Immigration : le temps de la lucidité ?

Les Émigrants, Honoré Daumier (1857)

S’il est un sujet saturé d’affect et d’idéologie alors qu’il devrait être traité avec la plus grande rigueur et pour seules boussoles la raison et nos principes républicains, c’est bien l’immigration. Instrumentalisée, manipulée au service d’intérêts particuliers et d’ambitions politiques personnelles, la question de l’immigration nous renvoie au visage la vanité et la médiocrité de notre classe politique, incapable de s’en saisir sérieusement, et creuse les fractures béantes au sein de notre nation. Pourrait-on, enfin, montrer un minimum de lucidité et la traiter à la hauteur des enjeux politiques, culturels, économiques et sociaux qu’elle charrie ?

Les instrumentalisations idéologiques

Dans le jeu de guerre auquel se livrent les grandes familles de pensée politique qui structurent l’imaginaire collectif français (néolibéralisme, identitarisme et républicanisme) [1], l’immigration, comme bien d’autres sujets, scelle l’alliance objective entre néolibéraux et identitaires dits « de gauche », tous communiant joyeusement dans l’ouverture sans retenue des frontières et la culpabilisation de tout discours divergent, renvoyé sans procès aux épouvantails habituels : quiconque ose questionner la permissivité absolue appartient nécessairement au camp honni de l’extrême droite et du fascisme. Fatigue.

Le patronat et l’immigration, c’est une vieille histoire que Marx lui-même a su analyser et raconter avec justesse à son époque… et qui se poursuit sur les mêmes bases aujourd’hui : la mise en concurrence des salariés entre eux pour mieux faire pression sur les salaires. Les fameux « secteurs en tension » sans cesse mis en avant ne sont rien d’autre que la resucée moderne de ce bon vieux chantage à l’emploi. Alors : nihil novi sub sole ? Non… sauf si l’on y ajoute justement l’idéologie immigrationniste « no border » soi-disant « de gauche » qui sert dorénavant de meilleur carburant au moteur néolibéral. Quand LFI sert la soupe au MEDEF.

L’hypocrisie de cette « gauche » identitaire, déjà bien connue, frôle l’œuvre d’art lorsqu’elle s’attache à la question migratoire. Instrumentaliser les drames humains en surjouant l’offuscation : les indignations à géométrie variable, en fonction de son petit intérêt personnel, donnent bonne conscience aux oisifs repus, convaincus d’appartenir au Camp du Bien©. L’altruisme de façade masque mal le plus vil égoïsme. Car, pour maintenir leur mode de vie et continuer de se vautrer dans la culture de l’avachissement, ils ont un besoin vital de cette immigration clandestine qui sert de main d’œuvre uberisée et de petit personnel esclavagisé – lumpenprolétariat qui se confond, hélas, trop souvent, avec le lumpencaïdat.

La rupture est donc consommée avec les positions historiques de la gauche qui liaient « régulation de l’immigration et défense de l’emploi, des salaires, des conditions de travail et de la Sécurité sociale », comme le rappellent assez justement Bassem Asseh et Daniel Szeftel dans une note de janvier 2024 pour la Fondation Jean Jaurès [2]. Les auteurs voient la bascule idéologique dans les années 1980 avec la victoire de l’approche identitaire contre l’héritage issu de l’analyse marxiste. Depuis, Asseh et Szeftel se désolent, à raison, que toute tentative de pensée rationnelle sur le sujet à gauche se voie immédiatement taxée de « raciste » et d’« extrême droite ». On les rejoint volontiers dans leur dénonciation des oukases, menaces, intimidations et interdictions de penser, de parler et surtout d’agir ; il n’y a qu’à voir comment une personnalité courageuse comme Malek Boutih s’est fait assassiner politiquement par ses propres « camarades ».

