Une bonne guerre ! 2. La nuit la plus longue

Le Siège de Paris, Ernest Meissonnier (1884)

Lundi 23 juin 2025, après-midi

À peine trois heures après l’événement, les députés reprirent leurs travaux dans une ambiance apocalyptique. En ouverture, la condamnation de l’attentat par la présidente de l’Assemblée fut unanimement acclamée sur tous les bancs. Néanmoins, à peine les applaudissements terminés, dans un chaos sonore rarement entendu sous la Ve, le gouvernement fut interpellé de tous les côtés de l’Hémicycle. Sommé par la représentation nationale de donner des nouvelles de la santé du Président et de dire si, comme prévu par la Constitution, l’intérim allait être confié au président du Sénat, François Bayrou, tendu et agressif, répliqua quelques mots cinglants à propos de l’irresponsabilité de ses adversaires, refusa de répondre aux questions des parlementaires et quitta la séance au bout de seulement quelques minutes, sous les huées des oppositions. Les députés macronistes eux-mêmes étaient consternés. Le ministre de l’Intérieur prit la suite et, à son tour, esquiva toutes les questions, prétextant le secret de l’enquête. À droite comme à gauche, les députés manifestèrent leur colère au point que la séance fut rapidement levée.

À peine rentré à Matignon, François Bayrou s’enferma, seul, dans son bureau. Après avoir passé ses nerfs sur une tisane à la camomille, il se décida à prendre son téléphone.

On peut parler ?
– Oui, c’est bon.
– Ça va être compliqué de tenir. Tu as vu comment ça s’est passé à l’Assemblée ?
– Oui, j’ai vu. Mais on ne peut rien dire à personne… et surtout pas à Yaël ! Il faut attendre. Et bien sûr ça va être dur.
– Je sais, Gérard, je sais. Mais c’est de la folie, c’est une vraie cocotte-minute et on doit encore augmenter le feu. Tout va péter. Tout va péter !
– Attends, t’imagines la pression qu’on me met de mon côté ? Ils sont déjà tous venus me voir. Tous. Ils font la queue devant mon bureau. Ils n’ont que la Constitution à la bouche alors qu’aucun de ces crétins ne l’a lue. Ils s’imaginent tous en de Gaulle en 58… ils n’ont rien compris.
– Pareil chez moi, c’est la panique à tous les étages. Bruno m’a laissé soixante messages en trois heures ! Attends… soixante-et-un. Lui, il se prend pour Giscard en 74, manque plus que l’accordéon… cela dit, il pourrait finir comme l’autre à l’Académie avec ses romans pornos !
– Laisse tomber. Il faut temporiser. On a dit ok pour deux jours, maximum trois. Après…
– C’est une connerie, Gérard, enfin ! On va pas y arriver !
– On n’a pas le choix. Trois jours. Maximum.
(Silence)
– Allez, j’y retourne. Bon courage avec les tiens !
– Moi aussi, j’y vais. Amuse-toi bien avec les tiens !

Hors de l’Assemblée, Jean-Luc Mélenchon fut le premier à dégainer avec un discours-fleuve aux accents tribuniciens largement surjoués. Après avoir (très) rapidement condamné l’attentat dont avait été victime Emmanuel Macron, le chef de LFI se lança dans de longues considérations sur la Révolution française. Il improvisait en direct, seul derrière son pupitre. Contrairement à ce qu’il espérait, ses effets rhétoriques, ses vociférations et ses références historiques plus approximatives qu’à son habitude donnaient à sa prestation un aspect bien moins énergique que brouillon. Les nuées s’amoncelaient au-dessus du vieux matamore, sa voix annonçait la tempête. Enfin, emporté par un élan lyrique mal contrôlé, son discours bascula.

Dans cette situation inédite de sang et de chaos, dans cette République corrompue, dans cette démocratie abolie, il ne subsiste plus pour le peuple français qu’un seul espoir. Que le peuple sache qu’aujourd’hui comme hier, je me tiens à ses côtés, à son avant-garde. Ma main ne tremble pas. Françaises, Français, je suis prêt. Je suis prêt à assumer mes responsabilités. Je suis prêt à restaurer l’ordre au service de l’intérêt général. Je suis prêt à rendre au peuple la justice qu’il réclame. Je suis prêt à incarner la volonté générale. Comme en d’autres temps, le peuple doit se soulever contre ses ennemis. Lorsque la République est en danger, il faut savoir prendre les armes. Avec moi, je vous appelle à sortir dans les rues ! Avec moi, je vous appelle à l’insurrection civique ! Avec moi, je vous appelle aux barricades ! Avec moi, je vous appelle à la prise de pouvoir populaire !

