Que faire des idéologues fanatiques ?

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Fanatiques de Tanger, Eugène Delacroix (entre 1837 et 1838)

L’idéologue, c’est toujours l’autre. Et pourtant, sans dissoudre le concept dans l’acide du relativisme, nous nous faisons tous, d’une manière ou d’une autre, les petits propagandistes d’une vision de l’homme, de la société et du monde, plus ou moins structurée, plus ou moins assumée, plus ou moins consciente. De ce point de vue, quelle différence entre un dirigeant politique et un fanatique religieux ?
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L’hybris transhumaniste : idéologie et utopie

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h+ : un des logos-symboles du transhumanisme

Les histoires que nous servent les trans- et les post-humanistes ne doivent pas être méprisées comme les délires de gogos illuminés ou de quelques geeks fans de science-fiction [1]. Ce serait passer à côté de l’un des courants de pensée les plus puissants et les plus influents de notre époque. Et d’autant plus puissant et influent qu’il est doté des moyens financiers que lui fournit le capitalisme mondialisé, des moyens technologiques de la Silicon Valley, et des moyens symboliques de l’industrie du spectacle.
Alors : le transhumanisme, combien de divisions ?
Suffisamment pour être pris au sérieux.

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« Désolidarisez-vous ! »

L’impératif réfléchi cingle. L’ordre tonne de manifester la négation d’un rapport exhibé. Il s’adresse aux soutiens d’un candidat après un éclat ou une bouffonnerie oratoires, aux musulmans après un attentat commis au nom de leur croyance, aux hommes après l’ignoble agression d’une femme… en somme : à l’ensemble des membres d’un groupe, que la constitution de celui-ci soit réelle ou fantasmée, lorsque l’un d’entre eux, ou considéré tel à tort ou à raison, s’illustre dans l’abject. Afin de réintégrer le tout, les individus reçoivent l’injonction d’affirmer la distance qui les sépare de l’autre au sein de la partie.

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Sondages : une cure de désintox, vite !

FUMEUR D'OPIUM
Salle de rédaction recevant les sondages quotidiens

Sommaire
1. Une drogue médiatique
2. Dis, Cinci, l’opinion publique, c’est quoi ?
3. Petits éléments de critique des sondages à l’usage des citoyens qui en ont marre qu’on prétende parler à leur place
4. L’art (pas toujours) discret de la manipulation… et son efficace
5. Prophylaxie


1. Une drogue médiatique

Nous sommes des junkies des sondages. Tous les jours, plusieurs fois par jour, nous réclamons notre dose aux médias qui se comportent à la fois comme principaux dealers et comme plus gros consommateurs de cette drogue dure. Nous ne pouvons plus voir la réalité qu’à travers l’hallucination de ces psychotropes. Du fait divers le plus anodin jusqu’à l’élection majeure de notre système politique, il n’existe plus un seul événement, plus un seul fait social, économique ou politique, qui ne doive être « éclairé » par une multitude d’enquêtes réalisées avant, pendant et après sa survenue dans l’espace médiatique. La vérité se cache à nos yeux, seuls les chiffres exprimés en pourcentages de sondés peuvent la révéler. Continuer la lecture de Sondages : une cure de désintox, vite !

Le monde commun selon Hannah Arendt (4) – L’explosion du monde commun

Avec l’extension du privé entre intime et public, le monde commun est en danger d’explosion.

Le débordement de l’intime

D’une part, le retrait dans le privé impose les règles de celui-ci à toutes les relations qui se mesurent désormais à l’aune de l’intime. Son exposition publique devient un standard du comportement. L’intime est révélé volontairement dans l’exhibition de soi quand, chez l’autre, le regard inquisiteur cherche ses effractions involontaires. Continuer la lecture de Le monde commun selon Hannah Arendt (4) – L’explosion du monde commun

L’idéologie et l’utopie selon Paul Ricœur (4) – épilogue

Il est important de se plonger dans les auteurs parce que, foutredieu oui !, ils ont des choses à nous dire. Ils nous offrent un armement conceptuel dont il faut s’emparer pour penser, dire et agir.