Chaque tentative de la gauche de renouer avec ses positions historiques sur la régulation de l’immigration est systématiquement assimilée par les membres de son propre camp à un discours raciste et d’extrême droite, comme si ces propositions n’avaient jamais appartenu au cœur du corpus intellectuel de la pensée socialiste et communiste de notre pays. [3]

Après la revendication, déjà fort discutable, d’un « droit à la différence », les autoproclamés décolonialistes exigent dorénavant une « différence des droits », soit la fin de l’égalité devant la loi et la désagrégation de l’État et de la nation remplacés par des tribus autogérées. Ils s’appuient sur des mensonges éhontés en accusant en un lénifiant psittacisme la France, les Français et l’État d’être racistes et colonialistes, en dépit des faits et de la réalité. (On ne peut que déplorer que ces discours antifrançais rencontrent à la fois les trahisons criminelles de dirigeants politiques complices de nos ennemis étrangers et une haine de la France partagée… par nombre de Français eux-mêmes !)

Mais si nos identitaires croient vraiment à leurs billevesées, pourquoi diable restent-ils vivre dans ce pays qu’ils haïssent tant ? Il n’y a, évidemment, dans ces outrances, que de minables stratégies de pouvoir. Tout comme dans les appels pathétiques – dans tous les sens de l’épithète – à la « créolisation » et à une « nouvelle France » qui font office de ligne idéologique à LFI et donnent en même temps du grain à moudre à leurs jumeaux identitaires de droite et à leurs fantasmes complotistes de « Grand Remplacement ». En effet, ces derniers, en miroir de leurs homologues « de gauche », se rassemblent autour d’une conception rabougrie de l’identité, réduite à une histoire trafiquée et à quelques clichés racistes, tout aussi bêtes mais tout aussi efficaces que ceux du camp d’en face. Leurs essentialisations paranoïaques de l’étranger offert aux foules sentimentales comme responsable de tous nos maux appartiennent aux manipulations classiques de l’opinion par construction d’une figure de l’ennemi pour mieux rassembler ses ouailles.

À la victimisation des uns répond celle des autres ; la fabrication sur-mesure de victimes par essence et de bourreaux par naissance ne fait qu’inverser les étiquettes sur les boîtes dans lesquelles sont enfermés les individus en fonction de l’intérêt électoral qu’ils représentent. Les identitaires des deux rives ne sont que les deux faces d’une même pièce – certains parlent de « tenaille », j’ai déjà longuement expliqué ce que je pense de ce concept – qui jouent le même jeu et partagent la même vision de l’homme, de la société et du monde en citadelles assiégées, séparées par d’infranchissables tranchées. Leur opposition sur l’immigration doit être comprise dans le cadre de ce duo-duel. Leur pouvoir reposant sur l’entretien constant d’une atmosphère de guerre civile larvée, ils s’entendent comme larrons en foire pour encourager les haines et creuser toujours plus profond les fractures de notre nation.

La fracturation de la nation

La différence est flagrante entre une part toujours plus grande de l’immigration que nous vivons aujourd’hui et les précédentes vagues, et tout particulièrement celles d’origines européennes, pour au moins trois raisons : la volonté d’intégration des nouveaux venus, la proximité culturelle et le partage de références et de principes civilisationnels fondamentaux communs, une politique d’intégration ou d’assimilation volontariste alors sans doute très imparfaite mais au moins existante.

Nous subissons peut-être la seule immigration qui ne fantasme que de repartir et non de demeurer pour construire un avenir sur une nouvelle terre et rejoindre une communauté, une culture déjà existantes ; qui, au pays d’accueil, préfère l’illusion du pays quitté (majoritairement l’Algérie, mais pas seulement) et s’imagine y retourner un jour ; qui, pour nourrir ces délires et cette culture de deuil, s’invente de toutes pièces une haine du pays dans lequel elle a pourtant trouvé refuge ; et qui fabrique dans les esprits de ses enfants une identité aussi fausse que caricaturale à coup de mensonges, de réécritures de l’histoire, de victimisation indue. Kamel Daoud désigne ces élucubrations d’un nom qui me semble très pertinent : « le pays fantôme ».

