Qui ?

Le Voyageur contemplant une mer de nuages, Caspar David Friedrich (1818)

Cher vous,

C’est avec une réticence certaine que je vous sollicite aujourd’hui. Nous partageons la même aversion pour le césarisme, pour le pouvoir solitaire, pour les mensonges rouges sang des hommes providentiels et des sauveurs charismatiques. En bons républicains, nous leur préférerons toujours la collégialité, la discussion, la délibération.

Et pourtant, les institutions actuelles autant que l’air du temps nous imposent un choix empoisonné. Nous pouvons continuer de nous morfondre, confortablement installés dans notre impuissance sciemment entretenue, et de nous payer de mots – ceux des vociférations lyriques et des déplorations narcissiques dans lesquelles nous sommes passés maîtres. Tout cela n’a d’autre conséquence que notre petite satisfaction égotique. La République n’est jamais si belle et les républicains jamais si vertueux que sous l’Empire.

Ou bien nous pouvons nous coltiner le réel. Éparpillés façon puzzle, regroupés en micro-chapelles qui n’aiment rien tant que se chamailler entre elles, risiblement jaloux de nos divergences illusoires, si nous souhaitons vraiment sortir de la fatalité que nous entretenons, nous devons cesser ces enfantillages et nous rassembler pour, enfin, agir. Et donc nous salir les mains. La stratégie est connue, le programme politique écrit ; il ne nous reste que le plus difficile : accepter l’incarnation de notre pensée politique dans un mouvement collectif et surtout, ce qui nous répugne parce que l’idée même nous est odieuse pour d’excellentes et de très viles raisons, dans un individu qui la représente, dans un chef, dans un candidat à la plus haute fonction : vous.

Je ne vous connais pas. Pas encore. Je ne sais même pas si vous existez. Vous m’êtes aujourd’hui une silhouette.
J’emploie donc le masculin générique par commodité mais je me fiche comme d’une guigne que vous soyez un homme ou une femme. De même, peu m’importent l’orientation de votre désir érotique, la taille de votre compte en banque, le nom de vos parents, la couleur de votre peau, votre date ou votre lieu de naissance, les dieux, idées ou narcotiques de l’esprit qui vous apportent le réconfort nécessaire pour survivre… tout cela n’est qu’une logique d’état civil.
Ce qui m’intéresse, chez vous, c’est tout le reste.

Vous ne rêvez pas de diriger la France tous les matins en vous rasant la barbe et/ou les jambes. Conscient de tout ce que cela signifie, vous n’en avez même sans doute aucune envie. Et vous avez raison. Mais vous avez le sens du devoir. Vous ne serez ni un président « normal » – comme si cela voulait dire quelque chose – ni un président mégalomane – nabot juché sur talonnettes pour se croire Général – ni un président martyr – masochiste mettant en scène le sacrifice de sa personne –… non, rien de tel. Vous présiderez la France et les Français, vous incarnerez la nation avec honneur et dignité, et en finirez ainsi avec la succession de cas psychopathologiques qui ont occupé la fonction. Tant mieux.

Votre visage et votre voix sont déjà familiers des Français bien que vous n’apparteniez à aucun parti, bien que vous ne puissiez être associé à aucun pouvoir politique, actuel ou précédent. Pour se débarrasser de la pire caste dirigeante que nous ayons connue, vous ne devez pas en faire partie. Ainsi pourrez-vous rassembler autour de vous en raison seulement de vos principes et de votre programme, sans rien devoir à aucune organisation, à aucune structure. Quant à ceux qui voudront nous rejoindre pendant la campagne ou après la victoire, qu’ils viennent donc ! mais qu’ils n’espèrent rien en échange. Il vous faudra être impitoyable et fermer la porte à tous les tocards et branquignoles qui ont prouvé leur incompétence et sont prêts à tout pour conserver un strapontin : ils ne nous feraient rien gagner et vous feraient perdre beaucoup.

Votre vision du monde, de la société et de l’homme puise dans ce que, classiquement, on appelait l’humanisme. Bien que le mot soit devenu ringard et la chose suspecte, cet humanisme vous anime, vous emplit du tendre souci pour les œuvres de la main et de l’esprit qu’est la culture, vous assure de choisir avec attention vos amis parmi les vivants et surtout parmi les morts. Ardent républicain promoteur des principes fondamentaux de notre pensée politique, vous savez la chance précieuse que représente la laïcité, vous faites preuve d’une vertu civique irréprochable, vous êtes honnête et incorruptible, vous recherchez toujours la justice, vous placez l’intérêt général au-dessus des intérêts privés, refusant dans le même geste le clientélisme des passe-droits et la manipulation de boucs émissaires.

