Another one bites the dust

Et un autre mord la poussière : Bayrou Premier ministre, c’est fini. Je ne me fais guère de souci pour lui : aussi écorché soit-il, l’animal politique saura panser ses plaies et retrouver à Pau ou ailleurs de quoi poursuivre sa vie politique. Comme son prédécesseur Barnier ; comme tant d’autres. Et pendant ce temps, nous continuons de nous enfoncer, toujours plus profond.

Une farce tragique

Alors que François Bayrou pouvait espérer la confiance de 210 députés « de son camp », il n’y en a eu que 194 pour la lui accorder le 8 septembre dernier. Réciproquement, 364 la lui ont refusée, quand l’ensemble des députés de gauche et du RN représente seulement 330 sièges. Un signe de plus – s’il en fallait vraiment – que le navire macronien prend l’eau de toutes parts et que ne demeurent sur le pont (ou dans les soutes) que le dernier carré de grognards, de groupies ou de désespérés.

Sébastien Lecornu en fait partie. L’apparatchik à qui Matignon avait échappé la dernière fois a finalement réussi à y prendre ses quartiers… pour combien de temps [1] ? Son gouvernement reste, à cette heure, inconnu mais la nomination de ce fidèle parmi les fidèles – venu à Macron après avoir trahi Fillon en plein milieu de sa campagne… comme tant d’autres – montre que le vivier des candidats, s’il ne se tarit jamais complètement tant les ambitieux et les arrivistes sont légion dans notre personnel politique, atteint dorénavant des abîmes rarement explorés et que la Macronie se rabougrit toujours plus. La fin de règne est décidément pathétique. Le spectacle politique hésite entre la farce et la tragédie, la farce sur scène et la tragédie dans la salle.

Beaucoup de bruit pour rien. Le psychodrame politique occupe l’actualité depuis la dissolution, si loin des préoccupations réelles des Français. Tous les camps hystérisent la situation pour tenter, avec une maladresse exemplaire, de resserrer les rangs derrière eux. Manipulations grotesques et propagande grossière : les partis, exsangues d’idées et incapables de parler au peuple, jouent sur les affects, cherchent à mobiliser leurs clientèles et bloquent volontairement la vie politique, chacun faisant le pari dangereux que le pourrissement sera sa chance et qu’il vaut mieux régner sur des ruines que ne pas régner du tout.

Alors ceux qui sont au pouvoir s’y accrochent comme des moules à leur rocher ; les autres attendent que le fruit tombe tout seul. De Gaulle n’aurait pas hésité une seconde après la dissolution : il aurait immédiatement démissionné. Mais nous n’avons plus de De Gaulle, ni même d’hommes d’État. Et la Ve République est morte. La Constitution a été à tel point modifiée que ses rédacteurs peineraient à la reconnaître ; mais surtout, l’utilisation qui en est faite aujourd’hui est si éloignée de l’esprit de ses origines que les appels à une VIe paraissent décalés : nous y sommes déjà !

L’incarnation de la fonction présidentielle a, bien entendu, beaucoup changé depuis le Général. Mais le passage au quinquennat avec l’inversion du calendrier électoral puis l’exercice du pouvoir par Nicolas Sarkozy ont achevé le basculement dans un nouveau régime. L’hyperprésident sarkozien a ouvert la voie à une concentration effective mais surtout symbolique du pouvoir qui lui ôte toute protection. Le fusible de Matignon ne protège plus l’Élysée. Et contrairement à ce qu’on aurait pu penser, cette exposition du Président le fragilise encore plus dans le cas actuel d’une tripartition de l’offre politique. L’Assemblée issue de la dissolution, divisée en trois blocs équivalents – dont deux se montrent eux-mêmes largement fracturés – n’offre aucune majorité claire. Si nous étions dotés d’une classe politique responsable et à l’intelligence minimale, le Parlement aurait pu se saisir de cette situation pour reprendre une position centrale, en s’imposant contre l’exécutif comme le lieu de construction des orientations politiques, par la discussion, la négociation et la mise en place de coalitions programmatiques.

Tango à trois

Au lieu de quoi, nous avons droit au jeu de dupes de trois camps retranchés qui renvoient chacun les deux autres au statut d’intouchable, et qui refusent toute discussion au nom de la radicalisation de leurs bases militantes respectives et de la pureté idéologique.