Daoud vise juste. L’Algérie joue un jeu détestable par le chantage à l’émigration qu’elle nous impose en faisant peser la menace de laisser traverser la Méditerranée aux foules de migrants maliens ou nigériens… ou algériens ; en refusant ses ressortissants lorsque nous lui renvoyons des délinquants qui n’ont rien à faire sur notre territoire ; en détenant un écrivain et un journaliste français en otages dans ses geôles ; en manipulant les esprits des Algériens en Algérie et en France pour les gaver d’une Histoire falsifiée et ériger la France en responsable de tous les maux de l’Algérie. La dénonciation de l’accord de 1968 votée récemment est parfaitement justifiée. Et les cris d’orfraie de députés de gauche révèlent leurs trahisons et leurs allégeances étrangères.

Au-delà des relations particulières avec l’Algérie, choisir qui nous accueillons en fonction de nos besoins économiques mais aussi de nos principes culturels n’a rien de raciste ni de fasciste. Le refus de rejoindre la communauté nationale d’accueil se renforce des distances culturelles qui en séparent les nouveaux venus. Les apôtres du relativisme culturel se rengorgent d’une supposée égale valeur de toutes les civilisations (mais, étrangement, à les écouter, la nôtre serait moins égale que les autres) et ne jurent que par « l’enrichissement » que représenteraient nécessairement toutes les différences. Au point de tolérer l’intolérable. La recrudescence de pratiques « culturelles » abjectes, telles que l’excision ou l’infibulation, qu’il faudrait « tolérer » au nom du « respect » des identités, n’est que la pointe la plus aiguë de ces incompatibilités civilisationnelles irréductibles, dont les individus peuvent se déprendre mais qu’il faut observer sans écran idéologique.

C’est quand même un comble ! Notre politique d’asile n’est finalement ni assez généreuse ni assez regardante. D’Afghanistan ou de Gaza nous viennent nombre de terroristes en puissance ou d’agents des Frères musulmans… alors que nous aurions tout intérêt à accueillir les dissidents, les opposants, les démocrates qui y risquent leurs vies ; nous ouvrons notre porte à des terroristes et à des criminels mais nous n’avons pas un mot pour toutes ces Afghanes, toutes ces Iraniennes qui sont massacrées dans leurs pays parce qu’elles osent s’élever contre le patriarcat qui y règne (le vrai patriarcat, pas celui que se plaisent à traquer ici nos néoféministes de salon dont la misandrie raciste considère tous les hommes blancs comme des violeurs et excuse volontiers les violeurs étrangers).

Les conséquences sont catastrophiques avec la multiplication de marches antisémites dans toutes les capitales occidentales, les manifestations aux cris de « Mort aux Juifs » et les appels à l’intifada, au djihad et au califat. Nous importons joyeusement nos ennemis et ceux qui veulent nous détruire et abandonnons sans remords ceux qui rêveraient de devenir pleinement français et de nous aider à combattre nos ennemis communs. Quelle folie !

À chaque crime sordide mettant en cause un immigré ou, pire, un clandestin sous OQTF (les fameuses « obligations de quitter le territoire »), le chœur des belles âmes entonne le refrain éculé du « pas d’amalgame » qui agit comme le regard de la Gorgone et tétanise tous les acteurs, qui craignent plus que tout l’accusation en racisme. Ainsi deviennent possibles des horreurs massives telles que les viols de Cologne, les grooming gangs britanniques, etc.

Exemple récent de cet aveuglement volontaire : le journal L’Humanité a fièrement mis en avant que « 87 % des viols hors cadre familial sont commis par des hommes français… », prétendant ainsi tordre le cou à l’idée selon laquelle ces crimes sont plus souvent le fait d’immigrés. Sauf que L’Huma a malencontreusement oublié de rappeler que les étrangers, mis en cause, donc, dans 13 % des viols hors cadre familial ne représentent que 8 % de la population et sont donc surreprésentés dans ces crimes (et ils le sont encore plus dans les viols conjugaux : 18 %). Ce biais évident disqualifie les naïfs toujours prêts à tordre le réel pour l’ajuster à leur idéologie.

