Toutes les nuits pendant les trois semaines qui suivirent le déclenchement de l’état de siège, le pays vécut des émeutes inouïes. Les centres-villes des métropoles, mais aussi des villes moyennes ainsi que quelques bourgs, subirent des violences à répétition d’un lumpencaïdat depuis longtemps travaillé par les mafias criminelles et religieuses. Chaque soir, casseurs et voyous descendaient dans les rues pour s’attaquer aux boutiques qu’ils pillaient, aux symboles de l’État – quatre préfectures et douze mairies furent incendiées –, aux écoles, aux bibliothèques, aux musées, aux théâtres, aux hôpitaux et jusqu’aux crèches. Le mobilier urbain fut largement vandalisé et des arbres furent même déracinés. Symbole terrible, la statue de la République, à Paris, fut dynamitée. Les émeutiers, pour certains lourdement armés, dévastaient tout mais, surtout, tendaient des guet-apens aux policiers et aux militaires avec lesquels ils voulaient ostensiblement en découdre. En trois semaines, quinze policiers et sept soldats furent tués dans ces combats de rue, provoquant une escalade sans précédent des violences.
Lorsque vous avez été déraciné autant de fois que moi, le problème des racines devient une question de sacs de voyage dans lesquels vous les transportez. Romain Gary, L’affaire homme
Sommes-nous donc des arbres pour, sans cesse, être ramenés à nos « racines » ? La métaphore arboricole me semble toujours suspecte. D’autant plus lorsqu’elle se fait insulte. Ainsi de ces Français « de souche » (on reste dans le forestier) qui se voient requalifiés en « souchiens » dans un petit kakemphaton aussi méprisant que peu subtil. Leurs « racines », parce qu’elles ne seraient que françaises, en seraient infamantes ; au contraire des autoproclamés « racisés » dont les racines, parce qu’elles seraient étrangères, seraient nécessairement glorieuses – et peu importe d’ailleurs qu’elles soient largement fantasmées. Racinés contre racisés : l’affiche fait frémir d’une guerre des identités, des appartenances et des allégeances.
Le peuple de la frontière, Gérald Andrieu, éd. du Cerf, 2017
Le livre en deux mots
Lassé de couvrir l’actualité politique et les campagnes depuis les enclos à journalistes et la bulle parisienne, Gérald Andrieu a décidé de partir. Loin. Aussi loin que possible pour être au plus près des Français. Alors il a chaussé ses meilleures grolles et il a parcouru toute la frontière Nord et Est de la France. Le récit qu’il en tire est double : s’entremêlent la narration autocentrée d’un effort physique (2200 km à pied, ça use) et les portraits esquissés en quelques phrases de rencontres improvisées. Et ça marche ! Lire la suite…