Le temps métrisé

Vanité, Philippe de Champaigne (vers 1645)

je vais vite très vite
j’suis une comète humaine universelle
je traverse le temps
je suis une référence
je suis omniprésent
je deviens omniscient
L’homme pressé, Noir Désir (1997)

Tu es un homme pressé. Très pressé. Obsédé par la performance dans tous les domaines, tu ne perçois le temps que comme une donnée purement quantitative qu’il te faut assujettir, quoi qu’il en coûte. Parce que le temps, ça coûte : c’est de l’argent. Le culte du dieu-pognon, religion partagée par tous, t’impose sa Loi, « TU NE PERDRAS PAS DE TEMPS », avec en note de bas de table, en police taille 2 : « tout temps perdu sera facturé selon le barème défini dans les conditions générales d’utilisation, etc. ».

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L’intelligence sous-traitée

Metropolis, film culte de Fritz Lang (1927)

Nous sommes de plus en plus cons. C’est pas moi qui le dis, c’est statistique, scientifique, quantifié, sourcé et démontré : le QI moyen s’effondre. En même temps©, le nombre de « hauts potentiels intellectuels » (HPI) autodiagnostiqués – parce qu’on n’est jamais si bien servi que par soi-même – explose : preuve irréfutable de l’extension du domaine de l’imbécillité !

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L’inculture plastronnante

Nous avons sans doute sous les yeux les générations les plus stupides de l’histoire. Et les plus incultes. Il y en aura toujours pour me rétorquer que c’est ce qu’on disait déjà dans l’antiquité et que tous les misanthropes ont jugé leurs contemporains avec la même sévérité. Certes. Peut-être, après tout, les deux propositions sont-elles vraies simultanément – ce qui rendrait plus dramatique encore la première. Quoi qu’il en soit, un phénomène bien caractéristique de notre sinistre « modernité », « postmodernité » ou que sais-je encore, tient probablement dans cette fierté de la sottise, dans cette arrogance de l’inculture qui s’étalent et s’affichent partout et tout le temps. Non seulement aucune honte n’est plus attachée à ce qui, hier encore, était considéré comme des défauts dignes de raillerie ; mais on assume et on se rengorge même de sa propre connerie, devenue valeur positive. S’il existe encore, dans deux ou trois siècles, quoi que ce soit qui fasse office d’historiens, si la raison humaine n’est pas, alors, enfouie dans les abysses de l’idiocracie, pour reprendre le titre d’une pochade américaine, alors quel regard porteront nos descendants sur nous ?

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L’indécence commune

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Eric Arthur Blair, alias George Orwell

Le peuple serait doué d’une forme de morale intuitive lui permettant de distinguer « ce qui se fait » et « ce qui ne se fait pas » [1]. Telle est la thèse, ainsi outrageusement résumée, derrière la notion de « décence commune », chère à George Orwell et reprise par Jean-Claude Michéa. Toute l’œuvre du premier est parcourue par cette conviction que le peuple – au sens, ici, des classes laborieuses, singulièrement les ouvriers – possèderait cette capacité viscérale de s’orienter et de choisir entre le Bien et le Mal, entre le juste et l’injuste, entre, surtout, le décent et l’indécent – capacité que les classes supérieures auraient, quant à elles, perdue. Orwell, le socialiste antitotalitaire, increvable défenseur des plus misérables, irréprochable humaniste, défend toujours et partout la dignité humaine – c’est à travers ce prisme, je pense, qu’il faut comprendre cette notion de « common decency » : la dignité pour seul horizon et seul combat [2].
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L’effondrement de l’instruction

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En classe, le travail des petits, Jean Geoffroy (1889)

L’école. Encore l’école. Comme si je n’avais pas déjà tout dit à ce sujet [1]. Eh bien non. Parce que, pour un républicain, l’école sera toujours la matrice de toute réflexion politique.
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La culture de l’avachissement

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Jeune Décadente, Ramon Casas (1899)

Il est parti tôt et a sauté dans son Uber pour être chez lui au plus vite. Effondré sur son canapé, les yeux rivés sur une série Netflix dont il absorbe une saison entière d’affilée en la commentant sur Twitter, il attend son Deliveroo. On sonne à l’interphone, il grommelle, contraint de faire une pause au milieu de l’épisode – bah, il en profitera pour aller pisser – et va ouvrir. Hélas, ce n’est pas l’arrivée tant espérée de sa pitance toute prête qui lui réclame cet effort physique difficilement surmontable, ni le colis Amazon contenant le précieux nouveau gadget qu’il attend depuis deux jours (il va leur mettre une mauvaise note, ça leur fera les pieds), mais la livraison de ses courses, depuis le supermarché à deux cents mètres de chez lui. Il récupère les sacs, dans un échange minimal avec le livreur, les dépose au milieu de la cuisine et retourne à son épisode et à ses followers – il pissera plus tard.

*

La culture de l’avachissement est le soubassement anthropologique qui permet l’épanouissement de la « société de l’obscène » que j’ai décrite ailleurs. Elles forment les deux faces de notre modernité. Alors que l’esprit de grandeur fut vanté comme idéal de noblesse humaine, dorénavant, l’esprit de petitesse domine en tant que modèle de la vie bonne.
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