Mais ce n’est toutefois pas encore suffisant : pour être juste, il faut dépasser encore le dévoilement de ce biais et analyser la structure socio-démographique des différentes populations et comparer ce qui est comparable. Et, en tripotant les chiffres, on finit pas se retrouver devant ce truisme d’une profondeur abyssale : accueillir surtout des jeunes hommes étrangers sans éducation et venant de cultures dans lesquelles la femme n’a pas le même statut qu’ici n’est pas la meilleure idée possible. Non ? sans blague ? Cependant, en produisant les statistiques qui vont bien, on pourrait aussi démontrer tout aussi facilement le contraire. Et ainsi de suite jusqu’au bout de la nuit. Les statistiques ne servent qu’à donner l’illusion de scientificité à des discours purement idéologiques. Les imposteurs s’achètent ainsi à peu de frais un vernis d’objectivité.

Il ne s’agit évidemment pas de sombrer dans l’essentialisation raciste des identitaires de droite qui, en assimilant étrangers et criminels, font peser tous nos maux sur les épaules des étrangers pour mieux se dédouaner. Mais il ne faut pas non plus verser dans la construction de victimes par naissance et de bourreaux par essence, comme le font les identitaires de gauche pour qui les étrangers sont les « nouveaux damnés de la Terre », jamais coupables de rien. Le déni sur les liens entre certaines immigrations et délinquance, violence et criminalité ne fait qu’accentuer le ras-le-bol de tous ceux qui les subissent et, surtout, leurs « sentiments d’insécurité ».

C’est une démission morale et politique de la part de ceux qui osent encore se prétendre de gauche mais renoncent, par paresse, idéologie et clientélisme, à protéger les plus humbles, les plus pauvres, les plus fragiles, les plus misérables : voilà ceux que la « gauche » a abandonnés et dédaigne ouvertement. « Ils votent RN mais n’ont jamais vu un immigré dans leur village » – le mépris est insupportable envers tous ces Français rejetés aux marges médiatiques territoriales, médiatiques, politiques et culturelles, caricaturés en beaufs vulgaires et « fachos ». Comme s’ils ne s’informaient pas, ne voyageaient pas, ne discutaient pas avec leurs proches ; comme s’ils ne voyaient pas ce qui se passe ailleurs que dans leur territoire. Alors qu’ils connaissent souvent les métropoles bien mieux que les bobos des centres-villes ne connaissent les villages qui entourent leurs citadelles d’entre-soi. Concrètement, afin de répondre aux demandes légitimes de cette France périphérique, il y a sans doute intérêt à s’inspirer de la gauche danoise qui lie étroitement maîtrise de l’immigration et développement de la protection sociale et des services publics. Mais non, c’est tellement plus facile de les considérer comme des demeurés, des nazis, des citoyens de seconde zone à qui il faudrait retirer le droit de vote parce qu’ils « votent mal ».

Intégration : échecs et mat

Les fractures territoriales détruisent notre nation. Et l’immigration ne fait qu’aggraver ces béances. L’échec des politiques d’intégration est peut-être d’abord un échec géographique. L’agglutination d’individus de même origine dans les mêmes territoires conduit inexorablement à la constitution d’enclaves, véritables ghettos dans lesquels la communauté la plus agressive devient majoritaire en faisant fuir les autres populations et impose sa loi sur les quartiers désertés par l’État.

Le raisonnement en générations s’avère complètement biaisé, qu’il soit tenu par les croyants de la dilution temporelle (« chaque génération s’intègre mieux que la précédente ») ou par les zélotes de la différence irréductible (« chaque génération est plus étrangère encore que la précédente »). En effet, il fait fi des nombreux croisements générationnels matrimoniaux, c’est-à-dire de tous ces cas où l’on va chercher son épouse (en général, c’est plutôt dans ce sens-là) « au pays » plutôt que de la choisir sur place. Les enfants nés de tels unions sont-ils de « deuxième » ou de « troisième » génération ?

