Jouons le jeu !

Le Colin-Maillard, Jean-Honoré Fragonard (1750-1752)

Nulle activité n’est aussi sérieuse que le jeu. Il n’est, pour se convaincre, qu’à en observer les meilleurs spécialistes dans leur état naturel, des enfants dans une cour de récréation : le temps passé à définir des règles toujours plus complexes fait partie du jeu lui-même, est un jeu en soi, et puis avec quelle précision, quelle attention, ils s’appliquent à s’amuser… Tout cela est bien connu. Et dorénavant, les adultes eux-mêmes s’ingénient à jouer avec plus d’esprit de sérieux qu’ils n’en mettent à aucune autre affaire. Jeux de rôle, jeux de société, jeux vidéos… quel que soit l’âge, on assume pratiquer ces activités dont la variété semble avoir explosé. Ainsi ne se limite-t-on plus au Trivial poursuit ou au Monopoly avec les mômes les week-ends pluvieux, au rituel du rami le dimanche après-midi chez mamie, au poker du vendredi soir avec bières et cigares, ni aux tripots de plus ou moins grand style. Le jeu, seul ou en société, (re)devient pratique noble, et même revendiquée. Plus profondément encore, le ludique semble s’étendre à bien des domaines demeurés jusque-là hors de son influence.

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Le temps métrisé

Vanité, Philippe de Champaigne (vers 1645)

je vais vite très vite
j’suis une comète humaine universelle
je traverse le temps
je suis une référence
je suis omniprésent
je deviens omniscient
L’homme pressé, Noir Désir (1997)

Tu es un homme pressé. Très pressé. Obsédé par la performance dans tous les domaines, tu ne perçois le temps que comme une donnée purement quantitative qu’il te faut assujettir, quoi qu’il en coûte. Parce que le temps, ça coûte : c’est de l’argent. Le culte du dieu-pognon, religion partagée par tous, t’impose sa Loi, « TU NE PERDRAS PAS DE TEMPS », avec en note de bas de table, en police taille 2 : « tout temps perdu sera facturé selon le barème défini dans les conditions générales d’utilisation, etc. ».

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Le viol des mots

La Tour de Babel, Pieter Brueghel l’Ancien (v. 1563)

La fin d’une civilisation, c’est d’abord la prostitution de son vocabulaire.
Romain Gary, Europa

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Le droit à la paresse

La Méridienne, Vincent van Gogh (1889-1890)

Mais qu’ont-ils fait du pamphlet de Paul Lafargue [1] ?

À l’occasion de la nouvelle réforme des retraites voulue par le Président de la République, l’espace public est saturé des empoignades entre bourgeois qui n’ont jamais travaillé de leurs mains. S’opposent dans la stratosphère des néolibéraux qui rêvent de revenir à un XIXe siècle à la Dickens et mitraillent le code du travail et les acquis sociaux au nom de la concurrence de la Chine et du Bangladesh, modèles du genre ; et des gauchistes de salon dont la vision puérile se limite à un monde entièrement voué à la jouissance sans entrave sous la tyrannie bienveillante de la moraline et de la nunucherie. Entre sacralisation et malédiction, l’idée de travail devient l’otage des postures moralisantes.

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Il n’y a pas de sot métier ?

Quelle modernité formidable qui, pour résoudre la crise du chômage de masse, certes sans grand succès jusqu’ici, a décidé d’inventer chaque jour de nouveaux métiers shadokiens ! L’anthropologue David Graeber l’a théorisé avec l’expression « bullshit jobs », d’autres ont étendu et approfondi le concept, mais l’idée est évidente à quiconque observe avec un tant soit peu d’honnêteté le monde du travail. Celui-ci est métastasé par des boulots socialement inutiles, voire nuisibles, souvent payés une misère tout juste suffisante pour survivre – ou parfois, au contraire, une fortune scandaleusement imméritée. Et pendant ce temps, les vrais métiers peinent à trouver des volontaires, sont méprisés et sous-payés. Une époque formidable, vous dis-je [1] !

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Au boulot !

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Travailleurs de retour à la maison, Edvard Munch (1913-1914)

On se bouge, bande de feignasses ! Il y en a marre de cette mentalité capitularde d’enfants gâtés, incapables de bosser cinq minutes sans venir pleurnicher que c’est trop dur gna gna gna, que le chef est méchant gna gna gna, qu’ils ont besoin de faire une pause pour poster une photo d’eux sur instagram gna gna gna… Cette démocratie décadente encourage la paresse sur fond de boursouflure égotique. Les Chinois, par exemple, c’est clairement pas des bras cassés, eux. Et c’est pour ça qu’ils conquièrent le monde.
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Le travail, c’est la santé

Travail, s. m.

  1. Nom donné à des machines plus ou moins compliquées, à l’aide desquelles on assujettit les grands animaux, soit pour les ferrer, quand ils sont méchants, soit pour pratiquer sur eux des opérations chirurgicales.
  2. Par extension du sens d’instrument qui assujettit, gêne, fatigue ; c’est le sens primordial comme le montre l’historique.
  3. Soins et soucis de l’ambition.
  4. Inquiétude.
  5. Travail d’enfant, ou, simplement, travail, douleurs de l’enfantement, ou, techniquement, succession de phénomènes violents et douloureux dont l’ensemble caractérise la fonction de l’accouchement.
  6. Peine qu’on prend pour faire quelque chose. Le travail du corps. Le travail de l’esprit.
  7. Service auquel on soumet les animaux.
  8. Se dit de l’action d’une machine ou du résultat de cette action.

Etc. etc.
[Littré]

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Valeur, coût et droit du travail

« Le travail coûte trop cher » répètent ad nauseam, sur tous les écrans, les amis du Medef, qu’ils soient de l’UMP, du PS ou d’ailleurs. Alors qu’il n’y a pas si longtemps la mode était à la « valeur travail », voilà que celui-ci est devenu brusquement une charge. Comment a-t-on pu glisser de la « valeur travail » si chère à Nicolas Sarkozy, à l’obsession pour le « coût du travail » ?

En 2007, Nicolas Sarkozy développe tout un discours sur le travail comme activité essentielle qui aurait été dévalorisée, dénigrée, abandonnée par la société (hypothèse purement gratuite dont la démonstration n’a jamais été ne serait-ce qu’effleurée !). Avec son fameux « travailler plus gagner plus », il entend remettre cette « valeur » au cœur de son projet politique. Mais de fait, est-ce bien « travailler plus » qui compte ici ou, plutôt, « gagner plus » ? L’ambiguïté n’est qu’apparente : la fin, c’est le gain, le moyen, c’est le travail. Celui-ci n’a pour but ni l’épanouissement du travailleur, ni le développement de son entreprise, ni l’augmentation de la richesse globale de la société, ni la participation au collectif. Travailler plus POUR gagner plus. Ou, encore une fois, le sarkozysme comme expression pure de la rapacité.

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