Le bloc « central », constitué des derniers macronistes et des rescapés de LR, regroupe toutes les nuances du néolibéralisme. Les politiques d’Emmanuel Macron depuis son élection s’inscrivent dans les pas de Nicolas Sarkozy (et le soutien immédiat que ce dernier a accordé à Sébastien Lecornu après sa nomination n’augure rien de bon), en pire puisque les digues que ce dernier avait fait sauter n’ont pas été rebâties par François Hollande, laissant le champ libre à l’hybris macronien. Le résultat est là. Les matamores singent le discours churchillien sur « les larmes et le sang », lancent des appels tonitruants à la responsabilité de tous comme prétexte pour imposer, encore, des efforts injustes et inefficaces, toujours aux mêmes. Comme le gouvernement de Michel Barnier, au prétexte de vouloir répondre au problème, réel et grave, de l’endettement de l’État, celui de François Bayrou a essayé de faire passer des mesures profondément antisociales et qui, surtout, ne résoudraient rien mais rendraient encore plus difficile la vie de millions de gens, en attaquant les boucs émissaires habituels et en poursuivant les politiques qui nous ont menés dans le mur depuis quarante ans. Ou comment faire payer les mêmes pour les erreurs des dirigeants politiques incompétents, tous responsables – Macron, le « Mozart de la finance », Barnier, Bayrou, Lecornu et les autres – de la situation actuelle !

Le bloc de « gauche » mené par la secte factieuse LFI, à laquelle se sont arrimés par veulerie les écologistes et le PS, embrasse sciemment les pires identitarismes et abandonne le peuple. Ses promesses socio-économiques sont grotesques et aussi irresponsables que les rodomontades des précédents, en multipliant les billevesées sur le mode « on rase gratis » parce que ses représentants savent bien qu’ils n’auront aucun compte à rendre. Ils peuvent bien se permettre un travail volontairement bâclé : le cœur du programme n’est pas là. Les priorités sont, d’une part, de rassembler dans un cocktail amer les bobos narcissiques des centres-villes et les voyous barbus des banlieues ; d’autre part, de faire monter les tensions et creuser les fractures de la nation pour atteindre un point de non-retour. Ils savent qu’ils n’obtiendront pas le pouvoir par le jeu institutionnel. Ils préfèrent donc aux urnes les ruines. Aussi attisent-ils la flambée antisémite dans une belle instrumentalisation de Gaza, en relayant complaisamment la propagande de nos ennemis de Téhéran et Doha. Une telle proximité assumée avec les dictatures du Moyen-Orient, mais aussi avec la Russie et la Chine, ça fait rêver !

Le bloc de « droite » autour du RN marie identitarisme et néolibéralisme de manière plus moins honteuse et émaille son discours d’élans républicains. Or tout cela n’est que de la poudre yeux : une telle mayonnaise indigeste ne peut pas prendre. Le RN est ce que les politistes appellent un « parti attrape-tout » et sert des propositions différentes et incompatibles à ses différents publics et à ses différentes clientèles pour mieux les flatter. Ainsi tente-t-il de draguer le peuple, et tout particulièrement la France périphérique que tous les autres méprisent ouvertement. Plus démagogue que populiste, le parti de Marine Le Pen et Jordan Bardella poursuit sa stratégie de la discrétion, laissant aux autres le soin de se discréditer eux-mêmes, pour mieux emporter la mise malgré les nombreux scandales et les accointances coupables avec des puissances étrangères.

Et la France, dans tout ça ?

Cette tripartition est une illusion, un leurre dont l’objectif est de cadenasser toute la vie politique française afin de mieux conserver places et financements. Il n’est même plus question ici d’éthique de responsabilité ni d’éthique de conviction : l’action des (ir)responsables politiques n’est dictée que par des calculs minables. Les partis s’enferment dans des logiques d’appareils et les dirigeants dans des bulles déconnectées du peuple, pris en otage de ce jeu funèbre. Les intérêts partisans et clientélistes subsument l’intérêt général et interdisent le dialogue entre des partis qui se conçoivent réciproquement comme infréquentables. Quand on refuse de serrer la main à un député d’un autre camp, l’idée même de discuter et de faire des compromis devient impossible d’une tranchée à l’autre.

