À la télé ce soir

Il y a quelque chose de pourri dans l’audiovisuel public. France Inter, France Info, France 5, Arte… et même France culture : les chaînes de télévision et radio du service public semblent avoir renoncé à l’impartialité et à l’objectivité pour se vautrer dans l’idéologie.

Journalistes mais aussi intervenants réguliers, éditorialistes installés, invités ponctuels, analystes aux titres aussi ronflants que fumeux et surtout « experts en toutologie » (ces spécialistes de tout et surtout de rien dont le seul objectif est d’occuper l’écran pour vendre leur camelote idéologique en dégoisant continûment des inepties, des platitudes ou des mensonges sur tous les sujets et avec encore plus d’assurance et de gourmandise malsaine lorsqu’ils interviennent dans des domaines pour lesquels ils n’ont pas l’ombre d’une compétence ni d’une légitimité autre que celle que ces usurpateurs se voient offrir par ces chaînes complices) : l’écrasante majorité des discours politiques et culturels que l’on peut entendre dans ces émissions sonne comme la répétition infinie des mêmes phrases creuses, puisant toutes à la même source idéologique – la famille de pensée politique que j’appelle « identitarisme de gauche » et que l’on peut aussi qualifier, selon les nuances, de « gauchisme culturel », wokisme, islamo-gauchisme, etc.

Le psittacisme de France Inter ne reprend son souffle que deux minutes et demi le jeudi matin pendant l’excellente intervention d’Anne Rosencher. Le reste du temps ? Un déferlement de propagande dont la finesse aurait fait rougir Jdanov. Quant à France Culture, jadis référence en termes d’exigence intellectuelle, en-dehors d’une poignée d’émissions qui résistent encore – utilisées comme caution pour maintenir un semblant de verticalité à un « pluralisme » subclaquant –, elle paraît devoir servir de complément (encore plus) snob à France Inter, tant elle ouvre, elle aussi, grand ses bras et ses antennes aux délires de l’identitarisme.

Mais il y a peut-être pire : France Info ! Même le téléspectateur le plus distrait, ayant zappé par erreur sur la chaîne d’information en continu du service public français, sera forcé de reconnaître le traitement biaisé que l’information y subit. Exemple parmi les plus frappant, la couverture du pogrom du 7 octobre et de la guerre menée par Israël pour détruire le Hamas et sauver les otages devrait être enseignée en école de journalisme : France Info s’est transformée en porte-parole du Hamas, relayant sans les vérifier les mensonges du mouvement terroriste, adoptant son vocabulaire, occultant sciemment toutes les informations qui n’allaient dans le sens d’une diabolisation d’Israël et donnant du grain à moudre à tous les antisémites de France. Mais sinon, tout va bien, l’islamo-gauchisme n’existe pas, nous dit-on !

De même, France 5 et Arte choisissent soigneusement leurs invités aux émissions de « talk-show », savant mélange de « débats » où tout le monde est d’accord, c’est plus pratique !, et de prêches ex cathedra (ou plutôt : de profundis) par une bande de curés froids au puritanisme répugnant. La plus emblématique en matière de plateaux idéologiquement conformes et uniformes est sans doute « C ce soir », malgré les interventions sporadiques, aussi bienvenues que courageuses, d’Anne Rosencher, toujours elle. Il serait toutefois injuste de ne pas décerner une mention spéciale à l’émission « C à vous » qui a récemment pris la tête de la course à la veulerie et à la saloperie en donnant carte blanche à un faux « humoriste » et vrai salafiste dont les dégueulis islamistes sur les réseaux dits sociaux sont bien pourtant connus – peut-être est-ce d’ailleurs cette partie de son CV qui a séduit la chaîne ?

Dans tous ces médias, la fiction du pluralisme est entretenue avec la présence savamment calculée d’invités qui font entendre des discours divergents… lorsqu’on les laisse parler. En effet, la mode est bien répandue de ces intervieweurs militants qui occupent plus de temps de parole que leurs invités devenus simples faire-valoir, font tout à la fois les questions et les réponses et utilisent leur position confortable sur l’Olympe journalistique pour dérouler tranquillement des discours politiques engagés.

Or le service public a des devoirs propres que l’on n’attend pas de groupes privés. Si je regarde CNews, LCI ou BFMTV, je sais à quoi m’attendre. Lorsque j’écoute France inter ou que je regarde France Info ou France 5, j’exige, légitimement, une objectivité, une éthique, une déontologie, une impartialité, une neutralité. Autant de gros mots qui font rire dans les rédactions. Non, d’ailleurs… qui ne font pas rire : qui sont vidées de leur substance.

