Depuis plus d’un mois, une image me hante. Celle d’une toute jeune femme, à peine sortie de l’adolescence, recroquevillée sur son siège de métro, les genoux remontés jusqu’au menton, les mains crispées autour du cou, le regard ivre de terreur, qui se voit mourir, seule au milieu de la foule, sans comprendre pourquoi elle, ici et maintenant.
Le « solutionnisme » est cette idée simpliste selon laquelle tous les problèmes, quelles que soient leur nature et leur complexité, peuvent trouver une solution sous la forme d’algorithmes et d’applications informatiques. Très en vogue dans la Silicon Valley depuis plusieurs années, il s’est largement répandu grâce à ses illusions séduisantes et imprègne dorénavant les imaginaires collectifs, notamment celui de la start-up nation chère à notre Président.
Le Colin-Maillard, Jean-Honoré Fragonard (1750-1752)
Nulle activité n’est aussi sérieuse que le jeu. Il n’est, pour se convaincre, qu’à en observer les meilleurs spécialistes dans leur état naturel, des enfants dans une cour de récréation : le temps passé à définir des règles toujours plus complexes fait partie du jeu lui-même, est un jeu en soi, et puis avec quelle précision, quelle attention, ils s’appliquent à s’amuser… Tout cela est bien connu. Et dorénavant, les adultes eux-mêmes s’ingénient à jouer avec plus d’esprit de sérieux qu’ils n’en mettent à aucune autre affaire. Jeux de rôle, jeux de société, jeux vidéos… quel que soit l’âge, on assume pratiquer ces activités dont la variété semble avoir explosé. Ainsi ne se limite-t-on plus au Trivial poursuit ou au Monopoly avec les mômes les week-ends pluvieux, au rituel du rami le dimanche après-midi chez mamie, au poker du vendredi soir avec bières et cigares, ni aux tripots de plus ou moins grand style. Le jeu, seul ou en société, (re)devient pratique noble, et même revendiquée. Plus profondément encore, le ludique semble s’étendre à bien des domaines demeurés jusque-là hors de son influence.
Mais qu’est-ce qu’ils causent ! Qu’ils soient à droite, à gauche, au centre, au gouvernement, dans la majorité, dans l’une des diverses oppositions, quelque part, ailleurs ou nulle part, qu’ils soient élus, qu’ils l’aient été hier ou il y a longtemps, ou qu’ils espèrent l’être (de nouveau ?) un jour, qu’ils veuillent défendre leur action ou celle d’un autre, qu’ils aient une proposition de loi, une « réforme » ou un bouquin à vendre, qu’ils soient experts d’un sujet d’actualité ou qu’ils le découvrent au moment où la caméra se tourne vers eux… nos (trop) chers représentants n’ont de cesse de nous saouler avec leur logorrhée bruyante et agitée. Ils sont partout. À la télé, à la radio, sur les réseaux dits sociaux… partout, tout le temps, la parole politique s’est transformée en un flux continu qui ne laisse aucun répit à la pensée ni au jugement.
Le Petit Journal, supplément du dimanche, 5 juillet 1903 – RetroNews BnF
Jamais nouvelle drogue n’avait connu un tel succès ; nul toxique n’avait atteint si rapidement un tel degré d’adoption. En à peine quelques années, une dépendance sévère s’était étendue à l’immense majorité de la population.