L’homme en souffrance (Jo Zefka)

À propos d’Épuisé, de Johann Margulies (éditions de l’Observatoire, 2025)

Ce billet est une histoire d’amitiés. D’abord, celle qui me lie depuis de nombreuses années à Jo Zefka, l’une de ces trop rares personnes qui font que les réseaux dits sociaux ne sont pas seulement un immonde cloaque ; ensuite, celle que j’entretiens depuis aussi longtemps avec Johann Margulies, le premier auteur invité à avoir publié un billet dans ces carnets et dont l’humour, l’intelligence et l’humanité n’ont rien à envier à ceux du précédent ; enfin, et peut-être surtout, celle entre ces deux-là, qui a donné naissance à cette très belle recension par le premier du livre écrit par le second : Épuisé. Jo a lu l’ouvrage aussi profond que bouleversant de Johann – le récit à la fois intime, philosophique et politique de sa maladie. Ensemble, avec ce billet et ce livre, ils nous font des cadeaux précieux. Il faut lire ce texte de Jo ; il faut lire le bouquin de Johann.

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Une jeune fille meurt

Depuis plus d’un mois, une image me hante. Celle d’une toute jeune femme, à peine sortie de l’adolescence, recroquevillée sur son siège de métro, les genoux remontés jusqu’au menton, les mains crispées autour du cou, le regard ivre de terreur, qui se voit mourir, seule au milieu de la foule, sans comprendre pourquoi elle, ici et maintenant.

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Notre patrimoine saccagé

Vue imaginaire de la Grande Galerie du Louvre en ruines, Hubert Robert (1796)

À chaque manifestation collective de joie ou de colère, une foule plus ou moins nombreuse se rassemble sur la place de la République à Paris puis laisse, dans son reflux, un monument violenté, sali, abîmé. La statue subit ainsi des détériorations, insupportables d’au moins trois points de vue : financier (les coûts des restaurations répétées pèsent indûment sur la collectivité alors que seuls les coupables devraient payer), patrimonial (le monument souffre de ces dégradations, chaque nettoyage érode un peu plus la pierre et certaines peintures utilisées dans les tags restent incrustées dans le bronze) et symbolique (souiller l’allégorie de la République témoigne d’une haine profonde de la France). Le symbole de la République devient ainsi celui de tout notre patrimoine, à la fois méprisé et saccagé.

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« Foules sentimentales »

La Lapidation de saint Étienne, Rembrandt (1625)

Sale temps pour la justice. Et je ne parle pas ici de la tempête provoquée par la condamnation de Marine Le Pen, bien qu’elle participe à cette sinistre météo.

L’institution, comme bien d’autres, est en ruines ; et les individus oscillent entre sentiments d’injustice et d’impunité. Il faut dire qu’avec ses procédures longues et tatillonnes destinées à asseoir la certitude de culpabilité, elle ne s’accorde guère à la frénésie qui agite notre époque ; qu’avec son culte du secret conçu pour assurer la sérénité de l’enquête et de l’instruction, elle subit la suspicion généralisée à l’égard de quiconque refuse la dictature de la transparence ; qu’avec ses principes surannés comme la présomption d’innocence et le débat contradictoire, elle doit affronter la soif de châtiment des masses en quête de divertissements sans cesse renouvelés.

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Libérez Boualem Sansal !

Man in prison, Johann Adam Ackermann (1833)

Le 16 novembre dernier, le régime algérien arrêtait Boualem Sansal à son arrivée à l’aéroport. Depuis, l’écrivain âgé de 75 ans et atteint d’un cancer croupit en prison. Il a attendu plus de quatre mois pour que se tienne, le jeudi 20 mars, son procès devant le tribunal de Dar El Beida – un « procès » qui n’a duré qu’une vingtaine de minutes et s’est appuyé sur des conversations privées volées dans son téléphone et son ordinateur –, au cours duquel ont été requis dix ans de prison et un million de dinars d’amende (soit environ 7 000 euros) pour « atteinte à l’unité nationale, outrage à corps constitué [i.e. insulte envers l’armée], atteinte à l’économie nationale et détention de vidéos et de publications menaçant la sécurité et la stabilité nationales », échappant à l’accusation d’« intelligence avec l’ennemi », un temps retenue mais finalement écartée. Une semaine plus tard, le jeudi 27 mars, le verdict est tombé : Boualem Sansal est condamné à cinq ans de prison ferme et à une amende d’un demi-million de dinars.

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Affaire Daoud : un attentat contre la littérature

Femmes d’Alger dans leur appartement, Eugène Delacroix (1834)

Ce billet a été préalablement publié le 17 février 2025 par Le Point, que je remercie sincèrement.

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l’art ouvre une plaie infectée d’absence au flanc de la réalité
Romain Gary, Pour Sganarelle

En août dernier, l’écrivain franco-algérien Kamel Daoud publie Houris, son nouveau roman. Le 2 novembre, j’en débute la lecture ; le 4 novembre, il remporte le prix Goncourt (malgré leur enchaînement chronologique, ces deux événements n’ont probablement pas de relation de cause à effet). J’ai donc lu Houris – ce en quoi je diffère de la plupart de ses critiques.

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À la télé ce soir

Il y a quelque chose de pourri dans l’audiovisuel public. France Inter, France Info, France 5, Arte… et même France culture : les chaînes de télévision et radio du service public semblent avoir renoncé à l’impartialité et à l’objectivité pour se vautrer dans l’idéologie.

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Les lectures de Cinci : bourreaux et victimes de l’islamisme

Deux livres remarquables ont paru récemment, qui abordent, chacun à sa manière, le fléau islamiste. Le premier s’intéresse aux bourreaux, féminins en l’occurrence ; l’autre aux victimes, Samuel Paty en particulier. Tous deux doivent être lus, étudiés, discutés pour que nous comprenions enfin, collectivement, ce à quoi nous sommes confrontés et qui sont ceux qui nous ont déclarés leurs ennemis.

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Le passé manipulé

La Persistance de la mémoire, Salvador Dalí (1931)

Mensonges. Fantasmes. Simplifications. Manipulations. Instrumentalisations. Le passé et l’histoire subissent les pires infamies, sur fond d’inculture généralisée et d’idéologie à hauteur de teckel.

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L’espace public en archipel

Autodafé sur la Plaza Mayor de Madrid, Francisco Ricci (1683)

Le sentiment le plus puissant de l’humanité, celui qui la meut le plus aisément, c’est la haine.

L’espace public de libre expression et de confrontation des visions du monde et des conceptions de l’intérêt général est l’une des dimensions de la démocratie. Dans l’obscurité de l’intime et du privé, l’individu nourrit sa réflexion et sa pensée, affûte ses arguments et, surtout, remet en question ses propres opinions : « pense contre toi-même » doit être le premier commandement du citoyen. De telle sorte que, lorsqu’il paraît dans la lumière du public, il laisse ses intérêts privés à la porte de l’arène, s’élève à la puissance du citoyen et raisonne à l’échelle de l’universel, avec l’intérêt général pour légitimation de l’action et pour objectif la recherche du juste – dans les deux sens du terme : justesse et justice.

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