Peu importe puisque, pour la plupart, ces enfants sont surtout français – et qu’on s’en réjouisse ou qu’on le déplore ne change rien à l’affaire. Ils sont français mais il est si commode de les considérer comme étrangers. Commode pour les ennemis de la France qui leur bourrent le crâne avec des récits falsifiés sur la France et « leurs vraies racines », et qui leur fabriquent de toutes pièces une identité caricaturale fondée sur la haine et les mensonges. Commode, aussi, pour ceux qui refusent d’embrasser la complexité de cette situation et, soit pour en faire des anges, soit pour en faire des démons, se plaisent à utiliser ces gosses comme opportuns boucs émissaires de leurs ambitions politiques. Ainsi les errements de notre politique d’intégration conduisent-ils à fabriquer consciencieusement des milliers de bombes à retardement.

« Et en plus, à un coût exorbitant ! », s’écrieront, non sans quelque raison, les plus cyniques. Sur ce sujet de l’efficacité financière de nos « politiques d’intégration » (bien grand mot pour ce qui ressemble plutôt, au mieux, à du bricolage d’amateurs ou, au pire, à une reddition pure et simple), je cite ici le rapport Bassem Asseh et Daniel Szeftel évoqué plus haut :

Cette piètre performance se fait malgré un budget conséquent consacré aux politiques d’intégration. Mais là aussi, l’idéologie nous empêche : souhaitant éviter tout reproche de reproduire une domination coloniale ou de détruire les identités d’origine, notre politique d’intégration s’est montrée singulièrement généreuse sur les dépenses passives. Ainsi, l’allocation reçue par les demandeurs d’asile est supérieure à celle allouée par la plupart des pays d’Europe, Allemagne comprise. De même, si les places en foyer d’accueil ont doublé en cinq ans pour atteindre 110 000 places, c’est le logement d’urgence, très onéreux et peu propice à l’intégration, qui a réellement explosé : nous étions à 500 millions d’euros il y a vingt ans, nous sommes aujourd’hui à 3 milliards d’euros. Idem pour la santé, où nous garantissons, pratiquement seuls en Europe, à tous les immigrés des soins urgents et non urgents gratuits.
À côté de cela, les dépenses qui permettraient une réelle intégration sont parcimonieusement consenties : l’alphabétisation et l’apprentissage du français sont financés à hauteur de 250 millions en France, quand l’Allemagne y consacre 1 milliard d’euros. Le même écart France/Allemagne peut être identifié dans l’aide à la recherche d’emploi et la formation des immigrés, enjeu très faible chez nous, quand il est majeur en Allemagne et dans d’autres pays européens, où des facilités sont apportées aux immigrés (garde d’enfants, adaptation des cours de langues) pour permettre leur recherche d’emploi. La comparaison ne nous est également pas favorable sur le parcours civique proposé en France et expédié en quatre jours, alors qu’il dure trois semaines en Allemagne. Concernant la ségrégation sociale, les politiques allemandes de répartition directive des immigrés et danoise de lutte contre la formation de ghettos, où une utilisation stratégique du logement social est mise en place, sont à comparer avec la quasi-absence de politiques de ce type en France. Si l’on ajoute la très faible conditionnalité des aides et de l’accès aux titres de séjour, se dessinent les raisons de l’inefficacité de notre modèle d’intégration. [4]

Et de conclure : « notre système reste très généreux sur des politiques avec un impact de court terme, très chiche sur les politiques avec un impact sur le long terme, mal considérées, parce qu’elles demandent un engagement des immigrés ou qu’elles pourraient être jugées trop conditionnelles à un comportement vertueux de leurs bénéficiaires ou trop directives. »

Tenir la ligne de crête

Le pacte passé entre la nation et ceux qui souhaitent la rejoindre devrait apparaître évident. Qu’il s’appelle « assimilation » ou « intégration », peu importe, ces mots ont perdu leur sens à force d’être maltraités. Les critères pour entrer et demeurer sur notre territoire et rejoindre notre communauté doivent être clairs et cohérents : d’une part, le droit d’asile est un devoir d’accueil auquel nous ne pouvons nous soustraire sans renier ce que nous sommes mais qui doit être appliqué sans démagogie : le droit d’asile, ce n’est pas l’accueil irréfléchi et inconditionnel de tous ceux qui le demandent ; d’autre part, tout individu désirant sincèrement participer à notre nation et ayant à cœur les principes républicains qui la meuvent est le bienvenu et il doit être reçu et accompagné dignement, en particulier dans l’acquisition de la langue française. Quant à ceux qui ne souhaitent pas faire cet effort, qui ne reconnaissent pas que les seules lois qui s’appliquent en France sont les lois de la République, qui rejettent nos principes fondamentaux et non négociables – universalisme, laïcité, égalité en droit des individus… –, ils n’ont pas leur place ici.

