une femme à l’écoute du peuple, qui en comprendrait les souffrances et les besoins, auxquels elle apporterait des réponses. Que ces dernières soient crédibles, efficaces ou pertinente n’importe guère : pour beaucoup de gens qui ont donné leur confiance à la gauche ou à la droite et en ont été déçus, le simple sentiment qu’on s’intéresse à eux suffit à faire la différence. Or Marine Le Pen est la seule à donner l’impression à la France périphérique qu’elle existe : ces gens qui vivent à l’écart des métropoles, qui dépendent de leur voiture pour leurs trajets quotidiens, qui ont conscience d’être les perdants de la mondialisation et des politiques menées au nom ou sous la contrainte des institutions de l’Union européenne, qui se sentent déracinés dans leur propre pays, qui observent la marche du monde depuis le bord de la route, qui voient leurs services publics disparaître ou s’effondrer – le service d’urgence qui ferme et laisse mourir des vieux ou des bébés sans qu’aucun politique ne s’en émeuve, ou l’instruction qui s’effondre, emportant avec elle les promesses de réussite et d’ascension sociale pour les enfants… Marine Le Pen parle leur langue, leur tend un miroir dans lequel ils se reconnaissent. Que celui-ci ne soit qu’une illusion, que la politique qu’elle mènerait au pouvoir n’arrange sans doute rien à leurs conditions d’existence, voire les aggrave, c’est ce qu’il faut démontrer et expliquer sans relâche, plutôt que de se complaire dans un sentiment de pureté usurpé.

En attendant, elle n’a pas grand-chose à craindre de ses « adversaires » qui lui préparent complaisamment le terrain. Par grand-chose à craindre… hors les règlements de compte internes. Car, si elle chute, c’est qu’elle aura été poussée dans le dos.

Cincinnatus, 9 octobre 2023


[1] Ces ardents défenseurs de la laïcité au côté desquels je suis heureux de me trouver lorsqu’il s’agit de combattre les velléités des diverses religions d’empiéter sur la République, mais qui oublient bien vite le dernier attribut dans « La République française est indivisible, laïque, démocratique et sociale », et se réfugient à la première occasion dans le giron néolibéral pour quelques promesses de places… qu’ils n’obtiennent même pas tant ils sont dénués de tout sens politique. Lire : « Macron le laïque, tartuffe de la République ».

[2] Relire : « RN : la grande illusion ».

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Cincinnatus

Moraliste (presque) pas moralisateur, misanthrope humaniste, républicain râleur, universaliste lucide, défenseur de causes perdues et de la laïcité, je laisse dans ces carnets les traces de mes réflexions : philosophie, politique, actualité, culture…

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