Soit les journalistes, humoristes et autres éditorialistes de ces chaînes n’ont pour seule conviction la très-haute opinion qu’ils se font d’eux-mêmes et, emplis de ce vide abyssal qui habite leur ego, déversent à torrents leur morgue et leur arrogance en jouant les petits fats devant des invités réduits à l’état de public de leurs médiocres guignoleries ; soit, cas plus navrant encore, ils se vivent eux-mêmes comme les preux chevaliers d’une croisade contre le Mal, vivent intensément leur certitude viscérale d’être les représentants opprimés du camp du Bien, les Gentils dans une lutte eschatologique contre les Méchants, et croient sincèrement que la défense de leurs causes absolument justes justifie leurs biais : c’est ce qui est bien avec l’idéologie, ça évite de penser.

C’est pourquoi la ligne politique « identitaire de gauche », surreprésentée chez LFI et EELV, voit ses meilleurs représentants politiques passer plus de temps dans les studios radio et télé du service public (où ils s’acoquinent si bien avec la faune locale) qu’à l’Assemblée nationale. Ses représentants les plus clivants pourraient même y réclamer une loge voire un bureau à leur nom tant leur exposition médiatique sur ces médias est inversement proportionnelle à ce qu’ils représentent dans le peuple. Avec des résultats catastrophiques : les Sandrine Rousseau, les Ian Brossat, les Marine Tondelier, les Aymeric Caron, les Mathilde Panot… et même, depuis le 7 octobre 2023, les Dominique de Villepin (devenu icône de la gauche-Hamas : on aura tout vu !)… tous ces imbéciles qui transforment leurs intérêts privés en discours politiques, leur inintelligence en moteur de leur activisme, leurs névroses en étendards et leur haine en programme sont invités presque tous les jours sur un plateau ou un autre, confirmant et renforçant l’idée d’un copinage, d’un entre-soi politico-médiatique coupé du peuple et de la réalité.

Le service public a là une responsabilité énorme : de par son statut et son autorité, il institutionnalise l’ignominie et, en retour, détruit à la fois l’institution et l’autorité. Bravo !

Vraie ou fausse, peu importe : l’image que donne de lui-même le service public audiovisuel est celui d’une clique petite-bourgeoise des centres-villes des métropoles, enfermée dans une ivresse d’entre-soi, qui confisque le rôle d’arbitre des élégances. Le « sociétal » est devenu un opium, un narcotique qui fait frétiller ces bobos déconnectés de la réalité. Le service public ne sert plus la nation mais juge le peuple. Le peuple, c’est moche, c’est sale et ça vote mal. Le déferlement de moraline culpabilisante, de jugements hautains, de mépris de classe présente à l’antenne un monde à ce point différent de celui que les gens voient tous les jours qu’il ne peut susciter que le rire ou le dégoût. Le mépris appelle le mépris et ces soi-disant élites à l’arrogance déplacée reçoivent leur dose (méritée) de la part de « ceux qui ne sont rien ». Qui écoute France Inter dans la France périphérique ?

Peu étonnant qu’une partie du peuple se détourne des France-Machin et préfère ceux qui le draguent, même lourdement – les chaînes du groupe Bolloré et CNews en tête. Qu’on l’aime ou non, la ligne éditoriale y est claire et assumée, la bataille culturelle et la guerre idéologique y sont menées sabre au clair et la propagande ne s’y embarrasse d’aucun cache-sexe : la grosse Berta est sortie (ce qui me rappelle le temps de Fox News, dont ma génération s’est beaucoup moquée à l’époque de Georges W. Bush). Mais si l’orientation générale – qui correspond, dans ma typologie des familles de pensée politique, à l’alliance entre « identitarisme de droite » et « néolibéralisme » – ne fait aucun doute, la parole est malgré tout laissée à d’autres points de vue de manière marginale. Juste ce qu’il faut, exactement comme en face. En profitant intelligemment du sectarisme de l’autre camp pour faire venir ceux qui subissent la censure des Torquemada de village.

Et que font ces derniers ? Comme d’habitude, ce qu’ils font le mieux : ils chouinent, ils excommunient, ils décernent des brevets en « extrême droite ». Il est absurde d’affirmer crânement, comme le font certains politiques cyniques ou idiots (la convergence des deux n’est pas exclue), que l’on devient d’extrême droite en regardant CNews. C’est une insulte à l’intelligence des gens et une surestimation bien niaise du pouvoir de la télévision et des médias. À la presse s’est ajoutée la radio, puis la télévision puis l’internet puis les écrans greffés à la main et les réseaux dits sociaux. La grand-messe du JT de 20h devant lequel le peuple communiait appartient au passé ; s’il ne faut sans doute pas y chercher un modèle idéal, on pouvait quand même y trouver un avantage : participer à la formation d’une culture commune, tisser les liens dans la nation. Ce monde a disparu au profit d’une fragmentation de l’espace public accompagnée de celle des sources d’information.