Pour ce qui est de l’idéologie et de l’utopie telles que conçues par Ricœur, en nous appropriant ces concepts, nous serons plus attentifs à la manipulation des imaginaires collectifs rendue possible par leurs dimensions destructives. Apprenons à dévoiler les utopies folles qui se veulent des eschatologies réalisables hic et nunc, osons exposer les prétentions exorbitantes de certains au monopole sur le réel au nom de la « logique d’une idée », comme Arendt définit l’idéologie.

Mais allons jusqu’au bout et appuyons-nous aussi sur ce que nous montre Ricœur de leurs dimensions constructives. Pourquoi hésiter à s’en servir et à les assumer ? Continuer la lecture de L’idéologie et l’utopie selon Paul Ricœur (4) – épilogue

L’idéologie et l’utopie selon Paul Ricœur (3) – l’idéologie comme construction d’une image commune

Comme ce que j’ai fait précédemment avec l’utopie, je propose de parcourir les trois strates de l’idéologie depuis la plus profonde vers la plus superficielle.

La cohésion du groupe

La strate la plus profonde de l’idéologie se définit comme un ensemble partagé collectivement d’images, d’idéaux, d’aspirations. Elle fournit aux membres une orientation cohérente et leur renvoie une image d’eux-mêmes en tant que groupe dans laquelle ils se reconnaissent. Ainsi conforte-t-elle l’identité de la communauté[1]. Ce niveau le plus profond représente la part irréductible de l’idéologie. « Même si nous mettons de côté les deux autres strates de l’idéologie […], la fonction d’intégration de l’idéologie, celle qui consiste à préserver une identité, demeure. […] Ni le groupe ni l’individu ne sont possibles sans cette fonction d’intégration[2]. »

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L’idéologie et l’utopie selon Paul Ricœur (2) – l’utopie comme évasion de l’imaginaire

Commençons par un peu d’histoire, ça ne fait pas de mal.
À la suite de l’œuvre de Thomas More, les utopies littéraires classiques furent d’abord des œuvres littéraires hétérogènes, regroupées sous le terme générique d’utopie qui désignait « tout projet, toute construction intellectuelle purement imaginaire et spéculative et, comme telle, irréalisable[1]. » Il s’agissait alors d’un genre littéraire défini, dans lequel les auteurs pouvaient imaginer une version idéale de la société, selon leur vision et leurs critères.
Jusqu’ici tout va bien.
Or le genre utopique change de forme au cours du XIXe siècle. De description statique d’une société idéale, il devient projet de société en désir de réalisation.
Comment l’utopie en vient-elle à définir un imaginaire supposé réalisable, c’est-à-dire le contraire de son sens premier ?

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L’idéologie et l’utopie selon Paul Ricœur (1)

J’ai écrit, il y a peu, qu’il me semble crucial de réinjecter de la pensée, des idées dans la politique. Qu’il nous faut mobiliser, nous emparer d’un arsenal conceptuel qui nous permette de réarticuler une pensée politique solide pour sortir de la répétition ad nauseam des mêmes billevesées néolibérales et répondre au capharnaüm démagogique proposé par les illuminés d’extrême-droite (« grand remplacement » and co).
Depuis, il y a quelqu’un qui m’a dit (rien à voir avec une quelconque chanteuse à voix) : « ton billet, il est bien, mais on attend de voir ce que tu proposes, c’est quoi ces concepts à mobiliser dont tu parles pour comprendre et agir ? »
Alors quand faut y aller…
Attention, ça va être long, avec plein de notes de bas de page et de références à des auteurs… c’est fait pour.
Ce premier billet sert d’introduction pour présenter comment ça marche. Suivront deux autres qui développeront plus amplement les choses : un sur l’utopie, un sur l’idéologie. Enfin, un très court épilogue tentera de conclure ces réflexions.
On se cale bien dans son fauteuil, on s’accroche… c’est parti !

L’idéologie et l’utopie sont deux concepts suspects, largement surdéterminés par l’usage quotidien qui en est fait de manière polémique. Et pourtant, plusieurs auteurs, Paul Ricœur en tête[1], les ont explorés pour en montrer la profondeur et la portée. Essayons de comprendre comment ils peuvent nous aider à penser, dire et agir.

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