Charlie Kirk, 31 ans, figure médiatique de la droite trumpienne, a été assassiné le 10 septembre à Orem, ville d’environ 100 000 habitants au sud de Salt Lake City dans l’Utah. Il a été assassiné alors qu’il discutait avec des étudiants au sein de l’université d’Utah Valley, dans le cadre d’une conférence-débat. Il a été assassiné d’une balle dans le cou. Il a été assassiné devant sa famille. Il a été assassiné en raison de ses idées.
Procession de flagellants au XIVe siècle, Pierre Grivolas (1867)
Fais-moi mal, Johnny, Johnny, Johnny Envole-moi au ciel… zoum ! Fais-moi mal, Johnny, Johnny, Johnny Moi j’aim’ l’amour qui fait boum !
Boris Vian, Fais-Moi Mal Johnny
Il flotte dans l’air comme un parfum de sadomasochisme assez nauséabond. (Non que je juge ces comportements individuels condamnables en eux-mêmes : je me fiche bien de ce qui se passe derrière la porte de la chambre à coucher, de la cuisine ou du donjon, tant que ce qui s’y déroule n’implique que des adultes consentants – qu’ils se fassent du bien à se faire mal : pourquoi pas, on trouve les raffinements de la volupté comme et là où on peut.) Il ne s’agit pas ici de cuir ni de martinet mais plutôt de la transcription homothétique de ces pratiques érotiques dans le domaine politique avec la tendance malsaine aux manipulations idéologiques et aux plaisirs pervers de la repentance à tout crin, de l’autoflagellation publique, de la confession de crimes imaginaires, dont notre époque, notre société et nos politiques débordent ad nauseam. Fais-moi mal, Johnny !
La Persistance de la mémoire, Salvador Dalí (1931)
Mensonges. Fantasmes. Simplifications. Manipulations. Instrumentalisations. Le passé et l’histoire subissent les pires infamies, sur fond d’inculture généralisée et d’idéologie à hauteur de teckel.
Exécution de Louis Capet XVIme du nom, le 21 janvier 1793, gravure anonyme (1793)
La Révolution a bon dos ! Fichez-lui la paix ! Cessez donc, quel que soit votre camp politique, de récupérer grossièrement, d’instrumentaliser indûment ce moment si dramatique et si complexe de l’histoire. Lieu commun du débat public, ses évocations n’en sont que plus saturées d’idéologies, au point que les faits disparaissent derrière vos clichés et caricatures.
I wish I was special You’re so fucking special But I’m a creep I’m a weirdo What the hell am I doing here? I don’t belong here
Radiohead, Creep
J’avais dix ans quand le mur est tombé et vingt-deux lorsque les tours se sont effondrées. Entre les deux, j’ai grandi dans ces années 1990 qui devraient rester, aux yeux des historiens de demain, comme un temps étrange, suspendu – une respiration… ou plutôt, peut-être, ce moment où l’Histoire paraît, a posteriori, retenir son souffle.
En politique, il est toujours question de (se) raconter des histoires. Au sens péjoratif, bien sûr, comme autant de mensonges manipulatoires et démagogiques. Au sens enfantin, aussi, comme ces tendres instants qui endorment le corps pour mieux éveiller l’imaginaire. Au sens édifiant, enfin, comme ces narrations qui soudent l’individu au groupe politique et lui offrent une place dans une tradition dont il hérite et qu’il a la charge de transmettre. Lire la suite…
Au commencement est l’idée. Le Realissimum politique se donne pour scientifique, se propage par contagion à l’ensemble des champs de savoir et d’agir de la société, et imprime son idéologie totale aux consciences. Le dogme s’épanouit dans un processus gnostique d’explication pseudo-scientifique du monde et d’annonce à une communauté élue de lendemains qui chantent : domination des autres races ou véritable démocratie après la révolution prolétarienne. Lire la suite…
Les mythes des régimes totalitaires ont pour but central la constitution organique de la communauté élue par le mouvement historique (selon la race ou la classe, c’est-à-dire le principe fondateur, le Realissimum). Cette ecclesia se forge à partir des rituels du régime totalitaire techniciste, et prend pour médiateurs de sa construction une nouvelle langue totalitaire qui participe de l’entreprise de destruction systématique de la pensée, ainsi que le chef, incarnation à la fois de la communauté et du Realissimum, véritable cristallisation du désir des foules.
Au fondement du régime totalitaire se trouve d’abord le principe holiste : l’idée qui développe sa propre logique, selon la définition arendtienne de l’idéologie. Or ce mouvement de l’idéologie est celui d’un irrationnel qui se donne pour scientifique, disqualifiant par là même le réel, empêchant de penser et s’auto-immunisant selon un processus gnostique, au sens de Voegelin. Sur celui-ci peuvent dès lors se mettre en place les mythes à la fois fondations et références du régime totalitaire.
Avec la pause estivale, je relance une catégorie de billets que j’ai un peu laissée de côté : « Ils pensent ». Il s’agit, pour quelques semaines, d’oublier l’écume – j’aurai bien l’occasion de parler de ce remaniement à la rentrée… si tant que cela ait un quelconque intérêt – et de plonger dans les profondeurs de la pensée, avec pour guides les écrits de grands esprits qui nous aident à mieux comprendre le monde. Ces détours loin de l’actualité auront, je l’espère, la vertu de remettre un tant soit peu d’ordre dans le chaos ambiant. Je reprends donc avec une première série de billets qui explorent la question : « en quoi les totalitarismes nazi et stalinien peuvent-ils être interprétés comme des religions politiques ? », en suivant les réflexions d’Eric Voegelin, Ernst Cassirer, Raymond Aron et Hannah Arendt, entre autres [1]. Lire la suite…