Une bonne guerre ! 3. Tout est chaos

Le Siège de Paris, Ernest Meissonnier (1884)

Lundi 21 juillet 2025

Toutes les nuits pendant les trois semaines qui suivirent le déclenchement de l’état de siège, le pays vécut des émeutes inouïes. Les centres-villes des métropoles, mais aussi des villes moyennes ainsi que quelques bourgs, subirent des violences à répétition d’un lumpencaïdat depuis longtemps travaillé par les mafias criminelles et religieuses. Chaque soir, casseurs et voyous descendaient dans les rues pour s’attaquer aux boutiques qu’ils pillaient, aux symboles de l’État – quatre préfectures et douze mairies furent incendiées –, aux écoles, aux bibliothèques, aux musées, aux théâtres, aux hôpitaux et jusqu’aux crèches. Le mobilier urbain fut largement vandalisé et des arbres furent même déracinés. Symbole terrible, la statue de la République, à Paris, fut dynamitée. Les émeutiers, pour certains lourdement armés, dévastaient tout mais, surtout, tendaient des guet-apens aux policiers et aux militaires avec lesquels ils voulaient ostensiblement en découdre. En trois semaines, quinze policiers et sept soldats furent tués dans ces combats de rue, provoquant une escalade sans précédent des violences.

Parallèlement à ces émeutes, les attentats terroristes commis par des groupes islamistes très bien préparés se multiplièrent. Salafistes et Frères musulmans avaient remisé divergences et rivalités et étaient rejoints par des djihadistes étrangers qui passaient sans problème les frontières théoriquement fermées, venant tout particulièrement de Belgique, depuis longtemps plaque tournante de l’islamisme en Europe. Ils installèrent la terreur, d’abord en ciblant les « principaux ennemis de l’islam », dont la liste circulait sur les réseaux sociaux : juifs, chrétiens, athées, mécréants, apostats, francs-maçons, femmes, homosexuels, journalistes, politiques… Trois synagogues furent détruites ; les Français juifs, cible privilégiée des terroristes, se terraient chez eux ; ceux qui le pouvaient fuyaient à l’étranger, principalement en Israël. Dans une église nantaise, cinq terroristes assassinèrent quarante-deux personnes, dont le prêtre et six enfants, pendant la célébration d’un mariage. À Paris, le siège du Grand Orient de France subit l’attaque d’un autre commando armé qui fit dix-huit victimes. De nombreux bars et lieux de rencontres fréquentés par des homosexuels furent ravagés ou incendiés, plusieurs dizaines de personnes périrent dans ces agressions assorties de tortures d’une rare cruauté. Les journalistes n’étaient pas épargnés : une offensive contre Charlie Hebdo fut déjouée in extremis par les policiers en faction devant l’immeuble mais, le lendemain, deux assaillants réussirent à pénétrer dans le siège de BFMTV où ils tuèrent quatre personnes, avant d’être maîtrisés. Chaque jour, la liste des attentats s’allongeait.

Sur les réseaux sociaux, émeutiers comme terroristes diffusaient leurs exploits filmés, parfois en direct, et se lançaient des défis morbides. On vit une génération de gamins déracinés, aux identités manipulées et fantasmées, décérébrés et fanatisés par des années de bourrage de crâne idéologique, parfois âgés d’à peine douze ans, appeler à « détruire la France » et à « massacrer les mécréants ». Cornaqués par les prêcheurs salafistes et les réseaux fréristes, financés par l’Iran et le Qatar, armés et entraînés par des mercenaires russes et tchétchènes, ces mômes, devenus de véritables bombes à retardement, explosaient un peu partout dans de terribles bouffées de violence.

Comme prévu par la Constitution, l’état de siège aurait dû être prorogé par le Parlement le 8 juillet, douze jours après sa proclamation. Or plus aucun représentant de la Nation ne songeait même à se rendre à l’Assemblée : ils avaient décampé loin de Paris, beaucoup d’entre eux trouvant refuge à l’étranger. Hors de tout cadre légal, l’état de siège se perpétuait donc dans un pays qui ressemblait de plus en plus à un canard sans tête.