Dans ce débat empoisonné par les arrière-pensées des uns et des autres, une position lucide et rationnelle paraît bien difficile à tenir. Elle s’impose néanmoins pour tenter de colmater les brèches qui mettent en danger notre maison commune, en tenant à la fois fermeté et générosité, rigueur et universalisme, dans le strict respect de nos principes républicains. Elle nécessite d’abord d’en finir avec les confusions funèbres entre immigrés tout ce qu’il y a de plus légal, réfugiés bénéficiaires du droit d’asile et clandestins arrivés dans notre pays de manière illégale.

Pour assurer un accueil digne, l’immigration doit nécessairement être encadrée et régulée, quitte à en fermer les vannes lorsque la situation l’exige – et sans doute est-ce déjà le cas. La politique d’immigration doit être soumise à une réflexion nationale, rationnelle, avec des critères et des objectifs clairs et connus de tous. Le Parlement a ainsi toute légitimité à définir des orientations pluriannuelles en matière d’immigration légale et d’intégration. Les demandeurs d’asile doivent être l’objet d’une enquête bien plus poussée à l’entrée, ce qui nécessite l’allocation de moyens réels, non seulement financiers mais aussi humains, pour les services comme l’OFPRA, et d’un suivi régulier, non pour les « fliquer », comme le prétendent de manière épidermique les obsédés du fascisme, mais pour s’assurer de l’efficacité des politiques d’intégration : acquisition satisfaisante de la langue, de compétences adaptées au marché du travail, etc. Quant aux immigrés illégaux, une fermeté assumée doit rendre force et vigueur à la loi : l’application stricte des OQTF, par exemple, ne revient qu’à simplement faire respecter la loi.

Bien entendu, la question ne s’arrête pas, ou plutôt ne commence pas à nos frontières. L’assèchement des filières de trafics d’êtres humains impose d’agir directement auprès des pays d’origine et de transit, et de s’attaquer aux sources de financements avec une volonté qui fait cruellement défaut à nos gouvernants. Le rôle joué par des pays hostiles ou ennemis de la France – Algérie, Turquie… – est crucial et tous les leviers d’actions doivent être utilisés, dans un rapport de force qu’il faudrait peut-être enfin assumer, au lieu de sans cesse se coucher par faiblesse, lâcheté ou mauvaise conscience déplacée. Dans cette perspective, les aides au développement sont des dispositifs d’un autre temps dont les montants paraissent tout à fait délirants et qu’il faut entièrement revoir pour s’en servir comme leviers d’action.

Nous devons surtout nous montrer intransigeants avec le respect de nos principes, l’égalité entre les femmes et les hommes au premier chef, et lutter sans réserve contre les idéologies politiques et religieuses incompatibles avec notre culture. Respect de nos principes et efforts pour s’intégrer devraient d’ailleurs être des critères évidents pour l’obtention et le renouvellement de titres de séjour. De même que notre sévérité doit être exemplaire envers les étrangers délinquants et criminels : ils doivent quitter notre territoire et, parmi eux, les binationaux doivent être déchus de leur nationalité française ; de même notre générosité, notre solidarité et notre fraternité doivent être sans limite pour ceux qui, quels que soient leur origine, leur couleur de peau, leur sexe ou que sais-je encore, souhaitent sincèrement participer à la vie de la Cité en accord avec les principes qui nous guident et nous animent.

L’hospitalité ne signifie nullement l’abdication de toute responsabilité, pas plus que la générosité ne signifie la destruction des frontières – frontières trop souvent calomniées alors qu’elles sont le cadre matriciel de toute identité [5]. En revanche, être français, être la France nous oblige, à la hauteur d’une histoire, d’une culture, d’une tradition qui font de notre pays, de notre nation, le refuge pour tous ceux qui sont opprimés dans leurs pays par des régimes et des idéologies qui ne respectent pas la dignité humaine.

