Les exclus du monde

À la porte de l’éternité, Vincent van Gogh (1890)

Vous qui êtes trop vieux pour « sortir de votre zone de confort », vous qui n’avez pas les moyens matériels de vous payer une connexion, vous qui ne souhaitez pas vous faire greffer un téléphone à votre main, vous qui n’avez pas envie d’être asservis à des gadgets technologiques ou qui, tout simplement, ne savez pas comment ils fonctionnent, vous qui êtes malades, bancroches, handicapés, blessés, fatigués, cacochymes, valétudinaires, pauvres, mal-foutus ou pas foutus-du-tout, trop-lents dans un monde trop rapide, vous tous qui ne voulez pas ou ne pouvez pas vous plier pas aux diktats de cette modernité tyrannique et n’entrez pas, par volonté ou nécessité, dans ses cadres, dans ses petites boîtes formatées, comme autant de lits de Procuste ; alors même qu’on nous bassine avec « l’inclusivité », ce barbarisme de la novlangue bien-pensante et moralisatrice, vous n’êtes pas seulement exclus de l’espace public privatisé, de ces territoires que les élus et les mafieux choisissent de réserver à leurs clientèles, à ceux qui leur ressemblent ou les servent : vous êtes exclus du monde lui-même.

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La table rase

Portrait d’un vieillard et d’un jeune garçon, Domenico Ghirlandaio (1490)

En apparence, nihil novi sub sole : la guerre des Anciens et des Modernes, des vieux cons et des jeunes imbéciles, n’a jamais cessé et, génération après génération, le recyclage infini des postures fait des révolutionnaires d’hier les réactionnaires d’aujourd’hui. Il faut néanmoins délaisser l’écume pour s’intéresser aux profondeurs : la fracture générationnelle qui traverse notre société peut alors montrer quelques aspects inédits, tant dans sa nature que dans son ampleur. Rupture technologique, inculture assumée et volonté d’éradiquer symboliquement tout ce qui a précédé parce qu’identifié au Mal absolu convergent pour alimenter le fantasme de la tabula rasa.

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Des racinés

Racines d’arbres, Vincent van Gogh (1890)

Lorsque vous avez été déraciné autant de fois que moi, le problème des racines devient une question de sacs de voyage dans lesquels vous les transportez.
Romain Gary, L’affaire homme

Sommes-nous donc des arbres pour, sans cesse, être ramenés à nos « racines » ? La métaphore arboricole me semble toujours suspecte. D’autant plus lorsqu’elle se fait insulte. Ainsi de ces Français « de souche » (on reste dans le forestier) qui se voient requalifiés en « souchiens » dans un petit kakemphaton aussi méprisant que peu subtil. Leurs « racines », parce qu’elles ne seraient que françaises, en seraient infamantes ; au contraire des autoproclamés « racisés » dont les racines, parce qu’elles seraient étrangères, seraient nécessairement glorieuses – et peu importe d’ailleurs qu’elles soient largement fantasmées. Racinés contre racisés : l’affiche fait frémir d’une guerre des identités, des appartenances et des allégeances.

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Les vieux

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Vous le verrez peut-être,
Vous la verrez parfois
En pluie et en chagrin
Traverser le présent.
En s’excusant déjà
De n’être pas plus loin.

(Jacques Brel, Les Vieux)

Le plus difficile, on pourrait croire que c’est la solitude. Mais vous savez, même à ça, on s’habitue. Enfin, on essaie, puisqu’on n’a pas le choix. Lire la suite…

« Ok boomer ! »

china2 - Copie2Les deux mots claquent. L’expression, à la mode depuis un bout de temps maintenant, sert à mettre fin à la conversation en disqualifiant l’autre au nom de son appartenance à une génération qui n’a plus que le droit de la fermer. Contre les enfants du baby-boom et, par extension, toute personne qui ose avancer un point de vue perçu comme « rétrograde » ou « réactionnaire », c’est-à-dire simplement différent (les idées ont-elles un âge ?), l’insulte se veut humiliation définitive, intimant l’ordre de se taire à celui dont toute parole est a priori invalidée, délégitimée, méprisée [1].
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