Malgré l’annulation de toutes les festivités et la concentration d’un grand nombre de forces de l’ordre, et surtout de soldats, dans le quartier, le 14 juillet vit la destruction complète de l’avenue des Champs-Élysées. « Simples » émeutiers et terroristes, main dans la main, se livrèrent à une intense guérilla urbaine toute la nuit. Le bilan fut épouvantable : plus de trois cents morts sur le pavé parisien.

Dès le lendemain, alors que la population se claquemurait chez elle dans la touffeur caniculaire ou, lorsque c’était possible, fuyait pour se cacher loin des villes ou de la France, les services de renseignement interceptèrent un appel à intensifier encore la terreur. L’on vit ainsi des individus, armes de guerre en main, pénétrer dans les immeubles et assassiner au hasard les gens chez eux. De nombreux enlèvements, y compris d’enfants, étaient signalés. Le 17 juillet, alors que toutes les écoles étaient fermées, les élèves de 4eB d’un collège grenoblois pénétrèrent dans leur établissement, après avoir enlevé leur professeur de mathématiques, et s’enfermèrent dans leur salle de classe. Ils diffusèrent pendant une heure, en direct, sur les réseaux sociaux, les tortures qu’ils lui infligeaient, « au nom d’Allah et de l’État islamique en France ». L’intervention du GIGN ne put sauver l’enseignant qui fut décapité au moment où les gendarmes d’élite pénétraient dans la classe, sous le feu nourri des kalachnikovs des adolescents.

Face à la catastrophe dans laquelle le pays s’enfonçait, des milices d’autodéfense s’organisèrent. Pour l’essentiel constituées de militants identitaires d’extrême droite mus bien plus certainement par un racisme primaire que par la volonté de sauver la nation, elles menèrent quelques expéditions punitives contre des mosquées et des commerces tenus par des musulmans, et se livrèrent à plusieurs ratonnades. Elles ne faisaient cependant pas le poids, ni en nombre, ni en entraînement, ni en équipement, et furent rapidement massacrées.

Police et armée procédaient à de très nombreuses arrestations et perquisitions mais étaient dépassées par l’ampleur des violences, aussi bien venant des émeutes nocturnes que des attentats terroristes à proprement parler. La situation était d’autant plus incontrôlable que le pays subissait dans le même temps la plus grande vague d’attaques informatiques jamais vue : institutions, hôpitaux, entreprises… étaient bloqués par des cybercriminels parfaitement coordonnés, agissant d’un peu partout dans le monde.

Enfin, symbole en même temps que point d’orgue de ces semaines cataclysmiques, le 21 juillet, plusieurs bombes incendiaires lâchées par drones détruisirent les trois-quarts du musée du Louvre, dont l’aile Richelieu dans son intégralité et tous les trésors qu’elle abritait. Le pays avait sombré dans le chaos.

C’est dans ces circonstances que l’Allemagne, à 18h40, après un long travail souterrain mené depuis le début de la crise, proposa officiellement aux institutions de l’Union européenne et au commandement de l’OTAN « d’aider la France à rétablir l’ordre à l’intérieur de ses frontières ». La ficelle était énorme mais peu importait : une large coalition fut immédiatement constituée, codirigée par l’Allemagne et la Turquie, qui profitaient officieusement d’un appui logistique et militaire russe sur lequel tout le monde ferma pudiquement les yeux. Ainsi la France fut-elle envahie par ses voisins… « pour son propre bien ».

Face à cette agression, la conscription générale fut prononcée. Qui déboucha sur la plus grande débâcle de l’histoire. Les soldats français, épuisés, manquaient de tout : pas assez d’uniformes ni de chaussures, fabriqués à l’étranger, plus de munitions après les semaines d’émeutes et de combats urbains, matériel vétuste… à tous les niveaux les dysfonctionnements handicapaient une armée déjà à bout de souffle. Même les chaînes de montage des chars Leclerc étaient impossibles à relancer.