(Soit dit en passant : ceux qui prétendent que le blocage institutionnel que nous connaissons est un mal typiquement français et que ça marche mieux ailleurs se trompent. Chaque pays possède son éthos politique et les comparaisons n’ont qu’un sens limité mais force est de constater que la France n’est pas la seule à être soumise à ce que François Cocq appelle la « démocratie minoritaire », et que les autres ne s’en sortent pas forcément beaucoup mieux. Aucun n’a vraiment trouvé de solution, entre les grandes coalitions qui se murent dans l’immobilisme avant d’exploser et les gouvernements qui valsent à mille temps : il faut cesser de regarder ailleurs avec des lunettes déformantes pour mieux se plaindre de ce qui se passe en France. Non l’herbe n’est pas toujours plus verte chez le voisin !)

Anne Rosencher, avec la pertinence qu’on lui connaît, pointe l’absence générale de vision de la classe dirigeante et son repli sur une tactique à courte vue :

La crise politique grave que nous traversons depuis quelques années est notamment due à l’inconséquence des partis traditionnels, qui misent depuis trente ans sur le barrage moral du second tour face au RN pour l’emporter. Ils ont abandonné la vocation majoritaire, qui est le fondement de la politique.

L’offre politique en est viciée, biaisée : la grande majorité des Français ne se reconnaissent pas dans ces trois blocs artificiels, incapable de répondre à leurs attentes. Où peuvent se retrouver les véritables républicains là-dedans ? je ne parle de « social-démocratie », cette eau tiède sans intérêt qui ne sert qu’à masquer les renoncements et les compromissions avec les petits gris de l’axe Bercy-Bruxelles-Berlin, mais bien de ce grand courant de pensée politique, aujourd’hui orphelin et rejeté par tous les principaux partis politiques, mais qui pourrait rassembler très largement et ramener dans le jeu une grande partie du peuple plongé par l’« à quoi bon ? ». Pour desserrer l’étau qui nous enserre, doit impérativement émerger un nouvelle offre politique dans laquelle les citoyens puissent se reconnaître véritablement. Autrement : le pourrissement et le chaos.

Cincinnatus, 15 septembre 2025


[1] C’est le deuxième Premier ministre à être plus jeune que moi. Certes, cela risque d’aller en s’aggravant avec le temps mais, quand même, je le prends mal.

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Cincinnatus

Moraliste (presque) pas moralisateur, misanthrope humaniste, républicain râleur, universaliste lucide, défenseur de causes perdues et de la laïcité, je laisse dans ces carnets les traces de mes réflexions : philosophie, politique, actualité, culture…

4 commentaires sur “Another one bites the dust”

  1. Tout de même il faut rappeler que malgré leur détestation, deux des trois blocs se sont soutenus mutuellement (au détriment du troisième) lors du 2ème tour des législatives. Il y a donc des plus « intouchables » que d’autres… Et c’est précisément cela qui a amené une assemblée ne pouvant conduire à une majorité stable.

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  2. Bonjour,

    Une nouvelle fois j’aurais une appréciation plus nuancée des politiciens.

    Je trouve qu’en général (pas De Gaulle) ils ressemblent à ce que nous sommes.

    C’est bien là le problème je pense. Je n’ai jamais attendu d’un politique qu’il ne fasse que ce dont j’ai envie mais plutôt qu’il m’ouvre des champs, des horizons (pas ceux d’Edouard) qui me dépassent, ce sont eux nos véritables espérances. C’est cet élan que j’attends d’un politicien.

    Or ils me ressemble. Oh bien sûr pas sur le plan matériel (je ne suis qu’un pauvre retraité, et d’ailleurs… ah vot’ bon coeur m’sieur dam’), mais je me reconnais parfois dans leurs faiblesses et leur manque de courage, tout ce qui conduit à ne faire que peu et parfois moins.

    Vous dites que De gaulle aurait démissionné, je le pense. Bayrou l’a fait d’une certaine manière en engageant la responsabilité du gouvernement. Il a bien fait.

    Mais Bayrou n’est pas De Gaulle, qui lui était quand même beaucoup plus grand (1.96m dit-on).

    De gaulle ne me ressemblait pas, Bayrou un petit peu quand même… et tant d’autres encore.

    Pourquoi attendre des politiciens qu’ils fassent ce que nous sommes déjà?

    J’ai tendance à viser plus haut, ou plutôt à vouloir viser mieux. C’est ce qui fait mon espérance et en définitive ma confiance en l’Homme, malgré tout.

    Pour changer de politique il faut sans doute commencer par changer de politicien et les politiciens de demains sont parmi nous, faisons en sorte qu’ils ne nous ressemblent pas.

    Je suis parfois très peu clair… j’espère ici que non….

    Pierre

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