Il n’en fallut pas plus pour provoquer une levée de boucliers – parfois très opportuniste – rassemblant non seulement tous les partis du centre et de droite, mais également les alliés écologistes et socialistes du mouvement mélenchoniste. Et à l’intérieur même de son propre parti, une douzaine de figures de premier rang publièrent dans la foulée et Libération une tribune dans laquelle ils regrettaient que leur « cher Jean-Luc » se fût « laissé emporter » et entretînt « un dangereux climat factieux ». Ainsi publiquement tancé par ses propres troupes, à peine soutenu par un quarteron de fidèles qui voyaient le navire insoumis chavirer sur les esquifs de ses provocations, Jean-Luc Mélenchon découvrit son isolement. Son appel à l’insurrection fit pschitt ; lui-même s’enferma dans le mutisme du ressentiment.

Dans son bureau à l’Assemblée, Marine Le Pen était pendue à son téléphone depuis la fin de la séance. Toute sa garde rapprochée se serrait dans la pièce d’à côté, seul Jordan Bardella se trouvait avec elle. Enfin, elle raccrocha et les fit entrer. Tout le monde attendait qu’elle prît la parole. Celle que tous les sondages annonçaient comme la future présidente de la République se taisait. Un conseiller, mal à l’aise, rompit le silence, sous les regards réprobateurs de l’aréopage.

On pourrait peut-être faire une conférence de p…

Fusillé du regard par la chef, sa phrase se perdit dans un bredouillement et il se rassit, penaud. Enfin, elle parla.

Vous savez ce qu’on va faire ? Rien. On ne va rien faire. On ne va rien dire.
– Mais enfin, se récria un autre conseiller, c’est du pain béni pour nous, ce « Allahou Akhbar ! » ! Il faut en profi…
– Ta gueule !, l’admonesta Jordan Bardella.
– On ne va rien faire, reprit Marine Le Pen. On ne va rien dire. On va faire comme la semaine dernière. Juste un communiqué de presse : « Comme l’ensemble des Français, le Rassemblement national s’inquiète de la situation gravissime de la France et de l’état de santé du président de la République. Comme l’ensemble des Français, le Rassemblement national veut la vérité, maintenant. » C’est tout. Pas un mot de plus. Et faites passer le mot : personne ne tweete, personne ne montre sa tête à la télé, personne ne répond aux journalistes. Personne. Compris ?

Lundi 23 juin 2025, soir

Les autres partis politiques, quant à eux, craignant pour leur image après les échauffourées à l’Assemblée, publièrent des communiqués de presse pour condamner l’attentat et appeler à ce que la situation revînt le plus rapidement possible à la normale. Même Éric Zemmour et Marion Maréchal, qui jouissaient d’une couverture médiatique très favorable depuis leur succès improbable aux élections européennes de 2024 – plus de 12 % des voix – choisirent de patienter. Ils savaient qu’ils pourraient tirer avantage de la situation s’ils jouaient correctement et ne voulaient pas se précipiter. Il se contentèrent de s’inviter sur quelques plateaux de télévision pour répéter les « éléments de langage » qu’ils avaient testés sur les réseaux sociaux dans la foulée de l’attentat. Ainsi purent-ils afficher leur « profonde préoccupation devant l’islamisation de la société et l’importation critique d’une culture de la violence qui vient de démontrer tragiquement qu’elle n’est pas compatible avec la nôtre… ».

Grande nouveauté depuis les débuts de l’ère macroniste, le gouvernement ne communiquait pas. L’absence complète d’information qui entourait l’état du Président paralysait toute la classe politique. Chacun retenait son souffle, tétanisé à l’idée qu’un seul mot suffît à faire s’effondrer le pays.

À l’étranger, tous les chefs d’État publièrent officiellement des lettres de soutien plus ou moins sincères – à l’exception notable et notée de Vladimir Poutine, qui ne fit aucun commentaire. Le chancelier allemand, pour sa part, attendit vingt-quatre heures pour prononcer un discours à la télévision… dont quelques ambiguïtés furent instantanément relevées. Une phrase en particulier fut largement commentée, tant ses différentes traductions et interprétations laissaient planer les doutes :

Les divisions récentes, dues à l’esprit gaulois que l’on connaît et que l’on peut apprécier lorsqu’il choisit correctement ses cibles, ne doivent pas faire oublier que la France a souvent pu être un précieux allié pour l’Allemagne, jusqu’à récemment.