Mais ce qui acheva l’entreprise de défense nationale, avant même qu’elle ne pût débuter, n’avait rien de matériel : l’échec était humain. Après les semaines terribles qui venaient de s’écouler, les jeunes gens appelés sous les drapeaux refusèrent, tout simplement, de défendre leur pays. Les émeutes se poursuivaient, les attentats continuaient d’ensanglanter le pays, les forces armées étrangères avaient passé les frontières… mais l’on vit se dérouler des scènes surréalistes de gamins geignards et arrogants aux cheveux colorés manifester « contre cette guerre de boomers ». La tragédie s’acoquinait d’une farce. Des mouvements pacifistes défilaient dans les rues dévastées, scandant des slogans appelant au « vivre-ensemble », à l’« inclusivité sans exclusive » et proclamant le plus sérieusement du monde « nous sommes tous des Frères musulmans allemands ». Bien que ces manifestations, qui rappelaient le très vieux jeu vidéo Lemmings, fussent des cibles en or pour les émeutiers et les terroristes qui s’en donnèrent à cœur joie, laissant derrière eux des centaines de victimes, rien ne semblait pouvoir altérer la foi de tous ceux qui préféraient « être tout ou n’importe quoi, plutôt que français ou mort » (que cela ne voulût rien dire paraissait leur en toucher une sans faire bouger l’autre).

Comme bien souvent, ces enfantillages tragiques convergèrent, dans le sabotage de toute possibilité d’émergence d’une résistance, avec leurs meilleurs ennemis : les autoproclamés patriotes d’avant-guerre, politiciens du Rassemblement national ou de Reconquête, identitaires de droite et militants d’extrême droite, miliciens adeptes du coup de poing et autres chemises brunâtres, dans toutes leurs nuances et ressentiments réciproques, firent ce qu’ils avaient toujours su faire le mieux – trahir. Ils collaborèrent immédiatement avec l’ennemi, au nom d’une fumeuse « régénération française ».

Marine Le Pen, qui s’était tenue silencieuse pendant ces semaines sanglantes, sortit enfin de sa réserve et, le 22 juillet à 11h45, alors que les troupes étrangères approchaient déjà de Paris, dans une allocution solennelle, condamna fermement Emmanuel Macron, selon elle « seul responsable de cette situation apocalyptique ». Elle appelait à ce qu’il se démette de lui-même afin de permettre le retour à l’ordre dans le pays, et se disait « prête à assumer la lourde charge de redresser le pays, en coopération étroite avec les pays venus soutenir la France ».

Deux heures plus tard, elle reçut très discrètement une délégation menée par Houria Bouteldja. Cette invitée surprenante avait une jambe dans le plâtre en raison, officiellement, d’une chute dans un escalier, ce que, en ces temps troublés, personne ne croyait – sans doute, se disait-on, la passionaria du décolonialisme avait-elle participé à maintes émeutes, s’était battue contre la police, avait organisé plusieurs attentats… et avait été blessée en risquant ainsi sa vie au service de son idéologie – et pourtant, c’était vrai : attisant la haine qui faisait son fonds de commerce mais laissant aux autres les risques physiques, elle avait bêtement glissé dans les escaliers de son cossu duplex. L’égérie indigéniste se présentait à Marine Le Pen avec une douzaine d’anciens cadres et élus de LFI et EELV, parmi lesquels se comptait toute la jeune garde anciennement mélenchoniste qui, depuis presque deux ans et le pogrom du 7 octobre 2023 en Israël, s’était illustrée par un antisémitisme débridé. La rencontre dura longtemps. Chateaubriand en aurait ricané – tout à coup, une porte s’ouvrit : sortit silencieusement la haine appuyée sur le bras de la perfidie, Houria Bouteldja soutenue par Marine Le Pen. Derrière, les visiteurs de l’après-midi suivaient, détendus et rigolards.