Votre patriotisme ne se réduit pas à des images d’Épinal fantasmées, au rabougrissement du ressentiment. Au contraire, il nourrit votre ouverture au monde. Car l’humanisme imprègne, aussi, votre idée de la France, « une certaine idée de la France », de son histoire et de son destin. Une idée tragique. Vous avez une conscience aiguë des crises qu’elle traverse : culturelles, économiques, sociales, écologiques… Vous savez qu’elle peut être de nouveau grande, qu’elle peut de nouveau offrir au monde un modèle dont il a dramatiquement besoin. Vous êtes prêt, pour cela, à assumer les bras de fer nécessaires avec les autres puissances, parce que vous ferez toujours passer les intérêts de la France et de l’humanité devant les tactiques médiocres d’une diplomatie livrée aux enjeux financiers.

Vous voulez rendre à la France sa grandeur et à l’État son efficacité. Vous savez l’importance des services publics pour tous ceux qui n’ont plus rien d’autre, et la nécessité de se débarrasser de tous les parasites qui les saignent. Vous êtes prêt à affronter les petits gris technocrates de Berlin, Bruxelles et Bercy, et les zélés séides du néolibéralisme, afin de restaurer la primauté du politique sur l’économique, l’autorité de l’État et les moyens des services publics, de réinstituer l’école de la République et de réindustrialiser la France dans une vision colberto-gaulliste de l’économie qui n’a rien de dépassé ni de suranné, contrairement aux calomnies de tous les incapables qui ont conduit la France dans le mur.

Des choix difficiles, évidemment, devront être faits mais vous savez vous entourer, écouter les avis divergents, décider puis assumer vos décisions. Vous gouvernerez ainsi par la vertu et non par les sondages ; vous échappez à l’obsession des dirigeants politiques pour leur image reflétée par les écrans et ne témoignez aux jeux du cirque médiatique qu’un souverain mépris. Ce qui vous anime, c’est la révolte devant la société de l’obscène, devant la culture de l’avachissement, devant la destruction de la planète, devant la disparition de la France, devant les tourments du peuple. Ce qui vous anime, c’est la volonté sincère de résoudre les crises dans lesquelles nous nous enfonçons – de les résoudre avec justice, sans jamais sacrifier les plus faibles.

Vous vous souciez réellement de ceux qui souffrent, de ceux qui se sentent exclus, perdus. De ceux qui ne peuvent plus remplir le frigo dès le 15 du mois. Des perdants de la France périphérique et pas seulement des gagnants des grandes métropoles. Vous abordez les questions sociales d’un point de vue humaniste, et non misérabiliste ; vous privilégiez le social sans sombrer dans les fourvoiements du sociétal. Vous ne pensez qu’à la justice et méprisez la charité comme les diversions et les divisions. Vous refusez de jouer les catégories, les classes, les territoires, les âges, les religions, les sexes, les identités réelles ou fantasmées, les individus les uns contre les autres, de diviser la nation pour régner sur des ruines. Au contraire ! vous n’avez pour objectif que de réduire les fractures sociales et territoriales, de rétablir les équilibres entre les Français et entre les territoires qu’ils occupent. Vous êtes capable de rassembler les Français, de panser les plaies ouvertes et élargies par tous les pouvoirs précédents, de réconcilier les Français entre eux et avec la France. De rendre aux Français le goût de la France.

Vous ne vous faites aucune illusion. Le chemin sera long et difficile. Nous avons contre nous des adversaires nombreux et puissants, qui préfèrent le statu quo, le business as usual. Nous avons contre nous tous les entrepreneurs de haine et agents du pourrissement qui en profitent déjà et espèrent profiter plus encore du chaos qu’ils sèment. Mais vous n’êtes pas seul. Nous sommes plus nombreux encore, à n’attendre que le signal du rassemblement. Nous pouvons même être majoritaires. Nous avons conscience que les chances de réussir sont bien faibles ; devons-nous pour autant abandonner ? Nous résigner à voir la République déjà effondrée disparaître dans l’indifférence ? Soyons désespérément lucides.