Nous devons farouchement rejeter nos ennemis qui tentent de nous subvertir de l’intérieur ; mais nous devons accueillir avec honneur et fierté tous ceux qui veulent vraiment participer à notre dessein politique. Il y a une réelle grandeur – avec laquelle nous ferions bien de renouer ! – dans tout ce que la France a offert à tant d’enfants d’immigrés, venus autant pour une image – une « certaine idée » – que pour une réalité. Les immigrés en France, ce sont aussi Romain Gary ou Missak Manouchian ; ce sont tous ces amoureux de l’histoire, de la culture, de la langue française. De ce que la France représente dans le monde.

À l’opposé des discours démagogiques sur l’immigration comme « chance » ou « enrichissement » par définition, renouer avec cette tradition française, c’est précisément recueillir dans le corps de la nation tous ceux qui, voulant sincèrement participer au destin politique collectif de notre pays, assument une histoire qui n’est pas la leur au sens bassement concret et matériel mais qui le devient symboliquement, par le choix qu’ils font de partager notre communauté politique et notre culture.

Cincinnatus, 10 novembre 2025


[1] Je ne reviens pas sur les définitions de ces trois idéaux-types. Cette grille de lecture est expliquée dans de nombreux billets, tout particulièrement dans la série que j’ai appelée « Wargame idéologique », qui montre comment agissent et interagissent ces trois familles, à l’intérieur et au-delà du classique clivage gauche-droite :
Wargame idéologique à gauche
Wargame idéologique à droite
Wargame idéologique : l’échiquier renversé

[2] Bassem Asseh et Daniel Szeftel, La gauche et l’immigration. Retour historique, perspectives stratégiques, Fondation Jean Jaurès, 2024.

[3] Ibid.

[4] Ibid.

[5] Lire, de Régis Debray, le vibrant Éloge des frontières !

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Cincinnatus

Moraliste (presque) pas moralisateur, misanthrope humaniste, républicain râleur, universaliste lucide, défenseur de causes perdues et de la laïcité, je laisse dans ces carnets les traces de mes réflexions : philosophie, politique, actualité, culture…

2 commentaires sur “Immigration : le temps de la lucidité ?”

  1. Je crois qu’il n’existe plus qu’une seule organisation qui sait accueillir les étrangers et en faire des Français: La Légion Etrangère! Je propose que les recteurs d’académie, les responsables d’attribution d’HLM et quelques magistrats y fassent un stage intensif de 6 mois pour bien s’imprégner des méthodes qui fonctionnent.

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  2. La plupart de ces gens-là n’ont probablement pas les capacités physiques nécessaire à l’intégration de la Légion, ça reviendrait à briser leur corps pour pas beaucoup de résultats.

    D’ailleurs, il me semble que l’une des forces de la Légion (« machine à faire des français ») est son volontarisme; là où, pour ce qui est de l’immigration, il n’y a aucune volonté concrète (des politiques) et aucun désir véritable (des immigrés eux-mêmes) de faire en sorte qu’ils fassent partie intégrante du tissu social français.

    Il me semble que les choses les plus simples à faire soient :

    • D’expliciter le contrat social français;
    • De garder ceux qui y adhèrent;
    • De jarter les immigrés récalcitrants quand c’est possible (bi-nationaux criminels, OQTFs et cie);
    • Tout en mettant une pression de plus en plus intense sur les récalcitrants dont on ne peut pas se débarasser (certains naturalisés, descendants d’immigrés nationaux…), afin qu’ils quittent le pays ou s’y intègrent.

    Le problème est qu’il faudrait des politiques compétents :

    Autant le peuple semble en avoir marre de l’immigration, autant ce sentiment ne débouchera sur rien s’il n’est pas traduit en volonté et mesures politiques conséquentes.

    C’est pour ça que je trouve l’immigrationisme du centre et l’amateurisme du RN inquiétants.

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