La concurrence des réseaux sociaux avec les médias traditionnels ne doit pas être surestimée : une grande partie du peuple français se désintéresse tout à fait de twitter/X et autres tiktok. Mais pas les journalistes qui y cherchent et trouvent leur agenda, et participent à la course effrénée au buzz. Or les réseaux dits sociaux, et dans leur foulée les médias traditionnels, fonctionnent à la fois comme autant de loupes déformantes qui grossissent exagérément l’anecdote et font disparaître tout ce qui n’entre pas dans leur champ, et comme des miroirs tendus à ceux qui se reconnaissent dans l’idéologie sous-jacente. La multiplication des sources va de pair avec la construction d’images communautaires du réel. L’effet spéculaire, première fonction de l’idéologie selon Ricœur, qui construit l’image du groupe, confirme et renforce les opinions individuelles et collectives. Dans l’information, je ne cherche pas la vérité mais, parmi les différentes présentations du réel, celle qui va conforter au mieux ma propre vision du monde et que je vais pouvoir partager avec la communauté réunie autour de cette présentation du réel. Les médias traditionnels y participent pleinement : CNews ne transforme pas le premier citoyen venu en horrible fasciste (pas plus que twitter ne transforme ses utilisateurs en adorateurs d’Elon Musk) mais la télévision peut encore avoir une influence réelle dans la mesure où elle rencontre un besoin – la présentation du monde par CNews est séduisante parce qu’elle répond aux questions et aux peurs de pans entiers de la population.

Nous avons dépassé le stade du « temps de cerveau disponible pour Coca-Cola », la culture de l’avachissement étant dorénavant suffisamment installée. Les stratégies de propagande des uns et des autres sont si visibles qu’elles accréditent et encouragent même un relativisme brutal – la vérité n’existe plus dans toute sa complexité, seules subsistent des interprétations concurrentes qui se posent toutes, par leur simplicité univoque, comme plus réelles encore que le réel. Chacun son territoire, chacun ses modes d’obtention de l’information, chacun ses chaînes, chacun sa Weltanschauung. Chacun ses morts. L’archipellisation de l’espace public a tout à voir avec celle de la nation. Les fractures se superposent et se renforcent : sociales, territoriales, générationnelles, etc. Les bulles d’entre-soi produisent une polarisation des opinions. L’astre mort de la discussion sanctionne la destruction du monde commun : plus de vérité commune et surtout plus de vérité du tout – seulement la multiplicité des mensonges plus séduisants. Les complotismes en tous genres ripaillent sur les ruines de l’espace public.

Le rôle des médias privés et des réseaux dits sociaux est délétère. Mais celui du service public de l’audiovisuel l’est plus encore parce qu’il a failli à sa mission la plus importante : œuvrer à créer un espace de libre partage de la parole, selon une éthique communément acceptée, qui respecte la diversité des points de vue sans sombrer dans un relativisme paresseux, qui évite soigneusement la confusion des faits et des opinions, et qui assume chercher avec honnêteté, par la discussion et l’exercice de la raison, une vérité que l’on sait toujours plus complexe et difficile à saisir.

*

Quant à nous, amis, que devons-nous faire ? Accepter ce monde crépusculaire sans nous y résigner. Et partout faire entendre notre petite chanson. De CNews à France Inter – où tous se réjouissent de ce mauvais jeu de rôle dans lequel chacun se complaît à interpréter le méchant de l’autre –, nous devons occuper tous les terrains pour lutter contre la dislocation de la nation. Et que tous les Français, quelle que soit leur chaîne de prédilection, puissent nous entendre.

Cincinnatus, 10 février 2025

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Cincinnatus

Moraliste (presque) pas moralisateur, misanthrope humaniste, républicain râleur, universaliste lucide, défenseur de causes perdues et de la laïcité, je laisse dans ces carnets les traces de mes réflexions : philosophie, politique, actualité, culture…

2 commentaires sur “À la télé ce soir”

  1. Non, mon grand âge me permet de de l’affirmer, l’état mental du service public de l’audiovisuel n’est pas pire aujourd’hui qu’il y a 40 ans. Existe il une petite étude sur : » « Les gauches, leurs différents rapports à l’être humain (nature de l’espèce?),réalisme (ou pas) ,propagande et manipulation  » depuis « les lumières » jusqu’à la révolution, de la révolution à la première guerre mondiale ,de celle ci a nos jours .La dernière période sera surement la plus savoureuse ….Il faudra faire de nombreux dossiers. 50 ans d’esprit de gauche en Europe …Le résultat est là. La droite perceptible n’ayant pas su être autre chose que conservatrice…

    Influence , propagande, communication, mensonges, escroqueries, tout est et sera toujours bon pour accéder aux pouvoirs et aux bénéfices qu’ils procurent.

    La droite(Laquelle ? ou ça ?) peut elle réagir , peut être va elle même redevenir à la mode…Education , instruction curieuse et critique ,responsabilité individuelle ,amour du risque donc de la vie, de l’être ?

    Il est peu probable que les « croyants » politiciens cèdent la place aux « croyants » animalo-humains conscient de l’être et réalistes.

    Le réalisme est inconfortable , personne n’en veut, à l’avenir les sociétés seront dirigées par des états forts appuyés sur des religions et sur des médias complaisants et serviles.

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