Que dites-vous ?… C’est inutile ?… Je le sais !
Mais on ne se bat pas dans l’espoir du succès !
Non ! non, c’est bien plus beau lorsque c’est inutile ! [1]

Soyons dignes de nos prédécesseurs et de nos successeurs. Lorsque la génération de ma fille ou celle de ses enfants viendra nous remplacer dans les tranchées politiques ou sur les barricades idéologiques, nous pourrons être fiers de lui dire que nous avons tenu nos positions. Et vous aurez assumé votre rôle.

Cincinnatus, 27 novembre 2023


[1] Edmond Rostand, Cyrano de Bergerac, acte V, scène 6.

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Cincinnatus

Moraliste (presque) pas moralisateur, misanthrope humaniste, républicain râleur, universaliste lucide, défenseur de causes perdues et de la laïcité, je laisse dans ces carnets les traces de mes réflexions : philosophie, politique, actualité, culture…

8 commentaires sur “Qui ?”

  1. Un proverba africain dit
    -« Sais tu comment on fait pour manger un éléphant ?
    – ?…
    – On commence par un bout . »
    l’enjeu est là : prendre ses responsabilités locales, et demander à 2 amis d’en faire de même, et qu’ils demandent eux aussi à 2 amis de faire de même ailleurs…

    Maintenant, pour césar, si le tissus local et municipal est assuré, son pouvoir de nuisance est affaible, et son pouvoir positif est encouragé…

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  2. Bonjour,

    Je suis naturalisé français et très fier de l’être.
    Arrivé dans ce beau pays au début de l’ère Giscardienne, j’y ai construit ma vie.
    Petit à petit, les années passant, j’ai perçu ce déphasage entre ce que je (voulais ?) ressentir pour ce pays et la réalité. Avec le sentiment d’assister à un immense gâchis qui ne semble pas prêt de s’arrêter.
    Et avec une question, lancinante, qui me torture l’esprit depuis des années : où est passé le bon sens ?
    J’ai l’impression qu’à tous les niveaux, celui-ci a disparu.
    Prendre une bonne décision, pour que le plus grand nombre y trouve son compte et que le pays puisse avancer sereinement, semble être mission impossible.
    Oui, il faut redonner le goût de la France.
    Cette sensation de fierté et d’espoir qui nous fait avancer vers un avenir peut-être pas radieux, mais le plus acceptable possible.

    Merci pour vos billets qui sont pour moi une respiration hebdomadaire.

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  3. Aucun pays ennemi, aucun dictateur, – et même toutes les attaques de l’extérieur reçues depuis la fondation de notre pays cumulées ne sont rien face -, n’ont fait autant de mal à notre pays que notre « élite » depuis plus de trois siècles

    Ce qu’elles ont fait était factuellement irréalisable, tant nous avions une avance incommensurable
    Mais elles n’ont pas arrêté
    Et il n’y a eu personne face à elles
    Si bien que le plus naturellement du monde la France est ruinée sur absolument tous les aspects sans avoir d’adversaire déclaré
    Alors que pour avoir un pays dans un tel état il y a du avoir une somme prodigieuse d’actions, ça ne tombe pas du ciel, et que cela se passe en France ?? c’est carrément digne d’un travail d’Hercule

    « C’était nécessaire pour obtenir nos droits »
    À quel moment un pays ruiné fait respecter ses droits ?
    Qui est actuellement à la tête des institutions internationales sensées nous protéger en cas d’attaque ?
    Dans quel état sont les USA qui nous réaniment depuis un siècle ?

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  4. Sans doute demandez vous (et demandons nous) trop de vertus à cet être présumé à venir. Il lui suffirait d’être honnête et il nous faudrait cesser d’être égoïstes. Revenir à l’essentiel : redonner un sens à l’action politique. Un sens de l’Etat, c’est à dire de nous tous, un sens de la justice (le glaive et la balance), un sens des mots et non de la communication, une volonté d’agir et donc de nous bousculer collectivement. Et une intransigeance républicaine : le refus de subir.

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  5. Vous avez raison, c’est toujours in fine, la même question, QUI ?
    Mais les temps ont changé et le pays a des lois et des médias dont le rôle est précisément d’empêcher quiconque de devenir QUI.
    Ceux qui refusent de voir advenir le fascisme sont ses complices, volens non volens.
    Sauf évènements graves qui rompraient ce filet, je ne vois pas comment, de manière démocratique, QUI pourrait s’imposer.
    D’où un avenir terrible, un pays asservi, et pour longtemps, ou un pays en guerre.
    Comme toujours dans l’Histoire …

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