Jeudi 26 juin 2025

Suivirent trois jours de flottement. Les réseaux dits sociaux bruissaient de tout et surtout n’importe quoi. Les fausses informations pullulaient, rendant inaudibles les vraies. Les complotistes s’en donnaient à cœur joie. Tous les scénarios, y compris les plus farfelus, étaient envisagés et discutés le plus sérieusement du monde : le tireur prenait tour à tour les traits d’un islamiste, d’un gilet jaune, d’un black bloc, d’un skinhead, d’un chasseur bourré, d’un indépendantiste bourguignon, d’un Tchétchène commandité par la Russie, d’un agent du Mossad ou de la CIA, d’un franc-maçon, d’un Illuminati, d’un Reptilien…

Les trolls allemands et russes qui avaient été en pointe de la campagne de désinformation la semaine précédente montèrent encore en puissance. Les montages se multiplièrent à l’infini. Les journalistes ne dormaient plus, les éditocrates se perdaient en conjectures, pendant que les témoignages les plus délirants et les vidéos trafiquées passaient en boucle sur toutes les chaînes de désinformation en continu.

Le standard de l’Élysée renvoyait vers un message laconique invitant à rappeler ultérieurement. La Bourse avait été fermée dès le 23 après-midi. L’économie fonctionnait au ralenti. Alors que le ministère de l’Intérieur craignait une flambée de violence, aucun incident n’avait été signalé. Le pays vivait en apnée, l’ambiance générale était d’une lourdeur suffocante. Le maelstrom des images qui défilaient frénétiquement sur tous les écrans contrastait avec le calme irréel des rues. Les gens menaient leurs activités, en apparence normalement, mais dans un silence général plus pesant que toute l’agitation habituelle. Dans toutes les villes, des manifestations s’organisaient spontanément, dont le seul slogan, scandé d’une voix sourde dans une tension retenue, réclamait :

La Vérité Maintenant !

L’explosion menaçait d’autant plus qu’elle tardait à venir.

À 19h45, chaînes de télévision et stations de radio reçurent un message sibyllin du secrétariat général de l’Élysée. Toutes les antennes seraient requises à 20h pour une adresse officielle aux Français depuis l’Élysée. Cette annonce provoqua dans toute la France un soulagement – enfin il se passait quelque chose.

À 20h, il y avait encore plus de Français devant leurs écrans que lors du mémorable fiasco de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Paris qui avait coûté à Anne Hidalgo sa mairie, à peine un an plus tôt. Comme à l’accoutumée, les premières notes de la Marseillaise retentirent sur l’image du palais présidentiel… avant qu’apparaisse Emmanuel Macron, le teint cireux, les traits tirés, le bras gauche en écharpe. D’une voix caverneuse et dénuée d’émotion, le président de la République, connu pour ses longs discours à l’arrogance toute technocratique, ne lut que quelques phrases sur le prompteur, semblant peser chaque mot, le regard fixé vers la caméra.

Mes chers compatriotes,
Il y a trois jours, j’ai été la victime d’une tentative d’assassinat. Par chance, la balle n’a touché que mon bras. L’enquête progresse très vite et nous avons d’ores et déjà accumulé suffisamment de preuves pour savoir sans l’ombre d’un doute qui se cache derrière cet acte d’une gravité sans précédent.
Une période difficile s’ouvre devant nous. Mais nous allons faire face, ensemble, et en sortir victorieux. Plus que jamais la solidarité nationale doit prévaloir. Nous devons nous rassembler comme nous avons su le faire aux pires moments de notre histoire.
Mes chers compatriotes…
(silence)
la Russie vient de déclarer la guerre à la France.

Jeudi 26 juin 2025, 20h15

T’es vraiment sûr que c’était une bonne idée ?
– Putain, Brigitte, ils ont essayé de me buter !
– Oui, oui… mais tu viens peut-être de déclencher la Troisième Guerre mondiale, quand même.
– Et alors ? Rien à foutre ! C’est Poutine qui a commencé, d’abord ! Maintenant il va falloir qu’il assume ! Comme des cons, on lui a lâché l’Ukraine. Doha, c’est notre Munich. Maintenant il se croit tout permis, ce salopard. Même me tuer ! ME TUER !
(Silence)
– De toute manière, tout le monde va s’unir derrière moi. Il ne pourra rien faire !
– Tu crois ? Mais… les Allemands ?
– S’ils ne veulent pas que je révèle leur alliance avec l’autre ordure, ils vont devoir venir me bouffer dans la main, ces connards. La preuve ? Regarde : j’ai toujours pas de réponse de ce faux-derche de Steinmeier… il doit être en train de faire dans son froc !
– J’espère… j’espère…

Une heure plus tard, un Conseil des ministres exceptionnel fut convoqué à l’Élysée. La cour du palais présidentiel grouillait de journalistes ; aucun membre du gouvernement ne s’attarda à répondre aux questions qui fusaient. À peine une demi-heure après leur arrivée, la plupart des ministres quittèrent l’Élysée, encore une fois sans un mot ni un regard pour le parterre de journalistes. Les visages, sombres à leur arrivée, étaient sinistres à leur départ.
Et puis l’on installa un pupitre dans la cour, autour duquel on rassembla les journalistes. Le secrétaire général de l’Élysée s’avança et prit la parole.