Au même moment, un avion privé décollait de l’aéroport du Bourget. À son bord, Emmanuel Macron, accompagné de Brigitte et de quelques intimes, sirotait une camomille en regardant disparaître la France. Une nouvelle vie l’attendait en Californie, loin, très loin de tous ces emmerdements. Une vie tout à fait confortable, assurée par l’accord passé la veille avec Donald Trump. Pourquoi aurait-il hésité ?

De leur côté, l’avancée des armées coalisées se poursuivait sans rencontrer la moindre opposition. Que l’armée française, malgré la compétence et l’abnégation de ses hommes, fût aussi facilement défaite n’était qu’une demi-surprise – depuis des années, son délabrement pointait derrière les simulacres des politiques. Quant au ralliement immédiat des milieux d’affaires à ceux qui paraissaient les plus forts, il était plus prévisible encore : la volonté de préserver leurs intérêts n’avait rien de nouveau et pouvait même, d’une certaine façon, s’avérer rassurante dans son habituelle mesquinerie vinaigrée. La perspective cynique de reprendre très rapidement le business as usual, doublée de l’ouverture d’opportunités inédites dans le « monde d’après » (« il y aura toujours de bonnes affaires à faire » devint un leitmotiv), entraîna l’enthousiasme des élites déracinées, pour qui la nature du pouvoir politique n’avait d’intérêt que proportionnellement à sa mansuétude envers ceux qui dévouaient leur vie à faire du pognon. L’aveulissement ne connaît aucune limite.

En revanche, l’apathie générale du peuple français, presque pressé d’embrasser la potence, dépassait toutes les attentes, et ne s’expliquait pas seulement par le choc des récents événements. En réalité, il n’y avait simplement plus de démocrate pour défendre la démocratie, plus de républicain pour défendre la République, plus personne pour défendre la France parce qu’il n’y avait plus de Français pour posséder une conscience, une compréhension intime de la signification de la patrie. Nul Clemenceau ne sauva la France ; nul de Gaulle ne se leva pour la secourir. La France n’était plus qu’une ruine grise entourée de ronces. Les temps funestes de colère et de sang paraissaient déjà passés, dans l’ennui et les affects tristes. La marche à l’échafaud touchait à sa fin.

Même dans la France périphérique, où demeuraient les derniers à n’être pas tout à fait déracinés, l’amour sacré de la patrie avait disparu, englouti sous le flot d’images d’instagram et de tiktok. Ne subsistait partout qu’un peuple d’enfants incultes, de Narcisses obnubilés par la satisfaction immédiate de leurs désirs. Un peuple fatigué, qui en avait assez de ces semaines de violence, assez de la politique et qui n’aspirait qu’à la tranquillité de la vie quotidienne, qu’à retrouver ses écrans et ses loisirs, qu’à s’oublier dans les divertissements narcotiques et le spectacle hypnotique.

On ne trouvait plus trace de la France, ni dans le peuple qui vivait dans ses frontières et s’enfonçait sciemment dans l’obscur, ni dans les élites qui se débarrassaient d’elle comme un insecte le fait d’une peau devenue trop étroite pour lui. Il ne restait plus rien des enfants des rues parisiennes ou lyonnaises prêts à mourir dans un éclat de rire et de fer sur les barricades pour un mot, une idée – Liberté –, rien des fils des campagnes et des filles des villages des provinces et des départements français, rien des héritiers des révolutions de 89, 93 et de tout le XIXe siècle, rien des Communards, rien des hussards noirs et de leurs élèves, rien des Poilus et des Résistants. Il ne restait rien de l’âme française qu’un fantôme ombreux, qu’un goût de cendre. Il ne restait rien de la France.

À suivre…

Cincinnatus, 29 janvier 2024

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Cincinnatus

Moraliste (presque) pas moralisateur, misanthrope humaniste, républicain râleur, universaliste lucide, défenseur de causes perdues et de la laïcité, je laisse dans ces carnets les traces de mes réflexions : philosophie, politique, actualité, culture…

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