Compte tenu de la situation sécuritaire gravissime que connaît notre pays, le Conseil des ministres a pris la décision d’appliquer l’article 36 de la Constitution du 4 octobre 1958 et de décréter l’état de siège sur tout le territoire national. À partir de ce soir minuit, l’armée est appelée à se déployer partout en France pour assurer le maintien de l’ordre. Cette décision, nécessaire à la sauvegarde de la nation, s’accompagne de la mise en place d’un couvre-feu strict à partir de 20h et de la fermeture des frontières nationales.

La déclaration explosive du Président français déclencha une réponse du Kremlin, elle aussi à la télévision. Dans son discours, Vladimir Poutine balaya les « élucubrations de M. Macron », les qualifiant de « fausses informations et de provocation stupides et arrogantes destinées à relancer sa carrière politique minable ». Comme à son habitude, il émailla son intervention de termes orduriers qui ne choquaient plus personne, se répandit en insultes contre « la décadence occidentale » dont la France, « ce pays de dégénérés geignards, efféminés et prétentieux », était le plus « méprisable représentant », et annonça, en représailles, que dorénavant la Russie ne vendrait plus aucun produit ni aucune matière première à la France, par quelque biais que ce soit, que toutes les entreprises françaises et tous les citoyens français sur le sol russe devraient rentrer chez eux dans les vingt-quatre heures et que tous les avoirs français en Russie étaient gelés. Enfin, après de longues digressions, railleries envers Emmanuel Macron et injures contre la France et les Français, une phrase fit sensation :

… quoi qu’il en soit, une France islamiste sera toujours plus virile que les lopettes actuelles.

Pendant que Vladimir Poutine pérorait, le téléphone du Président sonna. Emmanuel Macron, entouré de son conseiller diplomatique, du directeur général de la Sécurité intérieure, du chef d’État-major, du Premier ministre et des ministres des Armées et de l’Intérieur, inspira profondément et mit le téléphone sur haut-parleur en décrochant. Il n’eut même pas le temps de saluer son homologue américain. Donald Trump se contenta de prononcer trois phrases :

Nous ne bougerons pas. Tu es seul. Fais ce que tu veux mais ne pense même pas à tes bombes nucléaires, même pour faire semblant.

Et il raccrocha.

Le conseiller diplomatique, le nez dans les dépêches qui tombaient à rythme régulier, résuma la situation internationale au Président : l’Union européenne et les alliés de la France, dans un bel ensemble harmonieux, faisaient part de leurs graves inquiétudes mais enchaînaient euphémismes et circonlocutions alambiquées pour proclamer leur neutralité dans un conflit qui, disaient-ils, ne les concernerait pas.

Le directeur général de la Sécurité intérieure prit la parole alors que le chef d’État-major consultait ses notes et que les membres du gouvernement semblaient tétanisés :

Monsieur, ça a commencé… et… c’est pire que ce qu’on attendait.
– Allez-y.
– Comme vous le savez, depuis plusieurs mois, les milieux djihadistes s’agitent et se préparent à un gros coup…
– Oui ! Et on a bien vu ce que c’était, ce « gros coup » !, l’interrompit Emmanuel Macron en se massant le bras gauche, visiblement furieux.
– Euh… en fait, Monsieur, l’attentat contre vous, même s’il a nécessité beaucoup de moyens, n’était sans doute pas leur objectif principal…
– Je sais, je sais : la déstabilisation commanditée par les Russes, je sais…
– Monsieur, c’est bien pire que ça. Ce soir, toutes les mosquées sous surveillance, salafistes, fréristes… toutes, quelle que soit leur obédience, ont appelé en même temps au djihad contre la France. Toutes les cellules sont réveillées. Monsieur, des attaques sans précédent sont en train de se préparer et les quartiers commencent à bouger. La situation est critique.

Le chef d’État-major poursuivit :

Et du côté russe, les mouvements s’intensifient. Nous avons intercepté une nouvelle cargaison d’armes et de drones…

À suivre

Cincinnatus, 22 janvier 2024

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Cincinnatus

Moraliste (presque) pas moralisateur, misanthrope humaniste, républicain râleur, universaliste lucide, défenseur de causes perdues et de la laïcité, je laisse dans ces carnets les traces de mes réflexions : philosophie, politique, actualité, culture…

Une réflexion sur “Une bonne guerre ! 2. La nuit la plus longue”

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